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Quelle année, le monde s’écroule pendant que le cinéma lui semble ressusciter, une fournée 2023 extraordinaire qui a vu s’imposer un cinéma français au sommet (« Anatomie d’une chute » en tête et sa Palme d’or, le retour improbable de Catherine Breillat, Davy Chou et son « Retour à Séoul », le merveilleux « Yannick » de Dupieux, mais aussi « Chien de la Casse » de Jean-Baptiste Durand), le grands retours des vieux dinosaures écrasant la concurrence de leur grandeur (Erice, Scorsese, Spielberg, Bellocchio, Miyazaki, Moretti, tous dépassant allégrement les 70 ans), une génération plus jeune de cinéastes aux mises en scènes singulières, parfois déroutantes, mais surtout libres de tout classicisme barbant (Ari Aster, Alice Rohrwacher, Cyril Schäublin). Et comme un symbole, tout là-haut, la renaissance d’un auteur que l’on a tant aimé, puis parfois idiotement conspuer, le retour en grâce de Wes Anderson et son sublime « Asteroid City », et avec lui pour l’accompagner, le chef d’œuvre du trop rare Victor Erice, « Fermer les yeux ». Alors voici nos 10 films de l’année 2023, pas un de plus (sinon c’est pas du jeu), et les raisons de notre choix :
10. Retour à Séoul de Davy Chou
Pour son héroïne badass antipathique et magistrale, cette fin qui déchire le cœur, cette double scène de danse malaisante, pour ce destin tragique d’une mal aimée paumée entre Paris et Séoul.
9. Le Garçon et le Héron de Hayao Miyazaki
Pour cette rencontre entre le Mahito et l’architecte en fin de film, cet empilement de formes pour construire la vie, la poésie du deuil, loin d’un film testament malgré la mort en filigrane, Miyazaki n’a jamais semblé aussi vivant, et vivifiant.
8. La Chimère de Alice Rohrwacher
Pour cette fin qui est la plus belle de cette année 2023, et ces retrouvailles entre l’aimant et l’être aimé, cette incapacité d’avancer, de tourner le dos à l’amour d’une vie, pour Josh O’Connor et son personnage hors-sol, lunaire et bouleversant.
7. L’été dernier de Catherine Breillat
Pour Léa Drucker, la grande méchante de l’année, détestable manipulatrice drainant avec elle le malheur et le désespoir d’un gamin qui rêvait en l’amour, et qui finira trahi par le monde adulte, pour cette scène finale glaçante, tétanisante qui continue de hanter.
6. Beau is Afraid de Ari Aster
Pour cette scène avec le bite géante bien évidemment, mais pas que. Son ouverture absolument magistrale, l’anxiété n’avait jamais été aussi bien filmé et mis en scène que cette cavalcade agoraphobique, un cauchemar ininterrompu, un combat d’un fils contre le poids immoral de sa mère, une immensité qui restera forcément graver comme le grand film de Aster.
5. Anatomie d’une chute de Justine Triet
Pour cette ouverture et cette musique assourdissante qui mettra bien du temps à nous quitter, pour Sandra Hüller, sensationnelle dans le film, la réussite et la liberté d’une femme mis à mal par la jalousie et la toxicité aigrie d’un homme, pour la révélation Milo Machado-Graner qui explose de son talent à 14 piges, son regard vitreux, absent mais qui en dit tant.
4. Killers of the Flower Moon de Martin Scorsese
Pour Lilly Gladstone bien sûr qui porte la réussite du film, et qui impose toute sa grandeur au milieu du jeune loup Di Caprio et de la vieille hyène De Niro, un film politique qui regarde droit dans les yeux la dégueulasserie du passé néo-capitaliste américain, un film d’une grandeur époustouflante.
3. The Fabelmans de Steven Spielberg
Et encore pour un personnage féminin portant le film, et qui change toute sa trajectoire, ici Michelle Williams, la maman songeuse, romanesque, la maman un peu folle mais profondément aimante, pour l’une des plus belles scènes de l’année, celle du montage du jeune Fabelman découvrant la relation secrète de sa mère, pour cette fin avec Lynch en Ford, la maitrise et la classe absolue de Spielberg réussissant un film à la fois profondément personnel et pourtant, universel.
2. Asteroid City de Wes Anderson
Pour ce moment de grâce et en apesanteur qui ne nous quittera plus, ce face à face entre Schwartzman et Margot Robbie, pour la poésie farfelue du petit extra-terrestre descendant du ciel, pour les silences qui disent tout, le deuil d’une mère disparue, ces filles qui veulent la faire revenir, ce speech du commandant, cette musique qui hérisse les poils d’émotion, pour Scarlett Johansson dans sa salle de bain. Pour Wes Anderson, et son retour au sommet.
- Fermer les yeux de Victor Erice
Pour l’humanité, l’humilité, la grandeur d’âme de Victor Erice, pour cette quête de l’oublié, du passé, la recherche de celui qui n’est plus, pour faire naitre son propre chemin vers la maturité, pour Ana Torrent que l’on retrouve plus de 50 ans après « L’esprit de la ruche », pour ce morceau à la guitare sèche au bord du feu, pour cette fin dans cette salle de cinéma, la révélation, la larme qui coule sur des yeux fermés, mais qui n’ont jamais été aussi ouvert sur le monde. Le chef d’œuvre de cette année 2023.