L’article est à retrouver sur le site du Bonbon Nuit, lieu premier de sa publication.
Il y a des semaines moins emballantes que d’autre, et ce début d’octobre n’y coupe pas avec des sorties plus ou moins heureuses. Pire, et grand malaise cinéphilique, c’est plus du côté de Netflix que la sensation est née, le temps de court instants, ceux des vignettes de Wes Anderson imageant les histoires de Roald Dahl dans un style inimitable, petit théâtre carton-pâte et grandeur de mise en scène. Néanmoins, en salle donc, un film de genre moyennasse (« Le règne animal »), la férocité vengeresse de nuits mexicaines (« Perdu dans la nuit »), un documentaire sur un service de gynéco à l’hosto (« Notre corps »), et l’adaptation du bouquin de Vanessa Springora sur Matzneff, le pédophile protégé par l’intelligentsia parisienne (« Le consentement »).
- Bête de foire : LE RÈGNE ANIMAL
Émile est un ado qui bouffe des chips (Paul Kircher), son père François (Romain Duris) l’engueule de manger ses cochonneries. Jusque-là, la banalité d’une relation parentale. Puis, le fantastique surgit du réel avec l’apparition soudaine d’une créature étrange mi-bête mi-humaine qui fait basculer le film dans la fable. Ces « bestioles » (comme ils sont nommées) qui pullulent désormais alarment la population, et de ces inquiétudes d’un bouleversement de hiérarchie darwinienne naissent leur rejet. On comprend rapidement que la mère est en une, et que le duo Emile-François désemparé recherche ardemment l ‘antidote à cette transformation génique. Malheureusement, le film est diesel, peine à s’installer, fusillé par le sur-jeu de Duris, l’apathie de Kircher, et ce second rôle incompréhensible de tiédeur de Adèle Exarchopulos en policière lisse et sans enjeu. Le film grandit à mesure qu’il s’élève de son sujet, décolle même littéralement d’une très belle scène d’envol d’une bestiole jouée par l’excellent Tom Mercier. Cailley arrive alors à capter l’humanisme à travers la monstruosité, transfigurer l’initiale faiblardise de la relation père-fils en une force viscérale, débordante d’énergie de survie jusqu’à cette folle course poursuite à travers la foret interdite peuplée de bestioles, au départ repoussantes, et désormais majestueuses. On s’émeut même de ces 30 dernières minutes remarquables, mais qui malheureusement peinent à sauver l’ensemble, trop hétérogène, maladroit (notamment sur son versant politique), en ordre dispersé qui parfois émerveille, mais souvent ennui, rendant une copie inconsistante et brouillonne.
En résumé : Quelques fulgurances et une fin aboutie mais Le règne animal est plombé par bons nombres de maladresses d’écriture et un rythme trop hétérogène. 2.5/5
« Le règne animal » de T. Cailley – sortie le 4 octobre
- Nuit sauvage : LOST IN THE NIGHT
La vengeance dégouline du premier regard sombre de Emiliano, il veut retrouver sa mère disparue depuis 3 ans, embarquée de force par la police véreuse du coin (elle était pour la fermeture d’une mine impactant la santé d’un village mexicain, « les puissants » contre, se renflouant les poches sur le dos des ouvriers) et dont il n’a plus de nouvelles depuis. Et ce qui fait la grandeur du film, c’est ce que fait Escalante de la vengeance, souvent stéréotypée et linéaire au cinéma (de Tarantino à De Palma, dont on retrouve d’ailleurs des codes architecturales dans la maison d’une famille bourgeoise), elle est ici complètement déphasée, interrogatrice, perdant totalement de son sens jusqu’à ce qu’Emiliano ne sache plus vraiment de quel bord se situer entre le souvenir pesant de sa mère, son présent et cette naïve histoire d’amour avec Jazmin, et un futur qui s’ouvre à lui, instagramable et à paillettes. Son inaction le trahit (sautant d’un camion en route pour un assaut meurtrier, la lente hésitation face à la révélation sur le bateau) complètement paumé dans un nid de serpents entre une police corrompue, la toute-puissance de l’argent et le petit peuple qui trime mais vérolé par des envies sectaires. Emiliano s’envole au milieu de ce bordel, survivant des enfers, roi d’un monde qu’il arrive enfin à décoder, seul survivant d’une impitoyable destinée. Escalante joue les Bong Joon-ho (Parasite) avec certes moins de maitrise, mais une atmosphère féroce, un film tendu de bout en bout, haletant et percutant.
