Le film reste, marque, et ne se détache pas. Les questions sont ouvertes, chaque image percute comme un poing serré et lacérant un visage endolori par la beauté grandiloquente et cruelle des images de Jordan Peele. Ces moments de cinéma sont rares, et il faut sans retenue s’extasier face à tant de maîtrise, d’intelligence de mise en scène, des images qui resteront, et qui marquent avec grâce le retour féroce du film de genre, ici l’un des plus forts de SF de ces dernières années. Peele et son NOPE (5/5) livre également deux lectures de notre temps, la société du tout écran, de l’image « qui tue », mais aussi du règne animal et de son déclin, le jeu de la géométrie viscérale, l’absorption du dominant, la victoire de l’humilité, et du regard qui sait se baisser. Spielbergien (les références à « La guerre des mondes » sont nombreuses) mais pas que, outrageusement libre, folie complexe et spectaculaire, Peele trouve dans se dédale de référence « entertainement » sa propre voie, avec des idées extraodinaires comme ces hurlements de douleurs qui surgissent du ciel, cette maison hantée et ensanglantée, ou la désincarnation du monstre en fin de film, hybridation de la mort, et adaptabilité de l’animal à sa destruction proche. Nope marque en tout cas l’arrivée spectaculaire de Peele parmi les plus grands de sa génération.
Un film science-fictionnel en appel un autre, et sans le savoir, les deux films se répondent, en utilisant le fantastique à des fins plus politiques et dénonciateurs. Avec L’ESPRIT SACRÉ (4.5/5), Chema Ibarra s’envole déjà très haut, à la quête d’OVNI la tête levée pour finir dans l’horreur la plus troublante. Au départ, l’on se complet dans un humour noir et moqueur de la bêtise humaine et ses croyances loufoques (ufologie, égyptologie mystique), matérialisé par la physique amorphe de José Manuel et son regard bovin qui amuse. Puis la débilité d’apparence innocente se transforme en tragédie, immondice saloperie cachant l’horreur. Le film se retourne en un unique plan, le rire s’éteint, la rage s’impose, et chaque plan édulcoré par son image jaunâtre pèse alors une tonne. Chaque image résonne plus fort, chaque scène épaissit et révèle une vérité qui nous est imposé, basé sur un regard que l’on voudrait détourner mais que le cinéaste nous impose, et flagelle sa dureté à notre regard initialement amusé. Et qui finit par s’effondrer. Jusqu’au plan final, et ce sphinx de pacotille en trompe l’œil de l’horreur.
Les autres films de l’été
3000 ans à t’attendre de G. Miller – 4/5
Tout comme Annette de Carax, le cinéma se nourrit de ses auteurs, Miller en est un immense, et délivre d’un ton libertaire sa vision de la solitude et de son combat pour l’absoudre (ou plutôt, de s’en accorder), par la rencontre d’une bibliothécaire noyée dans ses récits, et d’un génie emprisonné de sa lampe. La rencontre loin d’être grandiloquente se fait en peignoir dans un hôtel d’Istanbul, les histoires déroulent et s’imagent de féeries antiques et d’amour bien sûr, universalité sine qua none du conte. Le vœu est au départ forcément pieu, celui de d’un amour éternel illusoire, mais qui finit comme souvent, par une acceptabilité de l’impossible, et un regard caméra qui enfin, concède son sort : celui d’être irrémédiablement seul, et pourtant tant aimé.
Mi Iubita mon amour de N. Merlant – 2/5
Malheureusement le premier film comme réalisatrice de Noémie Merlant (Olympiades, Portrait de la jeune fille en feu) ressemble bien plus à un caprice égo-centré et bourgeois, formel dans l’outrance de sa proposition (la quête de l’exotisme chez les gitans d’une parisienne en goguette), qu’à un acte artistique notable, comme devrait l’être tout premier long-métrage. Les veines tentatives de caméra à l’épaule accablent la mise en scène, ce air de films de vacances du privilégié hautement ému par les pauvres gens et leurs destins tragiques, alors qu’ils rentreront bien confortable dans leur appartement haussmanien, à rire d’anecdotes autour d’un Chateau Margaux 2012. Navrant.
The Sadness de R. Jabbaz – 4/5
«Dernier train pour Busan » allait déjà loin dans la tension horrifique et une certaine splendeur de mise en scène haletante, The Sadness va au-delà. Le gore n’est pas factice, et image avec une violence provocante notre folie humaine, justifiée ici par l’arrivée d’un virus. Une vague d’horreur sans limite s’abat sur Taipei, mais l’ignominie n’est pas toujours celui du zombie psychopathe, mais bien de l’Homme qui l’engendre et le regarde.
