Sujet existentiel, délicate déviation jouissive de l’Amour, le sexe, le cul, la baise, la déglingue, la relation amoureuse consentie s’imposent au cinéma comme une semence odorante indicible et inextricablement liée à sa propre histoire depuis l’adultère d’Ansass dans L’Aurore de Murnau (1927) au chaste strip-tease terriblement érotique de Rita Hayworth dans Gilda (1946). Ça sent fort, ça suinte, ca gicle, ca excite, ca dégoûte : tabou d’une société rétrograde, déviance d’une société post-grade, la baise est voracement balancée à notre visage naïvement vierge (la gène) ou diablement dégoulinant (l’envie). La liste est non exhaustive mais ces scènes amoureuses ont marqué le temps, par quelques profondes secondes ou d’interminable langueur.
Le sexe, c’est la fête, la partouze heureuse, le marcel taché, la bite au vent qui vient défriser des poils pubiens denses et amazones. Dans ce registre, Bertrand Blier en est le roi. Calmos et la baise mécanique de gonzelles en chaleur kidnappant les pauvres Marielle et Rochefort pour mieux les violer et satisfaire leur hystérie, jusqu’aux éternelles Valseuses. Brigitte Fossey et Miou-Miou font les frais du beau Gérard Depardieu encore frêle à la peau douce et la moustache fris(s)onnantede Patrick Dewaere dans du cul bien de chez nous, pas de chichi, léchouillage de téton et plan à 3 sans pudeur. Comment ne pas revenir un instant à Marielle avec Comme la Lune et le célèbre « Je vais te fourrer ! » devant le strip-tease de Sophie Daumier et Les galettes de Pont-Aven avecun baissé de culotte de Jeanne Goupil à faire frémir un eunuque. Restons dans la franchouillardise un brin plus érotique et colonialiste avec le classique Emmanuelle, soutien-gorge en dentelle et plaisir d’Orient dans un fauteuil en rotin qui suinte la mousson. Continuons dans le plaisir exotique avec L’empire des sens, voyeurisme fétichiste et pénétration en kimono, rien n’arrête plus Eiko Matsuda dans une escalade sexuelle non-simulée et ininterrompue (notamment la fameuse scène de la fellation, tollé historique au Japon). On descend la température un instant avec 37,2° le matin et cette baise réaliste au dessus d’une Joconde impassible et dominée par la beauté furieuse de Béatrice Dalle, pour finir chez Tarantino et la classique « prise dans le cuisine type girl next door » par De Niro dans Bridget Fonda (Jackie Brown).
Mais ce que l’on aime dans le sexe, c’est aussi son sens de l’interdit. Le fantasme inavouable parfois calmée par Internet et ses joyeuses recherches improbables (« Cerise de Groupama nue et baisée ») mais le plus souvent assouvi par la salle obscure : du bizarre étrange, souvent à la limite, parfois insoutenable. Commençons par Pola X de Leos Carrax, et son esthétisme obscur et glacial d’une scène d’amour bouleversante et portée par l’imbrication non simulée de deux acteurs déchirés et aujourd’hui décédés (Guillaume Depardieu en 2008 et Katerina Gobuleva en 2011). Une scène simulée mais des larmes bien réelles quand Marlon Brando improvise et tartine d’un beurre probablement demi-sel l’anus d’une Maria Schneider en état de choc dans Dernier tango à Paris. Ah ce doux rêve d’une rencontre fortuite dans la rue et d’un sexe échevelé avec un inconnu, Bertolucci en a fait un grand film mais a perdu une actrice à jamais. Dans le registre ultra réalisme et sexe non simulée, ne pas oublier la fellation de Chloé Sevigny sur et filmée par Vincent Gallo dans The Brown Bunny, road movie de loser magnifique, aérien, d’une violence minimaliste perforante. Petit clin d’œil au pincement de téton de Willem Dafoe dans Sailor et Lula(« Say fuck me ») avant d’enfreindre la ligne rouge. Et Gaspard Noé s’en donne à cœur joie avec le viol de Monica Bellucci dans un couloir coupe-gorge dans Irreversibleou la baise d’une prostituée sidaïque et un inceste en bonne et due forme dans son premier film Seul contre tous. Citons sans détail l’apogée de la déviance avec Pasolini et ses 120 journées de Sodome, et sans transition le bien nommée moyen-métrage Fingered avec une Lydia Lunch très ouverte. Pour finir dans la glauquitude extrême, un mot sur l’inconnu mais adoubé Visitor Q où le malsain sexuel atteint un paroxysme nauséeux, indigeste, pratiquement inregardable.
