L’article est à retrouver sur le site du Bonbon Nuit
Bien que l’on puisse minimiser l’impact du cinéma sur les grands changements moraux de notre temps – sujet qui reste à débat ouvert, on ne peut nier son orientation en tout temps vers les inquiétudes contemporaines ; aujourd’hui, celle qui ne cesse de nous torturer, l’hyperthermie qui habite chacun de nos réveils de cette fin septembre. Hasard du calendrier ou acte symbolique, on retrouve les feuilles tombantes de Kaurismaki (« Les Feuilles mortes »), l’éveil tardif d’une larve en papillon (« L’arbre aux papillons d’or »), l’aridité marocaine (« Déserts »), et les pluies mortifères du dernier film de Just Philippot (« Acide ») : une nature révoltée dans les salles en ce début d’automne.
- Humour noir : LES FEUILLES MORTES
On connaît le style inimitable de Kaurismäki, ce pince sans-rire hilarant et grinçant, ce minimalisme scénique qui épure jusqu’à l’essence son message anti-capitaliste, systématiquement engagé dans une lutte des classes qui se ré-invente à travers sa filmographie, mais dont le fond commun reste intact (« Le Havre », « L’autre côté de l’espoir », ou encore « L’homme sans passé »). Ici, un homme porté sur la bouteille pour oublier la galère, une femme virée d’un supermarché pour avoir volé, et une rencontre, improbable, mêlée de hasard et de désespoir (ce papier avec un numéro de téléphone qui s’envole en acte manqué). Une romance nait alors entre Ansa et Holappa, sans contact, à distance scandinave. Au milieu, un chien joue les pitres, une radio égrène le nombre de morts de la guerre en Ukraine dans une indifférence saisissante, un concert de pop suédoise retenti, les néons d’un bar croulant résonnent. Et puis, ce petit miracle qu’est l’amour redonne un semblant d’espoir dans un monde où l’individu a remplacé le commun. « Les feuilles mortes » semblent tout dire en un instant (1h20), saisir la tristesse du monde et s’en amuser d’un doigt d’honneur, un film punk, qui ne se soucie que du présent sans jamais baigner dans l’illusion du futur.
En résumé : Drôle, acide, pamphlet d’une société qui a certes perdu espoir, mais pas son sens de l’humour. 5/5
« Les feuilles mortes » de A. Kaurismäki – sortie le 20 septembre
- Caméra d’or : L’ARBRE AUX PAPILLONS D’OR
Le traveling d’ouverture inaugure la précision artistique et picturale du film, « un cinéaste est né » comme l’a dit Anaïs Demoustier lors de la remise de la caméra d’or à Thian An pour son premier long-métrage lors du dernier festival de Cannes. On ne peut que la suivre tant chaque scènes semblent imprégnées d’une divine maitrise, quasi déboussolante, la photographie sublime la beauté d’un Vietnam schizophrène entre l’enfer de ses villes et le miracle de sa nature luxuriante. A l’image du personnage principal, Thien, le visage apathique, pantin désarticulé dans une vie robotisée, anesthésié par l’appât matériel, déconnecté d’un monde qu’il pense ardemment cerner, mais dont il ignore l’essentiel (en ouverture de film, un ami ironise et joue l’oracle en lui prédisant qu’un jour il comprendra…). Jusqu’à cet appel qui changera tout (l’annonce du décès de sa belle-mère), et la responsabilité qui l’incombera (prendre en charge son neveu). Les 3 heures coulent, installent dans une forme presque trop démonstrative la puissance du cinéaste, qui oublie malgré tout de donner du caractère à son message, lisse et peu engageant (en somme, le retour à la nature comme source d’émancipation). Les longs plans fixes de maison abandonnée lorgnent du côté de Tarkovski, la musicalité de la nature de Weerasethakul, mais les influences ne s’abattent jamais en cache-misère mais élèvent un peu plus la maitrise impressionnante de ce jeune cinéaste.
En résumé : Il faut accepter s’y paumer, prendre le temps de se perdre dans cet enchainement pictural grandiose malgré un fond presque trop conventionnel en comparaison à l’ambition de son image. 4/5
«L’arbre aux papillons d’or » de P. Thian An – sortie le 20 septembre
- Sens de la rupture : DÉSERTS
Une bonne idée étalée pendant 2 heures, ça peut être longuet, répétitif et franchement bancal. La qualité de « Déserts » est dans son sens de la rupture, la première partie utilise ce duo très frères Coën, deux petits malfrats vidant les poches des plus pauvres dans des villages reculés du Maroc pour tenter de s’extirper de leurs galères personnelles (un mariage qui s’effondre pour l’un, une banqueroute pour l’autre). Les saynètes s’enchainent donc, et l’on craint avoir saisi l’enjeu trop vite. Jusqu’au basculement, et la rencontre avec un malfrat menotté, investigateur d’une nouvelle trame dramatique qui draine le film vers une horizon plus sombre : la révolte gagne, la violence remplace le burlesque, l’aridité du désert prend définitivement le pas sur la chaleur humaine. Le film se termine par l’union de ses deux parties, le duo et le vigilante se perdent ensemble entre onirisme et réalité, des souvenirs hantés refont surface, la vérité froide d’un Maroc corrompu inonde définitivement toute candeur bienveillante. Un gros morceau de cinéma, qui a le mérite de ne laisser aucune indifférence s’installer, un film clivant et perturbant.
En résumé :. D’une grande ampleur – presque trop, touche à tout entre comédie et dénonciation politique, un film vraiment unique. Ça passe ou ça casse. 3.5/5
« Déserts » de F. Bensaïdi – sortie le 20 septembre
- Pétard moullié : ACIDE
Sans s’être emballé outre-mesure, « La nuée », le premier film de Just Philippot faisait naitre un espoir de film de genre à la française en 2021. Et le syndrome du deuxième film a frappé, plus de budget, un acteur bankable dans les pattes (Guillaume Canet), une ambition mal calibrée, et un plantage en règle. Le duo Canet-Munchenbach ne marche pas, rien ne découle de cette relation contrariée père-fille, le montage incompréhensible nous perd et accable une accumulations de clichetons du film « survival » laminés entre Spielberg (« La guerre des mondes ») et Shyamalan (« Phénomènes »). La pauvre Laetitia Dosch relève le niveau mais drame du film, disparaît bien trop vite pour laisser carte blanche au très mauvais Guillaume Canet qui s’imagine en gilet jaune des basses-cours avec sa tête de macroniste. Frustrant.
En résumé : Foirade intégrale, un budget dilapidé, mal négocié entre un casting foireux et une surenchère d’idée toute pompée ailleurs. 1.5/5
« Acide » de J. Philippot – sortie le 20 septembre