Cet article est à retrouver dans Le Bonbon Nuit, lieu premier de sa publication.
« Météorite, narcissisme et sororité »
La meilleure excuse pour aller au ciné en pleine chaleur, c’est sa clim. Cette année n’y déroge pas, mieux vaut être enfermé en salle plutôt que dans ton RER B en panne. Alors pour embrailler sur ce début d’été, trois propositions de cinéma bien distinctes mais toutes réussies : le retour en fanfare de Wes Anderson (Asteroid City), un narcissique incapable d’aimer (Passages) et un docu improbable sur une capitaine de bateau à l’accent sudiste (Polaris).
- Météorite : ASTEROID CITY
C’est un film dans un film, ou plutôt une pièce de théâtre dans une pièce, où l’on suit en parallèle sa genèse et sa mise en scène, Wes Anderson brouillant les pistes entres le devant et l’arrière du rideau. Mais au-delà de sa mécanisation scénique bien rôdée, il signe son grand retour avec enfin une personnalisation d’un cinéma érodée sur ces dernières réalisations, sa liste de célébrités est au service de son film et non plus pour enjoliver son affiche (avec ici un Tom Hanks stratosphérique, une Scarlett Johansson somptueuse). Asteroid City touche en plein cœur par sa lecture du deuil, son regard poétique sur la solitude des acteurs, la relation père-enfant (déjà magistrale dans La Famille Tenenbaum), il y a de l’humour (et cette séquence sensas avec un alien tout mimi), et surtout, des face à face en moment de grâce (Schwartzman face à Johansson puis Margot Robbie). Immense plaisir à larmichette que de retrouver notre Wes au firmament.
En résumé : Que c’est bon de retrouver un amour paumé (Wes Anderson) 5/5
« Asteroid City » de W. Anderson – sortie le 21 juin
- Narcissisme : PASSAGES
Tomas est un réalisateur à succès, la première scène sur un tournage l’affiche comme un homme exigeant, imbus de lui-même mais pas encore sociopathe. Ca, on le découvrira au fil du film lorsqu’il lâche son mec avec qui il est couple depuis 15 ans pour une femme, Agathe, jouée par la toujours impeccable Adèle Exarchopoulos. Puis le doute, l’hétéronormativité et ses règles indigestes (les beaux-parents, l’enfant) viennent péricliter cette gaminerie absurde. Mais il est déjà trop tard. C’est donc l’histoire d’un homme persuadé de savoir aimer, mais n’aimant finalement pas grand monde à part lui-même et la grandeur supposée de sa petite personne. Narcisse imbuvable, artiste prétendu génial, utilisant l’autre pour nourrir sa solitude et son aigreur, Rogowski (Tomas) et sa singulière cloison nasale déviée est immense, et porte un film qui joue de sa fausse simplicité pour s’engager sur un terrain vieux comme le monde (les trio amoureux) mais codifiés des nouvelles normes. Jonglant entre le mélo-drame et le social, Passages prouve qu’un désir d’ouverture et de liberté c’est bien, mais pour ça, il faut savoir (s’)aimer.
En résumé : Mieux vaut être cool sans talent, qu’un gros con hyper doué. 3.5/5
«Passages » de I. Sachs – sortie le 28 juin
- Sororité : POLARIS
Docu sélectionné à l’Acid Cannes en 2022, Polaris raconte le destin croisé de deux sœurs, Hayat qui navigue en plein Arctique, capitaine affirmée de son bateau, et Leila, maman célibataire dans le sud de la France venant d’accoucher d’un petit garçon. Leur trajectoire de vie les opposent, mais l’absence de figure maternelle les retrouvent. Il y a le travail du cadre, élégant, gracieux, superbe caméra qui s’entremêle avec brio dans cette double destinée de ces sœurs éperdument seules, ne pouvant communiquer qu’à travers l’outils numérique, et lorsque le réseau l’accorde. L’absence flotte tout le long du film, ou plutôt plombe tant il émane de chacune des discussions entre les sœurettes, se rappelant leur passé douloureux (un père inconnu, une mère toxicomane qui les a abandonné), et ce qui en découle, une sensation viscérale de malédiction générationnelle (cette fameuse crainte naturelle de transmettre les erreurs du passé à sa descendance). Docu formellement superbe, et d’un espoir relatif sur la difficulté à aimer sans l’avoir été.
En résumé : Quand on rabâche que les pires épreuves de la vie peuvent endurcir, c’est pas que des conneries. N’allez pas non plus vous embarquer en Arctique si votre moitié vous lâche. 4/5
« Polaris » de A. Vera – sortie le 21 juin