Y’a quoi au ciné ? Début novembre 2023

L’article est à retrouver dans Le Bonbon Nuit

Franchement, il n’y a pas plus déprimant que le mois de novembre, il fait nuit et moche, les lumières de Noël ne scintillent pas encore, on se retrouve dans une espèce d’entre-deux à se foutre en l’air, une lourdingue période qui précède la grande bouffe de décembre, et qui nous pompe toute énergie bienfaitrice à errer comme des zombies sous la pluie. Alors pour tenter de s’extirper de ce marasme aux feuilles mortes, on vous propose l’immense dernier film de Marco Bellocchio (« L’enlèvement »), un docu d’une classe folle sur la ville de Recife au Brésil par Kleber Mendonça (« Portraits fantômes »), le dernier David Fincher (« The Killer »), le come-back miraculeux de Marion Cotillard (« Little Girl Blue ») et du pseudo-cool faussement dénonciateur, le grand winner du Certain Regard de Cannes cette année (« How to have sex »).

Grandiloquence  : L’ENLÈVEMENT

Bellocchio met son nez sous la soutane avec un versant tragique de l’histoire catholique et le rapt d’enfants juifs à leurs parents car baptisé de force (souvent en cachette par la nounou qui balançait un peu d’eau sur le front du gamin avant de tout balancer au Vatican). Ces enfants d’à peine 6 ans se voyaient alors forcés de devenir curés, isolés dans une « école de prêtre » (pas sûr du terme). Bellocchio sort l’artillerie lourde, grandiloquence de mise en scène spectaculaire, bande-son tonitruante, une photographie et ses jeux de lumière à tomber, les poils qui se dressent, la poitrine qui s’écrase, un vrai coup de maitre : après Scorsese, les anciens sont dans la place. De cette terrible histoire, Bellocchio en tire aussi une lecture plus moderne de l’endoctrinement des plus jeunes, ce lavage de cerveau religieux où toute réalité émotionnelle est distordue (cette terrible fin entre Edgardo le « héros » malgré lui du film et sa mère), un fanatisme qui transforme l’innocence en violence, la naïveté d’un gamin en sombre manipulateur à col blanc. Grandiose.

En résumé : Film-opéra, grandiloquence, dramaturgie, c’est immense, du grand « spectacle ».  5/5

« L’enlèvement » de M. Bellocchio – sortie le 1er novembre

  • Nostalgie cinéphile : PORTRAITS FANTÔMES

Fascinant comme Kléber Mendonça arrive dans ce documentaire sur sa ville natale de Recife au Brésil à imbriquer le fictionnel (principalement à partir d’image de son premier film, « Les bruits de Recife ») au réel de sa maison d’enfance, les images se juxtaposent entre film familial et film tout court. D’un souvenir d’une infection de termites germera l’idée de son film Aquarius, du souvenir de l’aboiement du chien du voisin celui de son premier long-métrage. En ce sens, Mendonça nous rappelle que le cinéma ne peut être qu’une démarche profondément intime, une exposition métaphysique des souvenirs de son passé. Dans la seconde partie, le réalisateur brésilien s’intéresse aux salles de cinéma, et nous remémore avec grâce que le cinéma congédie les espaces (les quelques salles aujourd’hui disparues dans le centre-ville de Recife) en théâtres fantômes. Et qu’un film se transformera irrémédiablement , un jour, en documentaire de son époque. Les salles sont aujourd’hui enterrées sous des armatures de Mall gigantesques et ne trouvent de mémoire vivante qu’à travers les films où ils ont été tourné. L’ultime partie est sur la pesanteur bien connue de l’église évangélique au Brésil, inondant de manière sectaire le pays depuis près de 20 ans.  Les cinémas subsistants sont vus comme des temples, les gens s’agenouillant pour s’abreuver d’Hitchcock pendant que d’autres ont été tristement remplacées en chapelle évangéliste. « Portraits fantômes » est une merveille de documentaire qui dégage une mélancolie salvatrice sur le cinéma et ses espaces de vie.

En résumé : Très intime dans sa première partie, Mendonça offre ensuite un documentaire gracieux sur le cinéma, et son lien aux espaces présents et passés (principalement l’entité indispensable de la salle de cinéma). 3,5/5

