AVRIL 2023

Toutes les critiques du mois

Normale de Olivier Babinet – 3/5

Un film en forme de testament pour Poelvoorde, un homme qui n’y arrive plus, touché par la maladie, la vue le quittant, face à son incapacité de s’occuper de sa fille. Lucie, écrivaine en herbe, conteuse et menteuse, affabulatrice géniale qui rencontre un mec pas comme les autres. Se dégage de cette histoire naïve une atmosphère à part, drôle et amère, jouant entre l’image et le verbe, bricolé, et d’une énergie authentique et touchante.

Hijos del viento de F. Monroy – 3.5/5

Il y a les horreurs de ses assassinats pour cacher la vérité et l’inaction du gouvernement colombien. Mais surtout des portraits de mère, caméra serrée sur des visages marquées par le combat dévot. Et cette quête de reconstruction, à travers la reconstitution du drame, des souvenirs, des échanges entre les mères des victimes, et une bataille inachevée pour la vérité et la justice. Documentaire fort en devoir de mémoire et de transmission.

The Quiet Girl de C. Bairéad – 4/5

Cáit va elle s’ouvrir au monde et à sa reconstruction progressive lorsqu’elle se retrouve accueillie le temps d’un été par un couple endeuillé par la perte de leur jeune fils. Le parallèle est saisissant, entre sa famille génitrice incapable d’écoute et d’attention, et celle d’accueil qui remplit rapidement son nouveau monde d’un amour inconditionnel. D’un sens de l’esthétisme certain et d’une maîtrise scénique bluffante, Bairéad filme l’éloge du silence et de la quiétude, l’épanouissement d’une jeune fille délaissée à travers la simplicité d’un amour champêtre. Il y a cependant un réel malaise dans l’apposition riche/pauvre (en cataloguant les derniers en mauvais parents, filmant le riche couple en héros, et le couple pauvre en despote) mais la beauté du film est ailleurs si l’on peut la saisir, dans l’œil de cet enfant qui retrouve vie, petit miracle résurrecteur de destinée.

Alma Viva de C. A. Meira – 3.5/5

Salomé va rentrer en contact avec sa grand-mère décédée. La métaphore est subtile, le naturalisme empreint de fantastique pour rappeler que le monde des hommes est bien triste face au cœur d’un enfant qui oblitère toute considération matérielle pour laisser grand ouvert l’émotion pur d’un Adieu.

Loup et chien de C. Varejao – 3.5/5

Non, il n’y a pas nécessité de grandiloquence, de ralenti et de larmes forcées (cf. Xavier Dolan) pour apposer avec aplomb le poids de la sexualité et son acception (ou non) par son entourage, la férocité du patriarcat et de l’éducation religieuse comme force rétrograde à l’émancipation d’une nouvelle génération. Ici deux histoires conjointes, d’un gay et d’une lesbienne au Acores, prisonniers de cette île, prisonniers de leur corps, jusqu’à s’en affranchir et enfin apprendre à vivre et aimer. Un vent de liberté, et de fraîcheur juste et jamais sur-jouer

About Kim-Sohee de J. Jung – 4/5

La tyrannie des chiffres, les taux d’embauche, les classements, la pression inhumaine des chiffres et des primes, de l’Etat au directeur de lycée, jusqu’au stagiaire, c’est tout un pan de la société coréenne qui a explosé avec ce scandale et le suicides de nombreux jeunes lycéens. A l’instar du regard sociétal de Ken Loach, July Jung (du très beau A girl at my door) filme frontalement une Kim Sohee vivante (par la danse) puis livide (par le travail), sans détourner le regard face aux fameuses strates de la faute, chacun se renvoyant l’erreur, avec en conséquence, le désœuvrement d’une majeure partie de la jeunesse coréenne. Brutal, parfois trop sur-titré (notamment par sa fin), œuvre troublante d’actualité pendant cette période où le travail est privilégié à la vie.

Foudre de C. Jaquier – 3/5

L’indulgence va de paire avec un premier long-métrage, surtout lorsqu’il regorge d’une idée centrale admirable, l’évocation de l’amour par le désir, le désir par le touché avec en apogée une scène de souffrance partagée et ces orties vivifiants une peau gorgée de rougeur sensitive et brûlante. Du Malick, du Sciamma, du Godland récemment, quelques moments de grâce mais des lourdeurs académiques en son début, et le fâcheuse tendance à rabattre la religion sans cesse (diabolisation du désir féminin) plombant quelque peu le rythme qui retient Foudre d’être un grand film, mais qui le maintient en belle promesse.