Le cul d’hétéro ça va bien cinq minutes mais passons la barrière pour parler cisaillement et sod-homo. Ang Lee casse l’image des pines-al, et ose la fornication inter-cowboy, les santiags et la bolo-tie qui claque entre le défunt Heath Ledger et Jake Gyllenhaal sous la tente…(je m’arrête ici pour les jeux de motsruquieriens) de Brockeback Mountain. Dans le genre salopettes tombantes, Xavier Dolan signe une très belle scène dans J’ai tué ma mère, avec ses corps nus et allongées dans une peinture encore fraiche sur le son de Vive la fête. De la superficialité extrême de Dolan l’on passe à l’ultra réalisme d’Abdellatif Kechiche, et sa Vie d’Adèle avec une longue scène lesbienne à scandale. Kechiche a poussé jusqu’à l’extrême Seydoux et la révélation Exarchopoulos pour en tirer d’interminable seconde d’un plaisir arrache-viscère. Récent également, L’inconnu du lacet son sexe sudiste caché dans la garrigue ou encore le cuni de Kunis et son porte-jarretelle noire venant délivrer la naïveté candide de Nathalie Portman en petite culotte Petit Bateau dans Black Swan. Le désir est incontrôlable, la violence se mêle à l’ivresse de la chaire, et rien ne peut stopper le plaisir souvent coupable et interdit dans le déroulé de ces films.
Sortons du réalisme terrien, gros plans et baise explicite, pour s’envoler vers le fantasme aérien. Allégorique, les bobines du Théorèmede Pasolini furent saisies par le procureur de Rome pour des scènes jugées « lascives et libidineuses ». Idiotie pure car le sexe est ici la conclusion d’un malaise familial qui joue le rôle religieux d’un prête acquittant le péché. Pas de désir, pas de passion, un sexe froid, parfois pathétique mais libérateur. L’instinct sexuel de vagues s’écrasant sur un rocher dur et perforant l’écume, la scène dans Tant qu’il y aura des hommes (Zinnemann, 1953) et son embrassade lascive nous suggère le plaisir, La maman et la putain de Jean Eustache en 20 ans aprèsnous l’impose. La liberté sexuelle tant souhaitée et criée sur les toits de mai 68 est ici une lourdeur apathique sans relief. Pire, le sexe fait souffrir et torture. Faisons un bond de 40 ans pour fantasmer le sexe du XXIème siècle avec la partouze lunaire des Rencontre d’après minuitde Yann Gonzales. Rien n’a changé, l’ambiance comme la bande-son est synthétique, le plaisir est dépressif, le téton lourd et pesant. Dépassons les frontières du temps et de l’espace pour finir avec Under The Skinet une Scarlett Johansson en beauté hybride et mortelle qui plonge ses partenaires sexuelles dans les abysses d’une marée noire sans fond.
L’immatériel est notre futur, le sexe n’en démordra pas, on rira des poils et du foutre qui dégouline, on jouira du métal et de la silicone cuivrée, on vomira devant une pénétration fournie pour préférer la distance et le plaisir solitaire, face écran, seule avec sa chaire. Mais nous sommes prévenus, le cinéma nous a déjà tout dit.