L’article est à retrouver sur le site internet du Bonbon Nuit.
Cette fin novembre sonne le glas du « Napoléon » de Ridley Scott tant attendu après le très réussi « Le dernier duel ». Scott et son courant alternatif qui ne cesse d’alterner les master-piece (Alien, Cartel, Blade Runner) et les gros navets (Seul sur mars, House of Gucci, Exodus) est un homme imprévisible, une roulette russe le flingue sur la tempe. Et soyons clair, la balle est cette fois-ci bien partie et nous a explosé la cervelle d’une farandole historique débilitante et vaine. « Napoléon » à la trappe, fort heureusement que le cinéma indépendant relève la barre du petit empereur français avec le formidable « Un hiver à Yanji » et son trio dépressif en pleine campagne chinoise, le néo-délire de Mandico avec « Connan », une comédie française bien ficelée (« Je ne suis pas un héros ») et un dérapage contrôlé avec Pomme en guest-star (« Vénus d’argent »).
- Coup de déprim’ : UN HIVER À YANJI
Le film s’ouvre sur un mariage coréen dans le nord de la chine, Haofeng est paumé, le regard dans le vide, un appel sans réponse de sa psychothérapeute posant le tableau d’une dépression profonde. Le rat des villes (sa grosse montre en gros plan signant son aisance financière, lui le trader de Shangai) va s’accointer avec deux rats des champs, Nana une guide touristique et son pote cuistot Xiao. Comme souvent, une bonne cuite les unit, Haofeng loupe son avion de retour, et le trio initie un voyage physique (à la recherche d’un lac « céleste ») mais surtout métaphysique pour tenter, ensemble, de trouver un échappatoire à leurs échecs. La fin semble inévitable (leurs séparations) mais le chemin lui est mystérieux, d’une langueur profondément nostalgique, chacun s’appuie sur l’autre pour tenter de résoudre l’immense tristesse d’un passé qui nous ait inconnu. Un film en coup de vent, un coup d’éclat songeur qui rend indulgent sur les nombreuses facilités du film (l’omniprésence musicale, les ralentis, les métaphores grossières), et nous emporte loin, au contrées d’une ambivalence émotionnelle particulière, comme ces héros d’un jour, paumés entre pleurs et apaisement.
En résumé : Une balade sans lendemain, nostalgique et vaporeuse, d’une poésie heureuse en ces temps sombres. 4/5
« Un hiver à Yanji » de A. Chen – sortie le 22 novembre
- Barbarie : CONNAN
Il faut toujours s’accrocher avec Bertrand Mandico, savoir se livrer à corps perdu dans une orgie esthétique incomparable, réussir à lâcher prise dans les méandres cronenbergiennes poisseuses mi-heroic-fantasy, mi-geekerie absurde. Et pourtant, par-delà son esthétisme viscéral, Mandico reste un messager puissant. Avec Connan il féminise la brutalité masculine de son pendant Conan, héroïse cette femme humiliée et torturée d’un message féministe radicale. Son film est aussi politique, lui qui ne cesse de baigner dans l’underground depuis plus de 20 ans sort la tête de l’obscurité depuis After Blue son précédent film, et ce Connan sélectionné à Cannes à la Quinzaine des cinéastes. Les choix cornéliens de Connan s’appliquent au fond à lui-même, l’appât de la lumière ne peut-il pas tuer le monstre qu’il aime tant être ? Connan c’est un immense bordel, faussement délirant où la question du genre est perpétuelle, une poésie des corps et des fluides qui se nourrit de la mort pour construire sa domination visuelle.
En résumé : Un Mandico qui garde la radicalité de son esthétisme, mais qui n’a jamais été autant personnel et politique, un joli bordel crasseux. 3.5/5
«Connan » de B. Mandico – sortie le 29 novembre
- Tumeur bégnine : JE NE SUIS PAS UN HÉROS
Dans ce Dedienne show, il joue Louis, un avocat junior qu’on ignore, la tête de vainqueur du « Diner de cons », et cette succession de malaise avec les collègues qui l’enfonce. Il est invisible, vit encore chez ses parents qui ne le supporte plus, en gros, un boulet. Mais son existence prend une toute autre tournure lorsque son médecin lui annonce la probable présence d’une tumeur cancérigène dans son bide. Avant même d’avoir les résultats définitifs, il balance l’info à son bureau, devenant le grand martyre de la boîte, la pitié inonde tout le monde, devenant alors le protégé de la tyrannique patronne (excellente Clémence Poesy). Evidence twist comique, il n’a finalement rien, mais se garde bien de l’annoncer pour garder son nouveau statut. Mielleux à souhait, et d’une démagogie casse-tête, le film trouve son souffle dans l’équilibre comique maitrisé entre Dedienne, Poesy et Géraldine Nakache (qui joue une vulgaire gueularde très drôle). Il n’échappe évidemment pas à l’écueil de la bien-pensance, mais par son rythme et surtout une écriture remarquable, le film tient la route, et se place clairement dans le haut du panier des comédies françaises.
En résumé : Si l’on dépasse le message de fond balourd, c’est drôle, bien écrit, avec un Dedienne parfait et de très bons personnages secondaires, une bonne comédie à la française. 3/5
« Je ne suis pas un héros » de R. Milstein – sortie le 22 novembre
- Tradeuse : LA VENUS D’ARGENT
On s’emballe dès le départ par le personnage de Jeanne, badasse, héroïne agenrée jouée par la chanteuse Pomme, elle est impassible au regard machiste, trace sa route dans la beauferie cockée du monde de la finance. Et surtout, elle les rétament par la vivacité de ses analyses, une intelligence glaçante au service du pognon. Progressivement, la narration vacille et fait surgir un ex qui a abusé d’elle, puis un le stéréotype de l’enflure, cheveux gominés et barbes rasées de près, un Patrick Bateman (« American Psycho ») de la Défense qui profitera également d’elle, et de sa naïveté de jeune hyène. L’homme reprend le pouvoir sur la femme, la contrôle, et par la même occasion, nous frustre et agace. Il fallait une pirouette pour rabattre la situation dans un féminisme en bouée de sauvetage : une femme, forcément lesbienne, va sortir la pauvre Jeanne de la torpeur et d’une carrière à l’arrêt. L’on aurait tant aimé ce personnage tracer sa route de Vénus sans l’aide ni d’une tierce personne, ni en réaction en une énième domination masculine. Et malheureusement, c’est ce qui rend le film en demi-teinte, comme inachevé.
En résumé : Dommage que la première demi-heure tonitruante et ravageuse s’étiole dans des entourloupes scénaristiques qui l’édulcore. 2/5
« La vénus d’argent » de H. Klotz – sortie le 22 novembre