La conférence de M. Geschonneck – 3/5

Le film est quasiment insoutenable, et pourtant, pas d’images ni de témoignages, aucune reconstitution des camps de la mort. Mais des mots tenus lors d’une conférence organisant méticuleusement la solution finale. Les juifs sont un problème matériel à éradiquer, des chiffres et calculs, de la logistique, sans état d’âme, le mal incarné par une poignée d’hommes autour d’une table responsable de l’assassinat de 6 millions de juifs. Les chambres à gaz inventés pour soulager la conscience des SS, l’assassinat des enfants un geste noble, des discours raciaux sordides (et ce débat entre les 1/2 juifs et les 1/4 de juifs). La violence innommable de la parole dépasse souvent l’image, la preuve avec cette conférence de l’horreur, théâtre de l’inhumanité la plus totale.

Sur l’Adamant de N. Philibert – 4.5/5

Philibert questionne de manière remarquable la position de la folie dans nos sociétés, ces fous que l’on juge et isole sont souvent bien plus lucides que la dite normalité, une hyper sensibilité rédhibitoire qui les coupe d’un monde violent et inhumain car trop fragile pour subir la réalité extérieure. L’art (brut) est une voie d’accès sublimée dans le film, les témoignages frappent par la pertinence et la distance qu’ils ont sur leur condition, et nous interroge donc sur notre regard souvent méprisant que l’on porte sur la différence, la marge, souvent bien plus sensible que la masse normative. Le fou est donc probablement celui qui a refusé de vivre dans ce monde, notre monde réglé, encadré, déshumanisé, désensibilisé. Ils ont ici tout le champ et la parole pour nous confier sans détour leur folie dont ils ont une conscience foudroyante, mais aussi nous prouver que la folie n’est jamais là où on nous apprend à la définir.

Dirty, Difficult, Dangerous de W. Charaf – 4/5

C’est une histoire d’amour apatride, un syrien et une éthiopienne à Beirut, une immigration comme toutes les immigrations, forcées, désespérées, finissant dans une prison de peur (ce vieux fou sénile) et de malheur (un lit au sol payable à l’heure). Jusqu’à l’évasion, illusoire, ne faisant que déplacer géographiquement la souffrance. Mais il reste cet amour, transfrontiere, et la caméra de Charaf qui arrive encore à nous faire sourire, et émouvoir malgré la détresse. Très belle réussite.

Air de B. Affleck – 2.5/5

Dans cette auto-congratulation de la réussite matérielle et financière, nous faisant passer la famille Jordan en Abbé Pierre des athlètes, il y a le regard attendri d’un gamin qui rêvait de porter ce logo en apesanteur, ces Air Jordan et sa révolution, le future d’une marque fondé uniquement sur la réussite d’un seul joueur de basket : et ils sont tombés sur le plus grand de tous. Alors cette histoire de gros sous filmée en réussite de quartier prend le temps du film, mais rapidement s’évanouit lorsque l’illusion fait place à la réalité d’un commerce que l’on sait aujourd’hui détestable. 

Chien de la casse de J.B. Durand – 4.5/5

Immense tendresse pour ce premier film qui restera comme l’un des meilleurs français de l’année, une histoire d’amitié dans un village du Sud, un volubile personnage qui prend de la place (extraordinaire Raphaël Quenard) face à la discrétion soumise d’un autre (Anthony Bajon), et l’arrivé d’un amour qui interloque ce rapport de force amical déséquilibré. Tout est juste, de l’écriture à sa direction d’acteur, sa mise en scène (et ce parallélisme canin), c’est touchant, et questionnant, le cinéma français à son meilleur, celui que l’on aime, et qu’il faut défendre : sans gros souliers, ni prétention, une forme d’épure qualitative de l’écriture et du jeu. Absolument remarquable.

Désordres de C. Schaublin – 4/5

L’anarchie suisse, son flegme ralenti, la révolte par le verbe et les chiffres, et non par le geste gueulard, la poésie de la distance (et ce cadrage en observateur), un message politique qui joue de son humour de répétition, de l’amateurisme de ses acteurs pour créer une ambiance lunaire, saugrenue, qui prend le temps du partage, celui d’une époque martelée la productivité dans l’horlogerie d’époque, et qui résonne forcément en cœur avec les combats d’aujourd’hui. Intelligence et malice dans cette parenthèse trop courte qui aurait même pu s’étaler davantage, une beauté passée qui rappelle par bribe le génie de Dumont, et qui dénote du paysage par un rythme qui apaise, et interroge plutôt que d’oppresser.

