Cet article est à retrouver sur le site du Bonbon Nuit, lieu premier de sa publication.
Dans une société qui en manque cruellement, l’art et a fortiori le cinéma est un refuge hors du temps qui nous permet de retrouver une part d’humanité effacée par l’information en continue, la déprime d’un monde qui s’éteint à feu vif, une fascisation permanente des débats, et par-dessus tout, cette fâcheuse impression de régression sociale et idéologique (l’avortement, l’extrême droite devenu lieu commun). Alors le cinéma, loin d’être irréprochable par son fonctionnement ostracisé, est tout de même parfois un oasis au milieu de la galère, un havre d’humanité de quelques heures qui redonne, aussi fugace soit-il, une brindille d’espoir : avec en cette fin avril, un bateau d’accueil (« Sur l’adamant »), une amitié de campagne (« Chien de la casse ») et une immigration amoureuse ( « Dirty, difficult, dangerous »).
- Une humanité « folle » : SUR L’ADAMANT
Ours d’or à Berlin, le documentaire de Nicolas Philibert filme « L’Adamant », une péniche de bord de Seine parisienne qui accueille quotidiennement des patients psychiatriques, en leur proposant des animations créatives. Philibert questionne de manière remarquable la position de la folie dans nos sociétés, ces fous que l’on juge et isole sont souvent bien plus lucides que notre dite normalité. Ces « hyper-sensibles » semblent incapable d’évoluer dans un monde extérieur violent et formaté. L’art (brut) est une voie d’accès sublimée dans le film, les témoignages frappent par la pertinence et la distance que les passagers de l’Adamant ont sur leur propre condition, et nous interroge sur notre regard souvent méprisant sur la marge et la différence. « Le fou » est donc probablement celui qui a refusé de vivre dans ce monde, notre monde réglé, encadré, déshumanisé, désensibilisé. Ils ont ici tout le champ et la parole pour nous confier sans détour leurs pensées conscientes, très souvent poétiques, et nous prouver que la dite folie n’est jamais là où on nous dicte de la voir.
Pourquoi il faut y aller : Documentaire bouleversant, torrent d’humanisme qui remplit le bide d’une émotion débordante de vie
Mais d’un autre côté…Il n’y a rien à reprocher à Philibert, pas de misérabilisme, il est à bonne distance, avec respect et bienveillance.
« Sur l’adamant » de N.Philibert – sortie le 19 avril
- Une humanité « chienne » : CHIEN DE LA CASSE
Un village paumé héraultais, deux « cassos » qui trainent et fument du shit en bande au abord de le place de l’église, et une amitié en pivot central : un volubile personnage qui prend de la place (extraordinaire Raphaël Quenard) face à la discrétion soumise d’un autre (Anthony Bajon). Et une analogie canine en filigrane, le titre évidemment, le chien de Mirales (Malabar) qui cristallisera le rapport dominat/dominé ou encore le surnom du personnage de Bajon « Dog ». Tout bascule à l’arrivée d’une fille de passage, et un amour éphémère entre elle et Dog, point de rupture qui va questionner en profondeur cette amitié malade. A l’instar d’un couple amoureux en pleine turbulence, c’est un acte fondateur qui rapprochera définitivement ces deux « frères » (le mot sort enfin de Mirales en fin de film) par une manœuvre pleine de bravoure où toutes les interrogations s’oublieront dans un combat final pour l’autre. Très grande tendresse pour ce qui restera l’un des plus beaux films français de l’année.
Pourquoi il faut y aller : Pour ce rapport de force entre deux immenses acteurs de cette nouvelle génération brillante
Mais d’un autre côté…Peu de défaut, tout y est si fin, et intelligent, sans lourdeur pompeuse que peut malheureusement signer parfois le cinéma français, une forme de pureté dans la lecture de cette amitié dysfonctionnelle.
«Chien de la casse » de J.B. Durand – sortie le 19 avril
- Une humanité « immigrée » : DIRTY, DIFFICULT, DANGEROUS
C’est une histoire d’amour apatride, un syrien (Ahmed) et une éthiopienne (Medhia) à Beirut, une immigration comme toutes les immigrations, forcées, désespérées, finissant dans une prison de peur (Medhia, femme de ménage cohabitant avec un vieux fou sénile qui la violente) et de malheur (Ahmed, victime de racisme anti-syrien, sans toit, devant payé un matelas au sol payable à l’heure pour trouver le sommeil). Par-delà la beauté de cet amour transfrontière qui jaillit au milieu du désespoir, et dans une métaphore imagée par littéralité, son corps meurtri par la guerre syrienne va se transformer, sa chaire en métal, sa carapace extérieure souffrante en une armure impénétrable. Jusqu’à ce que la vie au Liban devienne impossible, et une nouvelle évasion, illusoire, ne faisant que déplacer géographiquement la souffrance. Mais il reste cet amour débordant, et la caméra de Charaf qui arrive par poésie et humour, à nous faire sourire, et pleurer avec tendresse malgré le chaos.
Pourquoi il faut y aller : Pour cette histoire d’amour qui échappe à toute forme de fatalité
Mais d’un autre côté…Le film peut déranger par sa forme abstraite, et presque trop distante sur la gravité de son sujet
« »Dirty, Difficult, Dangerous » de W. Charaf – sortie le 26 avril