Y’a quoi au ciné ? Début septembre 2024

Le festival de Venise, c’est un peu le côté popu’ de Cannes, ça additionne les réalisateurs
tapageurs (Guadagnino, Cuaron, Burton, Todd Philips) pour se pavaner dans un cinéma
provocateur, « moderne » (au très mauvais sens du terme) qui tente de se démarquer de
la concurrence par les évènements qu’il espère créer (on se souvient de l’émotion de
Brendan Fraser en larmes après la projection du terriblement mauvais « The Whale »),
aujourd’hui c’est Angelina Jolie portée aux nues pour sa performance en Maria Callas dans
le film de Pablo Larrain. « Performance », le mot n’est pas anodin, tant Venise représente
sur ces dernières années le tare du cinéma contemporain, et sa recherche de
« performance » et d’effet de vague. En ce début septembre, nous avons décidé par pur
plaisir de contradiction de ne parler que de « petits » films indépendants, mais méritant
amplement toute notre attention. Alors un peu de prise de risque pour aller découvrir un
film satanique colombien (« Mi Bestia »), un film tibétain fascinant (« Le léopard des
neiges ») et un film contestataire iranien en ceinture noir (« Tatami »).


 Émancipation : MI BESTIA


Troublante imagerie au ralenti, état second, trip hallucinatoire paranoïde où d’une plate
normalité (une jeune lycéenne en pince pour un garçon de sa classe) se dessine le
cauchemar, et la violence. Une éclipse lunaire est annoncée, et avec elle, le délire
apocalyptique de l’avènement de l’antéchrist. Mila pose un regard désabusé sur ces
bondieuseries, mais son corps lui, se transforme, ses iris à la lueur d’une jaune perçant, du
sang dans son entre-jambe, des poils drus sur ses avant-bras. De ce transmorphisme animal
(tant vu au cinéma ces derniers mois : « Le règne animal », « Tiger Stripes », « Bird » à
Cannes de Andrea Arnold), Camila Beltrán filme l’émancipation d’une adolescente qui n’a
plus le droit de l’être : face à elle, la perversité adulte (et ce beau-père insistant et au regard
libidineux), l’absence d’une mère (débordée par son travail à l’hôpital), les avances d’un petit
ami (qu’elle repoussera par une morsure en guise d’embrassade), les rues de Bogota et les
regards désireux, le monde de l’enfance est définitivement enfoui dans la terreur et
l’horreur (et ces cris d’enfants d’outre-tombe, perdus dans les limbes de l’oubli). « Mi
Bestia » est atypique, bricolé, foutraque par moment, mais généreux, jusqu’au-boutiste dans
son désir d’interpeller, et de foudroyer, imparfait donc, mais unique et avant-gardiste par un
cinéma horrifique qui se refuse de tomber dans sa codification.

En résumé : Esthétique au ralenti, transfiguration satanique d’une jeune adolescente
plongeant dans la violence du monde adulte, un film à part, qui ne laissera personne de côté.
3/5

« Mi Bestia » de C. Beltrán – sortie le 4 septembre

 Ippon : TATAMI


Il y a donc ce noir et blanc intense, presque trop beau pour filmer la sueur des tatamis et ces
corps enlacés et combatifs, une photographie « proprette » qui réussit néanmoins à nous
immerger à son cœur, ippons, clés de bras, prise de judogi, nous voilà en plein revival des JO,
dans une sur-esthétitisation à la Guadagnino et ses tennisman de Challengers. Leila est une
judoka iranienne en lice pour la médaille d’or au championnat du monde, elle déroule son
talent jusqu’à ce qu’un appel téléphonique à sa coach Maryam bouleverse le cours de son
tournoi. La fédération iranienne lui demande de déclarer forfait pour éviter de croiser la
route d’une athlète israélienne, une confrontation inimaginable pour cette dictature
islamiste. De ce judo esthétisé, nous basculons alors dans le message éminemment
contestataire. Et c’est là où le film se plante en partie, la présence du régime est sous-
représentée (deux, trois obscurs personnages en arrière-plan, des violences et menaces sur
leurs proches trop discrètes), et ainsi, l’interrogation morale et fondamentale trop peu
exposée : courber l’échine pour sauver ces proches ou bomber le torse de la révolte et
continuer le tournoi, sous peine de faire souffrir sa famille ? La question semble à peine
évoquée, car élucidée si vite, il y a alors la répression, et face à elle, la rébellion
automatique, sans nuance ou interstice. En somme, du noir et du blanc qui manque
cruellement de relief de gris. Il n’en reste pas moins une réussite formelle incontestable, et
une voix, même si peu réflexive, face au régime tyranique irannien en place, et questionnant
par ailleurs leur présence récente au JO de Paris.

En résumé : Haletante immersion par ses très beaux combats, mais dénaturant alors son
propos contestataire qui s’épuise dans une binarité manichéenne qui ne laisse pas assez de
place au doute et à l’échec (moral). 2,5/5


« Tatami» de G. Nattiv et Z.A. Ebrahimi – sortie le 4 septembre


 Antropomorphisme : LE LEOPARD DES NEIGES


Un groupe de documentariste gravit les sublimes paysages désertifiés du nord de la Chine à
sa frontière avec le Tibet. Un léopard des neiges, emprisonné malgré lui dans un enclos à
bétails a dévoré 9 béliers, et reste ainsi, pantois, dans l’attente décisive du choix de
l’homme: mourir pour protéger le reste du bétail (le choix du berger), ou survivre (le choix
du moine et des autorités). De ce choix binaire va grandir l’émoi : un moine lui fait face, yeux
dans les yeux, lui qui entretient une relation particulière avec ce léopard qu’il a déjà sauvé
auparavant, au loin, les déchirants cris d’un bébé léopard attendant le retour de sa mère, le
berger, désabusé par l’absence d’aide étatique veut en finir avec cette bête qui lui a couté
toutes ses économies ; quant à la caméra du documentariste, elle est cette ligne marginale,
impassible, qui sépare consciencieusement les deux camps. Mais l’idée magistrale de
Tseden, c’est d’établir précautieusement un autre regard, celui du principal intéressé, la
caméra se posant à la première personne dans les yeux du léopard : on revit alors à la fois
son geste de rage lors du massacre des bestiaux, puis sa détermination à survivre dans
l’enclos, car dans cette quête anthropomorphique, l’angle de vue du léopard est à niveau de
celle des hommes, un antispécisme salutaire qui définit le léopard en une entité entière et
déterminante. Une vraie réussite pour un film animaliste qui sait alors parfaitement identifier sans démagogie idiote l’interconnexion souvent dramatique entre l’homme et
l’animal, sans aucune hiérarchisation.


En résumé : Hypnotique, comme le regard du moine dans celui du léopard, un film
profondément animaliste qui reconnaît la détresse des hommes à niveau de celle de
l’animal, dans un cinéma libre de toutes concessions. 3.5/5


« Le léopard des neiges » de P. Tseden – sortie le 11 septembre