En résumé : Un faux-film de vengeance qui attaque la lutte des classes mexicaines, c’est fort et intense. 4/5
«Lost in the night » de A. Escalante – sortie le 4 octobre
- Sororité : NOTRE CORPS
Pendant presque 3 heures, nous voilà plongés en immersion dans un service de gynécologie hospitalier, là où les espoirs émergent (une grossesse, une FIV), les douleurs surgissent (l’accouchement, l’endométriose), les changements de sexe se concrétisent, et à travers le visage de dizaines de femmes, le documentaire de Claire Denis arrive le difficile jeu d’équilibre entre pédagogie et émotion, capable de nous passionner comme de nous faire pleurer sur le destin, parfois tragique, souvent magnifique, de ces femmes toutes uniques à leur manière. « Notre corps » permet également de soulever la déliquescence d’un système hospitalier français agonisant, le caméra se tournant aussi bien sur les soignants déphasés par des heures de gardes ininterrompus que sur les patients. Et leurs histoires sont tout aussi passionnantes, eux qui resplendissent de bienveillance et de professionnalisme, à rendre par ailleurs rageur de l’abandon politique qu’ils subissent continuellement. Sensation de la dernière Berlinale, « Notre corps » est de ce que l’on catalogue souvent maladroitement «un film nécessaire », il est ici une entrevue innovante, et à juste distance, sur toutes ces histoires divergentes qui trace un point commun sur les femmes, leurs corps, leur espoir et désespoir.
En résumé : Longue exploration dans les entrailles d’un service de gynéco, un film pédagogique et sensible sur la femme, ses douleurs et espoirs. 3/5
« Notre corps » de C. Simon – sortie le 4 octobre
- L’effroi : LE CONSENTEMENT
Y-a-t-il forcément nécessité d’être cru et frontal pour filmer l’horreur ? Doit-on nécessairement additionner les scènes de sexe entre Vanessa, cette adolescente de 14 ans et son bourreau pédophile, le détestable Gabriel Matzneff pour comprendre l’emprise psychologique démentiel de cet intellectuel salué par les plus grands (Miterrand en haut de la liste) ? Et bien non, tout est cru, factuel, sans enjeu de mise en scène, Jean-Paul Rouve est plus dans la caricature que l’interprétation. Ce que le film arrive encore le mieux à soulever, c’est le silence étourdissant du milieu intellectuel parigo de l’époque, Matzneff pouvant se donner à toutes les exactions répugnantes dans une moue acceptative terrifiante (notamment dans Apostrophes avec Bernard Pivot, les diners mondains qui voyaient défiler les jeunes filles, le regard baissé de la brigade des mineurs). Raté, et n’apportant pas grand-chose au séisme qu’était le livre sorti en 2020, il a le mérite de renvoyer au caniveau cette fameuse remarque de petit réac : « c’était mieux avant ». On ose imaginer (même si l’invitation récente de Luc Besson sur le plateau de Quelle époque pourrait me contredire) qu’à l’heure de MeToo, un tel silence de plomb sur les pratiques les méfaits d’un pédophile serait impossible (Matznef qui décrivait déjà ses relations sexuelles avec des enfants dans ses bouquins). Film à la fois terrifiant, mais bancale, Vanessa Filho n’arrive jamais à dépasser l’ancre des lignes, et n’offre malheureusement qu’une pâle adaptation.
En résumé : Trop factuel, le film n’arrive jamais à se détourner du livre, et ne fait que rééditer le cauchemar dans une mise en scène crue mais absente 2/5
« Le consentement » de V. Filho – sortie le 11 octobre