Blue Jean de G. Oakley – 2/5

Tout est est si démonstratif, chaque situation aberrante de classicisme et d’évidence, sorte de petit manuel du film queer, consensuel et finalement très vieux-jeu lorsque l’on voit les sorties récentes sur un sujet similaire (notamment le très beau Chien et Loup). Le rejet, les confrontations, la remise en question, jusqu’à l’acceptation, tout est vraiment lourdaud (l’élève rebelle, la lesbienne revendicatrice, …) et laisse toute interprétation au caniveau pour nous forcer 1h30 durant à regarder de face l’évidence.

Burning Days de E. Alper – 3/5

Labyrinthe de peur et d’amnésie, de corruption systémique et de combat pour la vérité, œuvre chorale en 4 actes qui façonne avec une maîtrise formelle un thriller politique, une paranoïa qui tient en asphyxie, une lecture implacable de cette impossibilité de changement, foutre le pied dans la fourmilière, et se voir dévorer à feux doux, grandes paroles face aux inactions, un piège à rat qui se referme sur celui qui n’a jamais su écouter, et qui ne cesse de rabâcher des ordres, jusqu’à tomber au fond du gouffre. Très contemporain donc.

Suzume de M. Shinkai – 3/5

Il y a des idées géniales (cette incarnation en chaise), un humour et une auto-derision qui dénote avec la poésie kawaii, et puis une forme illustrée d’hommage aux disparus des tremblements de terres japonais, une figure rédemptrice des traumatismes de tout un pays sur la base de contes ancestraux appuyant la force intemporelle du souvenir face à l’oubli. Trop de redondance, et de facilité dans un message presque trop enfantin pour conquérir le tout public. Mais un dédale d’image (la porte, le passage, la maturité) qui rassure et accueille une idée simple mais toujours aussi douce à cogiter. 

L’envol de P. Marcello – 4/5

Par sa forme anachronique qui interroge, l’Envol prend progressivement le sien par son apologie de la patience (le travail de minutie du père menuisier) et de la quiétude (par la musicalité de Juliette), un sentiment d’apaisement nait de la beauté plastique du cadrage et de la photographie, un travail de cinéaste tout autant précis que la sculpture sur bois pour insérer des images d’archives à la fiction, et offrir un rendu spectaculaire d’authenticité et de beauté.

Nos cérémonies de S. Rieth – 2.5/5

Un premier film avec son lot d’idées mal calibrées, d’inspirations trop fournies (Kechiche, Trier), et un fourre-tout indéniablement sincère, mais trop éparpillé pour créer une première œuvre singulière. La mort est ici source de vie, remake moderne de Blanche-neige où le baiser d’un frère le ressuscite indéfiniment jusqu’à ce que les « cérémonies » ne cessent et finissent par dévitaliser un corps meurtri. Prometteur certes, mais trop brouillon, et malheureusement mal incarné avec un duo d’acteur amateur trop léger.

Beau is Afraid de A. Aster – 5/5

Monumental film psychiatrique, partant des symptômes (anxiété aiguë, agoraphobie, crise paranoïde) à l’idéalisation d’une vie sans traumatismes (sublime séquence animée), jusqu’au diagnostic œdipien, la source du mal maternelle, sa compréhension de sa genèse (la peur), jusqu’au jugement populaire. Immense terrain de jeu névrotique, miraculeux par instant, malgré un fond baigné de classicisme psychanalytique mais libérée par sa forme démentielle. Top 10 assuré.

Toute la beauté et le sang versé de L. Poitras – 5/5

Complètement retourné par le parcours d’une héroïne moderne (Nan Goldin) et à travers elle, la rage d’un combat, la révolte viscérale contre l’impunité de l’argent (Famile Sackler). Et de ce combat internationalisé, son origine à échelle familiale, et un drame intimiste qui a façonné son histoire et sa fureur de vie (le suicide de sa sœur). Jusqu’à ce que le visage de la honte se découvre face aux témoignages des victimes, un moment de vérité unique d’un documentaire renversant qui donne la parole au silence, la photographie d’une époque révolue (NYC des années 70, puis la période sida) et celle qui continue de s’écrire (et ces chiffres infernaux de plus de 500 milles morts liés aux opioides aux US). Admirable, indispensable.