L’expérience pure, sensorielle et esthétique peut rendre un cinéma admirablement beau, mais absent (le dernier film de Park Chan-Wook Decision To Leave découvert à Cannes, et presque trop parfait pour émouvoir, l’expérience Gravity et son côté Futuroscope de luxe). Avec le cinéma de Weerasethakul, le force métaphysique et la réflexion qui s’y associe portent une mise en scène à un état supérieur, où le film ne cesse de vivre par l’interrogation qu’elle porte. Frammartino (Le quattro volte) est de ce sang là. Au départ contemplatif par son naturalisme, Il Buco en devient hypnotique par sa trame absente et sa succession de tableaux magnifiés par une Italie sauvage et secrète. Puis, l’interrogation philosophique s’installe, dans une lenteur inhérente à son dessein. Tout s’éclaire à la lumière des spéléologues à qui est dédié ce film, dans la pénombre des entrailles rocheux de l’abîme de Bifurto. Frammartino nous offre deux trajets intérieurs diamétralement opposés et pourtant, que tout uni (la quête de l’éternité, l’une par la découverte, l’autre par la mort). Leur issu, est elle aussi bien différente : d’un côté, les scientifiques qui buteront face à une roche impénétrable, de l’autre, un vieil homme mourant, le sang quittant ses veines, sa respiration s’étouffant, qui lui, a contrario, finira pas trouver le chemin qui le mènera vers l’intemporalité, sa voix résonnant encore dans la brume des alpages de Calabre. Comme toute œuvre majeure, et comme le son de cette voix qui entête, elle erre d’une manière ou d’une autre dans notre corps, plus que notre tête, tant l’expérience est principalement sensorielle que réflexive.
L’humour, lui totalement absent d’Il Buco, vient avec Limbo créer une atmosphère unique, qui élève le poids de la détresse dans une poésie grâcieuse, une humanité dans des conjonctures elles inhumaines. Si Wes Anderson était encore cinéaste, et que ses propos avaient encore du sens, il filmerait ce que Sharrock met en scène : une géométrie visuelle qui porte avec modernité et espoir, en refusant toute nostalgie passéiste superflue, un regard décisif sur la souffrance du monde, celui du départ forcé et du déracinement des peuples. Limbo nous rappelle que le lâche n’est jamais celui qui part, quitte sa famille et son pays, et que derrière chaque immigré, une histoire unique s’y inscrit, et que chacune d’elle compte. L’humour anglais donc, la poésie de l’écriture, la symétrie de l’image, et l’on pourrait à juste titre crier à l’éphémère d’un film typiquement Sundancien. Et pourtant, tout fonctionne dans une magie imperceptible.
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