Incantation de K. Ko – 3/5
Efficace, rejouant l’idée de la transmission de la malédiction par l’image (The Ring) et de sa caméra amateur (Blair Witch), Incantation est en partie flinguée par sa maladresse de trop en montrer, et sa morale en justification, mais démontre après The Sadness une richesse du cinéma taïwanais pour l’horreur. On regrette donc le versant Netflixien qui enrobe la saleté par du sucré, en nous rabâchant l’amour de la mère pour sa fille, ou encore cette absurdité de vouloir relever chaque mystère pour satisfaire ses consommateurs, bien dommageable lorsqu’on sait que la peur nait principalement de l’imagination. Pour le reste, ça fonctionne fort.
Peter von Kant de F. Ozon – 3/5
Par son coté guignol et vaudeville, Ozon destitue à Fassbinder le malaise et la détresse, pire, il congédie par une forme d’auto-caricature toute forme d’émotion, hormis le plaisir intact et réjouissant de voir un Denis Ménochet seul en scène au sommet, écrasant le cadre de son grandiloquent personnage atrocement inhumain, dramatiquement génial. Ozon tire de son huit-clos un acte cinéphile épais, investie, mais qui s’étiole dans une forme de démonstration, et qui oublie une part essentielle, celle de l’émotion par l’universalité d’un propos, ici, trop isolé.
Black Phone de S. Derrickson – 2.5/5
Jouant plus sur le suspens que la peur, Black Phone est une succession d’allusions aux références du genre (Shining en tête et les visions de la sœur, le rain coat jaune de It, Massacre à la tronçonneuse, et j’en passe) mais sans jamais aboutir à la réalisation de ses propres idées, laissant donc un sentiment inachevé face aux angles les plus intrigants, celui de la collaboration des morts au vivant, la trouble relation fraternelle à peine ébauché, et s’offrir alors une morale bas du front sur la résilience d’un gamin maltraité, qui décide enfin de donner le coup plutôt que de le recevoir. On s’amuse alors simplement dans ce fort Boyard du séquestre, vintage au grain 70’s, en tentant de débaucher la clé de la liberté. Celle forcément bien cachée derrière la peur viscérale qui au départ anesthésie, et finit par affranchir.
En décalage de J. Giménez – 3/5
Là où Weerasethakul utilisait le son comme réflexion métaphysique, Giménez l’utilise en distorsion du réel, rendant donc une mise en scène plus ludique et moins réflexive, forcément bien mon profonde, mais qui n’occulte en rien son intérêt. Jusqu’à sa scène finale, twist formidable, qui là aussi répond à Memoria avec sa fin mémorable. Le concept est assumé, poussé jusqu’à rendre son film esthétiquement peu louable, mais endosser candide et avec vigueur.
America Latina des frères D’Innocenzo – 2/5
Il y a certes l’ambition à filmer la porosité entre normalité et folie, la critique d’une vie idéalisée par les conventions sociales, le fantasme de la famille idyllique et parfaite, le gâteau encore chaud du matin, la fille jouant au piano, et la femme aimante et désirée. Le regard patriarcal de la femme est ici tout autant attaqué dans une farandole de clin d’œil à tout-va (Murnau, Haneke, Frères Coen) jouant plus l’attraction du cinéphile qu’un véritable geste exclusif. La mise en scène est rigoureuse, chassant l’idée neuve, mais ne sachant jamais en tirer un sens propre, et l’ensemble en fait donc un geste peu singulier sur la folie, une lenteur pesante, et un regard finalement convenu sur un homme seul mortifié par sa vision de la normalité. Décevant.
Buzz l’éclair de A. McLane – 2/5
La beauté de Toy Story était de jouer sur notre imaginaire enfantin, et cette dinguerie que nos jouets s’animeraient derrière notre dos. Dès la première image, l’on sait l’idée balayée, et les aventures de Buzz seront celle du film originel du jouet. S’en suit donc une rocambolesque épopée galactique, au message simplet (l’union fait la force), à la lecture premier degré bien loin de la profondeur des Toy Story, ou des Pixar récents (Vice-Versa et Soul en tête). On s’ennuie fermement, hormis quelques bonnes vannes bien senties et un chat robotisé en nouvelle coqueluche à vendre des mugs.
Esther 2, les origines de W.B. Bell – 1,5/5
Il n’y a aucun sens à ce préquel, qui abandonne la brillante idée originelle de Esther, et cette cruauté horrifique cachée derrière une apparence dangereusement ingénue, pour se perdre dans une guérilla de psychopathes avec un twist à mi-film aussi improbable et idiot que sa photographie immonde qui tente de flouter la vacuité d’un propos absent, d’une peur abandonné dans un récital de course-poursuite à crever d’ennui. Point de peur ni d’horreur donc, un raté qui n’a d’intérêt que de mettre un peu plus en lumière le sous-estimé premier du nom.