L’article est à retrouver dans Le Bonbon Nuit, lieu premier de sa publication.
Nauséeux de ce matraquage médiatique entre « Barbie » et « Oppenheimer », j’ai choisi délibérément d’abandonner le Nolan Show et sa bombe atomique pour privilégier l’absurdité hilarante et la lecture acide faussement rose-bonbon du Barbie de Greta Gerwig. A ses côtés, l’on défend comme toujours notre protégé Hong Sang-Soo et sa lecture minimale de cette sensation intime de solitude qui nous traverse tous (« De nos jours »), et un premier film français remarquable qui investigue l’éducation par le prisme de sa déconstruction (« Paula »).
- Solitude : DE NOS JOURS
Clôture de la dernière Quinzaine des cinéastes de Cannes, Hong Sang-Soo et son 30ième long-métrage (pas hyper sûr du décompte dans cette frénésie de sortie) continue dans un jusqu’au-boutisme compulsif son exploration des relations humaines, de la solitude, du bonheur simple et de ces riens qui font tant, de la détresse quotidienne (la maladie, un chat qui s’échappe) au bonheur minimal (quelques notes de guitare, une taf’ cigarette). D’un côté une actrice en retraite, de l’autre un poète porté sur la bouteille qui se bat contre son addiction, et à leurs côtés, une nouvelle génération admirative et naïve. Les deux séquences se répondent par clin d’œil sans interaction directe, et soulèvent une interrogation clairement autobiographique que Hong Sang-Soo ne cesse de nous proposer (de « Introduction », à « Walk Up », en passant par « La Romancière, le film et le heureux hasard » récemment) : les années s’égrènent dans une solitude qui pourrait s’apparenter à une souffrance de l’âme, mais qui finalement élève vers une quiétude régénératrice, un cœur qui s’allège, dédouané d’un futur maudit (ici la mort si le poète n’arrive pas à arrêter à boire). D’ailleurs, d’un geste libertaire, le poète s’allume une clope, se sert un verre de whisky, joyeusement seul sur un toit désert.
En résumé : Un film oxymore : petit, et malgré tout immense. 4/5
« De nos jours » de H. Sang-Soo – sortie le 19 juillet
- Éducation : PAULA
Paula est une jeune fille curieuse et éveillée, qui n’hésite pas à sécher l’académisme des cours pour s’aventurer avec son ami Achille dans les méandres industrielles d’une rivière en bord d’usine. L’été arrivant, son père gravement malade, décide de l’amener en forêt pour les vacances. Au départ, l’on se trouve admiratif de la déconstruction éducative de Paula par ce père formidable d’inventivité pour élever sa fille (éducation écologique, reconnexion à la nature, annihilation de la peur, responsabilisation, régimes nutritifs sans sucre, stimulation intellectuelle permanente). Puis tout bascule, la déconstruction engagée se transforme en dictature idéologique matérialisée par une maison qui s’effondre (les objets qui l’habitent son brisées au sol, les parois dévissés), les leçons deviennent des ordres, il n’y a plus de jeu. Le malaise, la peur, puis la violence prennent le pas, le père malade se transformant peu à peu en monstre. Un premier film sidérant de justesse, « Paula » prouve une nouvelle fois la vitalité d’un cinéma français qui sait filmer, mais surtout réfléchir sur les grandes thématiques de notre temps (on pense également au merveilleux Astrakan l’année dernière).
En résumé : Un Shining éducatif, ça donne pas envie de foutre son enfant chez Montessori 4/5
«Paula » de A. Ottobah – sortie le 19 juillet
- Féminisme rose bonbon : BARBIE
Un marketing agressif et invasif à souhait, un sujet hyper casse-gueule qui peut rapidement sentir le toc, Barbie avait de quoi se vautrer. Et pourtant, Gerwig a réussi son pari osé avec cette quête féministe certes un peu littérale mais terriblement drôle, burlesque et acide. Le film joue de la nostalgie et de son image poussiéreuse pour créer une héroïne moderne, punkette blonde capable de renverser à elle seule les conventions patriarcales, digne représentante du genre féminin, s’amusant de l’idiotie du machisme et de la bêtise poisseuse des mecs. Barbie ne cesse de nous bousculer d’un va-et-vient incessant entre la chute et la conquête, l’humain et le factice, l’homme et la femme, un symétrie à la fois scénique et scénaristique qui glisse dangereusement vers l’automatisme pour savoir se métamorphoser à temps en une déclaration humaniste, bien qu’un peu bricolée, juste et touchante (l’émotion dépasse la perfection). Le film devrait cartonner, et c’est tant mieux, car sa réussite formelle est implacable, et son propos féministe engagé devrait atteindre toutes les strates d’une société qui peine à ouvrir les yeux.
En résumé : On se prend la leçon par Barbie et on ressort blindé de Kenergie. Qu’est-ce que vous voulez de plus ? 4/5
« Barbie » de G. Gerwig – sortie le 19 juillet