Cet article est à retrouver dans Le Bonbon Nuit, lieu premier de sa publication.
Déjà bien représentés dans ces pages (avec Rewind and Play et De Humani Corporis Fabrica en janvier), le documentaire est encore à l’honneur en ce début mars, ancrant dans le réel un regard nouveau sur des atrocités passées (les camps de concentration nazis) ou le génie d’un disparu (le chanteur Christophe) ; entre deux, l’enfer des rues de Bogotá (Un Varón).
- Si tu veux retrouver le paradis perdu : CHRISTOPHE DÉFINITIVEMENT
Après 28 ans de silence, Christophe est de retour sur scène. Nous sommes en mars 2002, et son air indémodable de rockeur à voix fragile s’expose à juste distance sous le regard complice de Gonzales et Leccia. L’œil est empirique, le travail sur la lumière est empreint d’expérimentations visuelles, tout y est vaporeux, la carrure de cet homme indélébile transgresse le temps qui passe, un mystère impénétrable ; d’ailleurs, ses lunettes fumées ne tomberont qu’à une seule reprise, sans son accord, lors d’une séance de maquillage dévoilant son visage derrière le masque. Des répétitions aux live (notamment celui de l’Olympia), de l’exigence au lyrisme intuitif, Christophe est immortel, son documentaire ne répondant à aucune question, un hommage sans en être, une déclaration sans mot, une sublime et indescriptible succession d’images immatériels, vaste rêve et imagerie utopiste, flouté, ralenti, merveille d’un paradis retrouvé.
Pourquoi il faut y aller : Pour cette expérimentation visuelle passionnante posée sur la voix unique de Christophe
Mais d’un autre côté… Si tu n’as jamais crié Aline pour qu’elle revienne, passe ton chemin
« Christophe définitivement » de D. Gonzales-Foerster & A. Leccia – sortie le 8 mars
- Si tu veux revivre l’horreur par la photographie : À PAS AVEUGLES
Christophe Cognet a retrouvé les traces de photographies clandestines pris dans les camps de la mort nazi. Avec l’aide de spécialistes, et un travail d’investigation minutieux, il revient sur leurs traces, en tentant à son tour de positionner son regard à leur hauteur. Cognet acte l’héroïsme et la bravoure inouïe de ces photographes amateurs, l’image en geste de résistance jouant son rôle fondamental de transmission des atrocités nazis. Même si à la loupe, les interprétations demeurent et la vérité restant non élucidée, là n’est pas l’essentiel. La force du film nait de son procédé d’apposition de la photographie à la réalité contemporaine, le passé sur le présent, un décalque troublant qui filme le calme apaisé d’une nature vierge et nue des hommes sur l’horreur de leurs actions 70 ans auparavant. Au-delà du travail d’investigation, ce parallèle nous rappelle à quel point l’horreur du passé peut s’apposer en nouvelle réalité du présent.
Pourquoi il faut y aller : Au-delà de son investigation prenante, c’est cette application des images d’époque à la réalité d’aujourd’hui qui intrigue.
« À pas aveugles » de C.Cognet – sortie le 8 mars
- Si tu veux croire au sentimentalisme face à la violence : UN VARÓN
C’est l’histoire d’un jeune homme, androgyne, qui doit jouer les caïds dans un foyer d’orphelins à Bogotà, feinter le « varón » (le « mec ») pour gagner le respect, de la coiffure au ton de sa voix, il se laisse grimer en gros bras alors que son visage poupon ne cesse de le trahir. Il ne veut pas faire partir de ce monde, lui qui pleure sa solitude (avec une sœur absente et prostituée, une mère en prison), mais personne ne lui donne le choix, sa destinée a acté sa nature, ici, pas de place au sentimentalisme, encore moins à la question du genre (brillamment mis en scène par touches suggestives, son pied juxtaposé à côté d’une chaussure à talon, une bouche dessinée en rouge à lèvre sur un miroir, un soutien-gorge observé). Et c’est ce qui émeut, ce faciès de bambin, cette voix à peine muée qui joue à celui qui ne sera jamais dans le seul but de rompre avec sa profonde solitude. Et quel message final fracassant que de voir cette sensibilité émotive barrière d’intégration de ce monde dompté par la violence devenir finalement une force salvatrice l’empêchant de commettre l’irréparable. Et lui ouvrir, peut-être, les portes d’un futur.
Pourquoi il faut y aller : Car c’est rare de voir la violence de la rue et la pauvreté qui l’accompagne filmées avec un sens de l’espoir.
Mais d’un autre côté…Si court que la fin arrive presque trop tôt, et peut même couper une émotion naissante
« Un Varón » de F. Hernández – sortie le 15 mars