L’article est à retrouver dans Le Bonbon Nuit
Et c’est parti pour un mois de « Bonne année » automatisée, désintéressée, cette rhétorique gonflante qui te fait passer pour le pire des Judas si oblitérée. Jusqu’à pour certains pousser les limites de la connerie au-delà de janvier (« Oh, on a encore le droit »). Courage à tous donc pour ces heures sombres qui arrivent. De notre côté, que peut-on souhaiter au cinéma pour 2025 ? Le maintien d’un cinéma français euphorisant (on attend notamment le nouveau Julia Ducournau, réalisatrice de Titane), la confirmation de grands cinéastes de retour cette année (Bong Joon-ho, Cronenberg, Malick, Wes Anderson), l’émancipation confirmée de nouveau cinéma (en tête indien et mexicain après une année 2024 révélatrice), mais surtout, on veut des frissons, de la grâce, du cinéma en apesanteur qui élève, qui ouvre et fait tomber les cadres didactiques, du cinéma de la marge et une indépendance de ton inébranlable, des chocs, des débats enflammés, des grosses foirades aussi. Mais avant tout, de l’émotion, pure, violente, exubérante, de l’effervescence et du lâcher-prise, de la rupture, un cinéma qui explose les frontières géographiques et normatives. Espérons donc tous ensemble, réjouissons-nous aussi, car l’avenir du cinéma est éternel, son renouveau perpétuel, et cette nouvelle année n’en dérogera certainement pas. Alors « y’a plus qu’à » : Bonne année 2025 cinéphilique, que votre salle de quartier devienne votre nouvelle maison secondaire, oublier les chaussures bateaux à Trouville, bonjour les Nike Running aux Halles. Promis, ça va être la régalade. Et ça commence très fort avec l’explosif « Babygirl », le chef d’œuvre de Almodóvar (« La chambre d’à côté ») et le cinéma selon Desplechin (« Spectateurs ! »).
- Désir juvénile : BABYGIRL
Il y a dans « Babygirl » une folle réjouissance de voir enfin la caméra à hauteur du désir d’une femme et non du fantasme de l’homme, un regard décadenassé de toute pudeur limitatrice et avec lui, la libération décomplexé d’un désir total, une jubilation sexuelle qui inverse et détourne le classicisme BDSM du dominant-dominé (imagé généralement par un mâle blanc PDG de son entreprise fouetté les fesses à l’air par une vingtenaire en latex). Ici, la dominée est une femme, Romy (Nicole Kidman), botoxée jusqu’à l’os, inexpressive chef d’entreprise qui écrase son monde de sa posture d’intouchable. Le dominant, Samuel (Harris Dickinson), un stagiaire diablement provoc’, torpille sexy à se flinguer de beauté. S’installe alors entre les deux un jeu de piste sexuel entre le chasseur et sa proie, des regards qui pénètrent, des actes qui saisissent (subtil régal lorsque Samuel commande un verre de lait rabaissant à Romy dans un bar) jusqu’à ce que l’acte sexuel ne devienne qu’un prétexte au jeu et au désir impuni, à la libération des conventions (Romy n’a jamais eu un seul orgasme avec son mari). Là où la finalité primitive du désir masculin n’est dominée que par l’acte pénétrant final, la beauté du désir féminin vient quant à lui de son détachement, le jeu, l’imaginaire, cette guerre des sens, la recherche de l’autre, une sensorialité purement féminine qui explose la grossière débilité machiste (et cette crise de jalousie pathétique du mari trompé). Le désir féminin prend alors une dimension quasi grandiose.
En résumé : Le désir féminin s’expose et s’impose dans cette tornade de dominant-dominé avec une Nicole Kidman au firmament du plaisir faussement coupable. 4/5
« Babygirl » de H. Reijn – sortie le 15 janvier
- Mort programmé : LA CHAMBRE D’À CÔTÉ
Comment ne pas s’incliner devant une telle maitrise, un Almodóvar décomplexé de ses obnubilations œdipiennes qui ont pu fatiguer par le passé (premier tiers de sa filmographie), libéré depuis son autobiographique « Dolor y Gloria », et accouchant ici d’un réel chef d’œuvre, Lion d’or mérité à Venise, et grandiloquence d’une mise en scène assourdissante d’intelligence, une tension faussement hitchcockienne, drôle, infiltrant de l’absurde et de la légereté dans une tension éthique, une lourdeur philosophique sur le sens même à ordonner à sa propre mort. Martha est mourante, elle souhaite décider du jour où elle partira (par une pilule tueuse achetée sur le Dark Web). Ingrid l’accompagnera, dans « la chambre d’à côté », jusqu’à cette fin programmée. Tilda Swinton et Julianne Moore, stratosphériques, épousent les directives d’un Almodóvar en roue libre, demiurge modeste et immense, humble et génial, signant chaque plan comme un tableau de maitre, naviguant avec fausse simplicité dans les méandres torturés d’un esprit désormais obnubilé par la disparation, la finalité de l’être, et de la trace laissée. Splendide.
En résumé : Peut-être son meilleur, Almodóvar au sommet, grandeur de mise en scène, pertinence et intelligence, philosophie mortuaire et porte ouverte à l’éternité, celle de la mémoire, et des images qui ne s’effacent pas. 5/5
« La chambre d’à côté » de P. Almodóvar – sortie le 8 janvier
- Cinéphilie : SPECTATEURS !
Il y a le cinéma, le poids de son histoire, sa technicité confrontée à sa philosophie, la pellicule, la mécanique face au suggestif, il y a les 24 images par seconde, le mensonge en accéléré, puis ce qu’on en fait, ce que l’on en déduit. Desplechin trace une ligne chronologique et torturée, de sa propre enfance à son adolescence contrariée, un amour de jeunesse face à l’amour de toujours, le cinéma, accompagnateur de vie, de douleurs, paradigme intemporel traversant les âges et les temps. Le cinéma comme vecteur d’un Monde qu’il est parfois plus simple de supporter isolé dans une salle que seul dans la rue. Et puis il y aura « Shoah » de Lanzmann, « Les 400 coups » de Truffaut, le basculement décisif d’un étudiant bégayant en cinéaste, une vie bouleversée par des images projetées, et cet acte de foi décisif, celui qui pénètre la chaire, et qui nous fait définitivement comprendre que le cinéma n’est pas « que ça ». Qu’il est surtout « tout ça », ce geste artistique capable de changer le monde, changer son monde avant de changer celui des autres. Que le cinéma vit et vivra, que de la passion nait la création, que de la fascination nait le don, le don de soi, à la salle, aux cliquetis des projecteurs et des pellicules qui claquent, à vous, à nous, les « spectateurs ».
En résumé : Du petit manuel didactique au parcours autobiographique, Desplechin et sa délicieuse piqure de rappel cinéphile pour ne jamais oublier l’importance du cinéma, et sa capacité à transfigurer le réel en nouvelle réalité. 3.5/5
« Spectateurs ! » de A. Desplechin – sortie le 15 janvier