La critique est à retrouver sur le site internet de Culturopoing.com
Dès son ouverture, le choc culturel et générationnel d’une société brésilienne coupée en deux nous fait face. Une jeune femme au crâne rasée se grime en bonne sœur évangéliste pour tromper le pharmacien du coin, lui soutirer médicaments, hormones et un test de grossesse en indice de la future trame dramatique. On suit une équipe de volley-ball, déterminée par son caractère agenré que la mise en scène démonstrative ne cesse d’appuyer (le « iel » sur la porte des vestiaires, le zoom sur les muscles dessinés, un gros plan sur une piqure hormonal, un morceau de journal parlant d’équipe inclusive, …), le film s’auto-placardant en étendard non-binaire dans une forme déjà caricaturale. Nous sommes au Brésil, mais où exactement ? Aucun indice, la ville est filmée comme un labyrinthe aveugle, les murs tagués défilent en traveling, les barbelés défendent les quartiers, le son abrutissant de la circulation est étouffée, et se marie à celui des impacts des ballons de volley au sol, la musique électronique à beat élevé rythme des pulsations qui s’emballent ; nous voilà prisonnier d’un étau sonore, asphyxié par des plans serrés qui nous enferme peu à peu dans un piège sans solution. La liberté, le bonheur du partage simple vont bientôt se stopper net. Sofia (jouée par Ayomi Domenica), la meilleure joueuse de l’équipe à qui l’on promet un avenir au Chili et une bourse salvatrice, apprend sa grossesse non désirée.
Le sujet de l’avortement est revenu avec insistance ces dernières années au cinéma, l’on ne peut oublier la Palme 2007 (4 mois, 3 semaines, 2 jours de Christian Mungiu) et cette scène de la salle de bain qui continue de hanter, le réussi Annie Colère plus récemment, L’évènement de Audrey Diwan Mostra en 2021. Le sujet ressurgit dans un contexte où ce droit fondamental s’en voit attaquer (aux États-Unis notamment), qu’il questionne notre gouvernement (pour son inscription dans la Constitution), et interpelle notre esprit occidental loco-européen pouvant ignorer le constat sordide que pour une grande partie du monde, notamment d’Amérique Latine, l’avortement est un crime. Là est donc toute la tragédie de Levante, le désir d’interruption de grossesse de Sofia et la confrontation à son illégalité.
S’enclenche alors le carcan masculiniste qui accapare le corps des femmes (la sonde de l’échographe et les mains étrangères du médecin sur le ventre de Sofia) et sa liberté de choix (la pression du père). Mais aussi celui d’une société brésilienne sous Bolsonaro qui se déchire dans une guerre de position inaudible, les deux camps se faisant front sans la moindre possibilité d’un avenir commun. D’un côté, l’humanisation de l’embryon (le médecin parle de paupières et de « bébé ») et le poids de l’église évangéliste grandissant (que l’on trouvait déjà chez Kleber Mendonça dans Portraits fantômes avec des salles de cinéma se transformant en chapelle), de l’autre une génération en pleine libération sexuelle en conflit ouvert avec le modèle hétéronormé. Entre les deux, Sofia, figée par l’angoisse, son visage fermée, faussement hermétique, symbole d’une une violence interne et d’une rage viscérale qui finira par exploser dans sa scène finale.
Là où Levante se fourvoie, et finira rapidement par nous perdre, c’est à la fois par ses approximations scénaristiques (un voyage en Uruguay sans intérêt, une accumulation de métaphores balourdes, et notamment avec le travail d’apiculture du père), scénique (la démonstration déjà décrite en début de texte), une « américanisation » de sa trame qui transforme peu à peu le drame social en un buddy-movie corporate quasi « Adam Sandler » (le fameux adage « On va gagner cette finale pour toi », la construction d’un stéréotype du « méchant » et cette vieille femme acariâtre). Le malaise s’installe, et l’on a cette amère sensation d’usurpation, un manque d’authenticité qui jaillit jusqu’à cette scène finale en happy-end malgré lui, et une énième métaphore enfantine (cette société anti-avortement finissant par l’engendrer de sa rage incontrôlée). L’énergie débordante du film imagée par cette bande de potes prêt à tous les sacrifices pour sauver la leure s’effondre dans un festival caricatural qui n’arrive finalement jamais à filmer les fissures profondes de la société brésilienne, cette ambivalence schizophrène d’un pays perdu entre conservatisme profond, et désir libertaire démonstratif. En somme, un feu de paille bien vite étouffé par la superficialité de sa mise en scène.