Berlinale 2023

Cet article est à retrouver sur le site internet du Bonbon Nuit, lieu premier de sa publication


La 73ième Berlinale s’ouvre, et avec elle son lot d’excitation cinéphile. Mais aussi, tout comme le festival de Cannes l’année passée, avec le poids d’une certaine responsabilité, être vecteur à sa hauteur d’une solidarité envers l’Ukraine envahie (et une nouvelleapparition du président Zelensky lors de la cérémonie d’ouverture, sous le regard perçantdu BHL américain, Sean Penn), et plus généralement, d’un engagement contre toute forme d’inégalitarisme. Cette année, c’est Kristen Stewart en queen du jury qui présidera, bien entourée notamment de Johnny To, Radu Jude ou encore Golshifteh Farahani. En évènement, l’hommage à Steven Spielberg et une rétrospective à son honneur autour de The Fabelmans en salle ce mercredi. Il faudra éviter les pièges (la teuf et son kebab du petit matin), jongler entre saucisses et curry, et tenter comme il se peut, d’en tirer une chronique berlinoise pas trop imbibée des litrons de bière qui dégoulineront, et garder les yeux ouverts : ce défi parfois insurmontable de festival. C’est parti pour 5 jours de Berlinale, Prost!

Chronique berlinoise #1 : « Gynéco, boite de nuit et miévrerie »

Déglinguer le mini-bar fut mon premier acte héroïque dans une forme de digression
parentale. En cause, une arrivée très tardive, une fatigue extrême et une flemme d’enfer.
Rien à foutre des noix de cajous à 10 balles, je fais all-in d’entrée de jeu dans un élan
d’optimisme budgétaire. Traumatisé par la billetterie en ligne cannoise toute pourrav avec des billets qui s’écoulent en quelques secondes, mon levée doit être à l’ouverture en ligne à 7h du mat. Mais rien à dire, les allemands sont au-dessus. Putain ça marche. Tellement bien que je peux me gaver de toutes les séances ardemment désirées. Direction les accréditations dans un vent (glacial) et une certaine bonhomie qui ne me caractérise pas. Pas de queue, organisation mathématique, en quelques secondes, là encore, rien à redire. On est parti pour la première projection de cette Berlinale avec Notre Corps de Claire Simon (avec en tête son merveilleux dernier film Vous ne désirez que moi). Pendant près de 3 heures, Simon nous place en observateur externe d’un service hospitalier de gynécologie. Le ton est résolument médical, pédagogique, presque trop car dénué d’esthétisme cinématographique (mais l’inverse aurait pu lui être reproché). Notre regard jamais invasif accompagne tout le processus de maternité, avec ses peurs et douleurs (endométriose, accouchement) ses espoirs et désillusions (FIV), mais ne tombe jamais dans le sensationnalisme. Passionnant, même peut être trop distant ?

Après cette immersion hospitalière, et une longue balade le long de l’East Side Gallery pour digérer un Pho qui arrache (chez Umami), on retrouve le projet ambitieux de Patric Chiha, La bête dans la jungle. Immense par sa forme, ce huis-clos transgénérationnel dans une boîte de nuit parisienne traverse les âges : de l’insouciance des années 70 à l’hécatombe du SIDA de 80 jusqu’à la minimale sous MD des années 2000. Mais aussi par sa métaphore de l’amour impossible, du temps qui s’écoule, des nuits que l’on espère sans lendemain, et cette fameuse insouciance qui peut un jour se payer comptant. La bête dans la jungle, c’est un couple, May et John, qui se promettent de ne pas se quitter, sans jamais se toucher. Ils attendent ce « quelque chose », un événement qui bouleversera leur vie, inconscient d’un monde qui change, d’un temps qui passe, d’une éternelle insatisfaction les empêchant d’avancer. Par sa mise en scène virtuose, Chiha vient d’envoyer un missile protéiforme, une dinguerie intemporelle où danse et musique omniprésentes en font un ovni cinématographique hors du temps, alors que lui qui s’en amuse (malgré les années qui s’écoulent, les visages sont immaculés, jamais vieillis). C’est une grosse mandale en pleine poire, pour preuve, le silence religieux et sidéré de la projection presse, bien conscient d’être face à une œuvre majeure qui marquera 2023. Pour se donner un semblant de moral on bouffe vegan chez Frea avant d’écumer les bas-fonds tabagiques du Trésor puis du Golden Gate, ma façon bien tapageuse de prolonger cette dernière projection, devenant à mon tour une bête dans une jungle berlinoise électrifiée.

L’enfer du réveil, ma nuit a bien un putain de lendemain. Et il fait mal. Pire, comment j’ai pu imaginer bouffer indien (chez Amrit) pour combattre la gueule de bois ? Erreur fatale. La journée bien raccourcie m’amène à découvrir le film d’ouverture She came to me de Rebecca Miller. