« Et pendant ce temps-là … »
La miss France joue les rock-stars dans un centre commercial, des punks à papa s’émoustillent le prépuce dans une rave party de clébards défoncés du neurone, des bourgeois parisiens se lamentent de la fermeture de lieux culturels qu’ils n’ont jamais fréquentés, en se pétant la cloison nasale à quarante dans un Haussmanien. Les prolos s’entassent dans les rames de métro bondées, les banlieusards bloqués dans la file du Bershka d’Evry n’ont même plus le temps d’arriver à Châtelet, la petite classe moyenne souvent graphiste, tout le temps dépressive, se panique à 17h55 pour descendre acheter son PQ et son pesto au coin de la rue. Et pendant ce temps là donc : les salles de cinémas sont toujours fermées.
Alors comment rester calme face à une injustice flagrante ? Comment pouvait-on fantasmer l’égalisation des chances et le retour à une société consciente ? Alors que la crise sanitaire n’est que le prétexte final pour aggraver toujours plus l’écart abyssal entre les classes, pourfendre la culture dans une intimité prohibitive, détourner toute forme d’indépendance dans un gigantisme de médiocrité corporatiste ? Pendant que nos sociétés s’abrutissent devant le petit écran,le lien social lui se ringardise, l’individualisme déjà maitre du monde n’en demandait pas tant. Les films sont repoussés, annulés, les salles sont aux abois, martyrisés par le silence assourdissant de nos dirigeants. On s’extasie – à juste titre – devant le nouveau Pixar (« Soul »)au lieu de se révolter de sa non-sortie en salle. La parole du cinéma a tant de mal à se libérer et à porter, avec cette impression de soumission, inéluctable ascenseur pour l’échafaud.
Le cinéma, celui qu’on aime aimer, détester, critiquer, que l’on aime débattre sans fin, ce cinéma là est en péril. Car il ne peut survivre sans sa salle : les sièges molletonnés ou aux ressorts cassés, les rires exagérés, les larmes discrètes et le pleurnichement retenu par peur d’être moqué, le cri de rejet ou l’applaudissement ébahi, l’engueulade du débat d’après et sa litanie d’argumentaires souvent infondés. Comment imaginer un cinéma de qualité confiné ? Sa beauté est dans son universalité, son accès libre dans le monde entier. Il glisse peu à peu dans un entre-soi élitisé.Il se marginalise, pour devenir tristement ce vieil oncle ringard au pantalons velours trop court, que l’on oublie petit à petit en gardant tout de même une certaine nostalgie.
La crise sanitaire semble avoir joué un rôle de catalyseur express au glissement dangereux du cinéma mondial depuis une décennie. Mes propos semblent déjà anachroniques et déconnectés de la réalité d’une nouvelle génération qui ne lit plus de presse écrite, qui n’écoute plus un album entier, qui ne vit qu’à travers sa propre image qu’il expose sans cesse dans un mensonge auto-glorifiant, et qui ne va et n’ira plus au cinéma. Elle préfèrera se dorloter dans la mièvrerie de navet automatisé et standardisé. Consommer de l’image, sans y réfléchir, ne plus lire sur le cinéma, mais l’avaler à en dégueuler. Mais que dire aussi des festivals, de ce microcosme intellectuel et souvent donneur de leçon ? Tout cela semble devenue une grande messe élitiste et déconnectée.
Certes le constat est glaçant mais le cinéma et ses exploitants, tout comme les librairies ont su très bien le faire, vont devoir se ré-inventer pour survivre, proposer un lieu culturel à part entière avec rencontres, partenariats, évènements. On ne peut baisser les bras, même si la tentation est grande, et tâchons de soutenir, chacun à son niveau et à sa manière, les forces vives culturelles d’un pays qui n’en manque pas.