«Portraits Fantômes » de K. Mendonça Filho  – sortie le 1er novembre

  • Tueur en carton : THE KILLER

Fincher, ce réalisateur adolescent qui a aspergé nos fantasmes cinéphiles de bac à sable (Seven Fight Club) est de retour après sa foirade – déjà sur Netflix, Mank. L’entrée est spectaculaire de langueur et de silence, un tueur observe, attend, s’ennuie. Là où Fincher nous assomme généralement de tension chevaleresque (Gone Girl, Millenium), il prend ici enfin le temps de l’observation, de filmer l’avant plutôt que le pendant. Mais de cette belle promesse, le néant. Sans aucun enjeu dramatique, Fassbender (qui joue ce « killer », roi des tueurs à gage) enquille les Miles (passant d’aéroport aux voitures de locations) d’un acte vengeur incompréhensible, justifiée par une risible mise à l’écran d’une femme que l’on présume être la sienne. Cela aurait été bien plus fin d’éliminer tout lien de causalité entre sa motivation et ses actions, une dérive meurtrière gratuite et totale. Mais non. Si l’on rajoute cette voix off ridicule à la Dexter des mauvaises saisons, et Fassbender multipliant les banalités de langage, on s’ennuie ferme jusqu’à cette fin en queue de poisson, ce cul vissé à une chaise longue qui refoule bien fort le bâclé. On aurait tant aimé un jusqu’au-boutisme, de la violence gratuite, répétée jusqu’à vider toute sève d’humanité, ou encore rester sur cette première scène, filmer ce tueur à gage dans la normalité du quotidien plutôt que l’exceptionnel de son caractère. Là encore, c’est non, rien ne vient, tout est vain.

En résumé :  Ca se veut grande critique du capitalisme, ça finit la tête dans les chiottes à gerber de la bile, le ventre désespérément vide. 1.5/5

« The Killer » de D. Fincher  – sortie le 10 novembre (sur Netflix)

Fille De : LITTLE GIRL BLUE

Faire acte de mémoire, surtout lorsqu’il s’agit d’une histoire intime, est plus que casse-gueule, on peut y mettre bien trop d’affect ou à contrario, une rage incontrôlée, on peut se paumer dans les archives, dicter plutôt que conter, être en sur-jeu (on pense récemment à Rouve dans Le Consentement de Vanessa Filho), bref, les écueils sont pléthores. Mona Achache arrive l’extraordinaire pari de parler de sa mère (Carole, fille de l’éditrice et romancière de renom Monique Lange), son parcours chaotique (de prostituée à New-York) au plus tragique (violée enfant par le répugnant Jean Genet), avec une telle hauteur de vue, un apaisement quasi divin, une conscience et un sens du pardon somptueux. Marion Cotillard joue là l’un de ses plus grands rôles, elle n’est plus dans la performance (« Piaf »), mais dans l’interprétation d’une époque, celle de 68, révoltée, punk, mais étrangement absente, une fuite vers l’avant, et un laxisme pervers sur le corps des femmes. Bien que Carole Achache se soit battue pour le droit à l’avortement, elle concède le viol répété de sa fille dans une moue acceptative glaçante, parlant de « malédiction » dans la famille, une fatalité face à la toute-puissance de l’homme. Mona Achache réussit donc l’impensable, bouleverser sans jamais juger, sa position n’est jamais victimaire (alors qu’elle en aurait le droit), et la variation de ses formes (documentaire, audio, reconstitution) épaississent encore un peu plus la tonalité magistrale cette rencontre tri-générationnelle.

En résumé : Oui Marion Cotillard est formidable, mais la beauté du film réside dans la mixité de ces procédés de mémoire, et une distance désarmante de grandeur sur 3 générations successives de femme, d’une grand-mère à sa mère et sa fille. 4/5

« Little Girl Blue » de M. Achache – sortie le 15 novembre

Bôferie : HOW TO HAVE SEX

Il n’y a rien de plus agaçant que les films qui se filent un genre « moderne et ouvert » alors qu’il ne véhicule finalement qu’une litanie de boferie (ici des anglais qui se la collent en Crête) réduisant cette fameuse jeunesse libertaire en un troupeau de bovins écervelés avec en seul moyen d’expression, la picole et la teuf. En plus d’une esthétique franchement laide, la mise en scène caricaturale assomme. Rajouté à cette déglingue balourde, une sacralisation du rapport sexuel et de cette fameuse « première fois ». Pour Tara – encore vierge, la question du consentement aurait dû être la grande dramaturgie du film, il n’en sera rien. Ce qui devait arriver arriva, et Tara chamboulée par cette mauvaise et traumatisante première expérience avec un ami de picole sur la plage perdra pieds. Si la notion de consentement est indéniablement prioritaire, elle est ici à peine soulevée, ni même réellement confrontée. Et l’on s’attarde bien trop sur cette première expérience sexuelle qui semble aujourd’hui un sujet au mieux clos, au pire dépassé dans une stigmatisation hétéronormée poussive. Pour un film qui se veut générationnelle, le sujet semble plus celui des grands-parents que des petits enfants.

En résumé : Un film fake, qui voudrait être générationnelle et nous parler avec intelligence de la notion de consentement, mais qui pose un regard bof et rétrograde sur le sexe homme-femme. 2/5

« How to Have Sex » de M. M. Walker – sortie le 15 novembre

En bonus : le très beau Goodbye Julia de M. Kordofani (sortie  le 8 novembre), premier film saoudien présenté au Certain Regard de Cannes cette année. De son cadre politisé (le conflit religieux entre catholiques et musulmans) s’élève le cœur du film, le péché de tous les péchés, le mensonge, et de lui, la source de tous les maux. Un premier film encore un peu tendre, mais remplis de promesses, notamment par une forme de poésie du désespoir. (3/5)