Les critiques sont à retrouver dans Le Bonbon Nuit
Alors que les top 10 cinéma commencent à pulluler dans les médias, la question de l’intérêt d’une telle hiérarchisation se pose chaque année, car au-delà de son côté ludique et franchement réjouissant, il y a là encore une forme clanique et élitiste de très souvent honorer des films très discrets, délibérément occulter les grosses productions et success story en salles pour ne donc refléter que de manière bien trop personnelle la représentation d’une année cinéma. Plutôt qu’un listing sans grand sens (quel réel critère entre la 4ieme et la 8ieme place par exemple ?), ne faudrait-il pas mieux un listing horizontal représentatif d’une tendance annuelle globale ? Et pourtant, la tendance n’est pas prête de s’inverser tant ce petit jeu médiatique est source de jackpot éditorial facile et accrocheur, dont nous aussi, contribuons sans vergogne (notre top arrivera d’ici 15 jours). Quoi qu’il en soit, et en attendant fiévreusement notre compte-rendu de cette riche année 2024, l’année n’est pas (tout à fait) finie, et en salles, encore trois merveilles à illuminer le sapin en plastoc de mamie : la magie d’un film de Noël fou et en apesanteur (« Noël à Miller’s Point »), du dandysme à chaire ouverte (« Limonov ») et un voyage en quête de soi dans la folie stambouliote (« Crossing Istanbul »)
- Apesanteur : NOËL À MILLER’S POINT
Il y a des films qui nous tombent dessus, un cœur qui s’emballe, et cette magique impression d’apesanteur, d’une nostalgie câline et chaleureuse qui nous enserre, voilà l’effet merveilleux du film de Tyler Taormina, une bulle protectrice qui a su arrêter le temps, arrêter notre temps, comme une main tendue vers les souvenirs d’un monde oublié. Point d’intrigue dans cette veille de Noël en famille, où les histoires se mêlent aux silences, le potache se marie à la communion, un bonheur simple, une joie partagée, des doutes aussi, et des choix de vie discutées, puis la fête et les rires collectifs, les cadeaux, et la nuit tombée, pendant que la vie adulte s’éteint, l’adolescente se réveille dans une furie de tendresse amicale, de jeux et de conneries. Mais surtout, une vague d’amour qui déferle (cette merveilleuse scène des néo-couples en voiture) et brûle, réchauffe le froid des premiers flocons sur des visages, et des regards, tous tournés vers le ciel. Taormina, et son montage brillant réussissent la plus ardue des tâches, rendre le beau simple et naif, épurer, dilapider la lourdeur narrative, se défaire des règles esthétisantes, et savoir, avec un talent fou, diriger sa caméra là où tout se joue, là où le policier décide de tourner le regard, là où la fille décide de pardonner sa mère, là où la jeune femme décide de prendre la main de celle qu’elle aime, là où un bisous sur la joue se transforme en baiser décidé, là où le cœur est le seul décideur, et que pour toujours, ces petits moments volés bâtissent une histoire (de Noël) inoubliable.
En résumé : Génialissime, fou, fun, éblouissant portrait familial baigné d’une nostalgie d’un autre temps, celui où l’on pouvait encore naïvement admirer les étoiles un soir glacial de Noël : magique ! 4.5/5
« Noël à Miller’s point » de T. Taormina – sortie le 11 décembre
- Dandysme : LIMONOV
Limonov, personnage fiévreux, punk littéraire et dandy d’une époque trouble, personnage ambivalent qui finira détestable en rejoignant la pensée poutiniste après un séjour au goulag qui le hissera en grand martyr de la nation. Et que le génie Serebrennikov s’attaque à une telle biographie (celle de Emmanuel Carrère), cela accouche forcément d’un film explosif, mais bizarrement, sur la retenue. On aimerait même aimer que Serebrennikov pousse le curseur, enflamme son film d’une plus grande liberté à la fois esthétique et de mise en scène, on sent le film retenu, pied sur le frein, mais probablement inhérent à son caractère biographique qui l’isole dans une linéarité chronologique un peu barbant. Serebrennikov prend son temps pour poser les bases psychologiques troubles de ce personnage parfois sublimé (magnifique scène où il dilapide son propre sang au mur), souvent dégueulasse (la tentative de meurtre sur sa femme), on le voit naviguer à travers les époques, s’épuiser à devenir connu, reconnu, mais par qui ? Par le Peuple, grande bataille de ce petit être en mal d’attention, capable de tout faire pour que l’on parle de lui. Comme toujours, Limonov pourra agacer comme emballer, mais reste une nouvelle œuvre atypique et unique du réalisateur russe.
En résumé : Le sens du rythme et des plan-séquences de Serebrennikov ne laisseront jamais indifférents, et malgré une épopée en-deçà de ces précédents films du fait de son caractère biographique contraignant, Limonov n’en reste pas moins une folle réussite. 4/5
« Limonov » de K. Serebrennikov – sortie le 4 décembre
- Quête de soi : CROSSING ISTANBUL
Madame Lia, personnage glaçant à la mine triste, antipathique au possible, va s’associer à un jeune fougueux et paumé Achi pour tenter de retrouver sa nièce, une femme trans exclue de son village. Sa recherche l’amène en plein cœur d’Istanbul à côtoyer une marge invisible et rejetée, la prostitution trans, un gamin abandonné trainant dans la rue, une avocate trans, et personnage emblématique du milieu. De cette recherche d’une disparue naitra l’unité, le visage de Madame Lia commençant peu à peu à s’ouvrir, la chaleur humaine prenant le pas sur le défaitisme et la mine basse, chacun aidant, à son niveau, à retrouver Tekla, la nièce dont on ne retrouve plus trace. De manière un brin caricatural, la métaphore de la quête d’un autre en quête personnel de soi jaillit pour chacun des personnages, retrouvant peu à peu à travers cette recherche le goût pour une nouvelle vie, une définition nouvelle d’un soi, d’un nouveau futur possible. Il y a un vent superficiel qui souffle sur des portraits stéréotypés, et limitant clairement l’envol d’un film scotché à sa promesse initiale, et engoncé dans une linéarité narrative dommageable. Néanmoins, il n’en reste pas moins une succession de portraits touchants, soignés, certains diront scolaires, qui mettent en lumière la violence à l’encontre d’une communauté mis au ban d’une société religieuse archaïque, malgré la modernité et l’ouverture d’esprit considérable d’Istanbul par rapport au reste du pays.
En résumé : Malgré son caractère linéaire et ses stéréotypes, Akin arrive à extirper de jolis portraits d’une marge qui s’unit dans une quête de sens et de soi et dont chacun va profiter, à sa manière, à se redéfinir. 3/5
« Crossing Istanbul » de L. Akin – sortie le 4 décembre