Y’a quoi au ciné ? Début novembre 2024

L’article est à retrouver dans Le Bonbon Nuit

Il y a des cartons en salle plus surprenants que d’autres. Avec la vague L’amour ouf (qui pourrait dépasser en fin de carrière les 5 millions), la surprise est double. Tout d’abord car le film est relativement mauvais avec ces faux airs scorsesiens et un Lellouche se prenant pour un autre dans une mise en scène balbutiante et franchement lourdingue. Deuxièmement, car la nouvelle génération semble s’être emparée du film en l’érigeant en nouvel étendard amoureux. Là est le choc le plus conséquent : comment cette histoire d’amour « à la papa », son drame et sa violence, ce mélo bien poussiéreux peut-il autant séduire les illusions de nos ados ? L’amour, celui que l’on imagine désormais libre, désenchanté car d’une certaine manière dématérialisé du corps (et donc du sexe), est à l’inverse ici toxique et réducteur. À relativiser donc la présumée déconstruction du couple hétérosexuel que l’on pourrait imaginer (ou fantasmer) chez les vingtenaires. On pourrait également rajouter un certain arriérisme chez les 18-25 ans matérialisé récemment par un vote massif pour le Rassemblement National et cette fameuse Bardella mania. Cette folle réussite relativise donc beaucoup, y compris sur une vision possiblement éronnée d’une jeunesse peut-être plus stéréotypée qu’on l’imagine. Ce qui est certain, ce qu’un autre mauvais film devrait cartonner en ce début novembre, le show de Coralie Fargeat (The Substance) qui lui aussi pourrait porter l’étiquette Tik-Tok sous son front pailleté ; lui faisant face, un anti-film de cavale corse (Le Royaume), et une merveille de satire anti-patriarcale (Good One).


Freak Show : THE SUBSTANCE

Comment ne peut-on pas s’agacer devant la litanie malodorante de compliments abusifs adressés au dernier film de Coralie Fargeat ? Mais plutôt que de s’entêter à bougonner, il est plus sain de tenter de comprendre pourquoi cet emballement immérité survient. Tout simplement car le cinéma moderne suit la tendance du réseau social, l’image choc est devenue reine, il faut créer l’événement, marquer le public, pousser toujours un peu plus le curseur (et Fargeat va toujours plus loin, séquence après séquence) pour faire vibrer cette audience qui s’abreuve de milliers d’images par jour, gobant, avalant, dégueulant de l’écran à longueur de journée. Et pour les sortir de cette léthargie visuelle, et tenter de remuer ses tripes hypnotisées, il faut bien sûr choquer. Quitte à maltraiter le scénario (son prix cannois est incompréhensible), faire dans le réchauffé (Dorian Gray, et cette vieille conception idéologique de la jeunesse éternelle), pire, faire basculer le film dans une idéologie anti-féministe : lui qui se rêve en pamphlet anti-patriarcal (voir ci-dessous avec Good One) devient un brûlot vain et désincarné du corps et de son « objetisation » sous toutes ses formes. Pas une once de réflexivité sur le sens même à donner à la chair. Les comparaisons au travail de Cronenberg seraient l’insulter, lui qui a toujours perforé cette flesh d’une réflexion métaphysique sur le sens de la vie, et de sa destruction. Ici, des torrents de sang, de la déconstruction totale et vulgaire, mais pour dire quoi ? Eh bien pas grand-chose, si ce n’est un énième tacle à la carotide du « monde du spectacle » mais dont Fargeat fait jouer exactement les mêmes codes : un film Futuroscope qui ose s’imagine critiquer ce qu’il est vraiment.

En résumé : Comment une production se targuant de modernité peut-elle autant s’effondrer dans le passéisme (et la vieille rengaine de la jeunesse éternelle) ? Eh bien en noyant le poisson dans un torrent hémoglobinique vide de sens. 1.5/5

The Substance de C. Fargeat 
Sortie le 6 novembre 


Cavale : LE ROYAUME

La question de la transmission est essentielle dans Le Royaume, sorte d’anti-film de cavale qui délaisse consciencieusement toutes les boutiqueries scénaristiques du genre, limite son action pour ralentir intelligemment son rythme, et se focus donc sur cette relation entre un père corse, Pierre-Paul, qui échappe à la police depuis plus de 20 ans, et sa fille, qui petit à petit, rejoint son combat de l’invisibilité. Elle qui tranche d’ailleurs par sa gueule géométrique et charismatique, son accent farouche qui en impose, Lesia abandonne sa vie adolescente (et un premier amour) pour une partie de chasse à l’homme dont elle est la chassée (en opposition à sa scène d’ouverture où elle éviscère un sanglier abattu plus tôt). Les scènes les plus fortes sont celles où enfin, ce grand gaillard à la gueule tout aussi marquée se confie à sa fille sur la source originelle du péché, la vengeance d’un père assassiné sous ses yeux. Il y a de l’amour entre les deux, mais aussi une malédiction, celle d’une violence automatique, quasi-génétique qui draine avec elle une inéluctable conclusion, celle d’un drame, et avec lui, la boucle de la vengeance, insatiable et maudite. Dans Le Royaume, la nature (par la chasse), les belles demeures de côte (par les exécutions), l’amour (par la mort), tout est perverti, une destruction froide et lente d’une chute inexorable, mais saisissante, absorbante.

En résumé : Lent et débarrassé de tous ses à-côtés scénaristiques (le pourquoi), Le Royaume se recentre avec brio sur la malédiction générationnelle d’un père et de sa fille dans les tumultes de la violence et de la vengeance. 3,5/5

Le Royaume de J. Colonna 
Sortie le 13 novembre 


Machisme ordinaire : GOOD ONE 

Dans cette randonnée censée rapprocher une fille, un père et son meilleur ami, les failles à la fois générationnelle et morale vont à l’inverse se distendre, le patriarcat silencieux envahir l’espace, le poids de ces deux hommes grandissant scène après scène sur Sam, 17 ans, prisonnière de la bêtise masculine. Dans une nature semblant illusoirement offrir une libération, elle ne devient finalement que le terreau fertile d’un chemin de croix d’une jeune femme supportant la lourdeur de mots et de gestes qui ne cessent inlassablement de la ramener à son genre. D’entrée, sa place est à l’arrière de la voiture, ou par terre dans la chambre d’hôtel, les remarques idiotes sur sa capacité à conduire (et à réfléchir), puis à préparer à manger autour du feu de camp, les questions sur le divorce et la victimisation masculine, de l’adultère, et de cette incapacité machiste maladive à élever son regard au-dessus de son égoïste souffrance victimaire. Jusqu’au point de bascule, où cet ami viendra faire une allusion sexuelle à Sam pour compléter le tableau de la dégueulasserie aveugle. Là où Good One est une réussite, c’est par sa montée en puissance progressive réussissant parfaitement à saisir le royaume patriarcal asphyxiant dont la vie quotidienne banale (une rando) est son théâtre permanent. Jusqu’à la révolte, là aussi, intelligente et sans esclandre de Sam, à mille lieux au-dessus d’un père dépassé, et d’un autre homme ahuri et pétrifié dans une époque résolue.

En résumé : Le diable se niche dans les détails, ici le patriarcat institutionnel qui dégouline de partout, normalisé dans un rapport insupportable de domination homme-femme. India Donaldson a ici un sens inouï du mot et du silence pesant. 3.5/5

Good One de I. Donaldson 
Sortie le 13 novembre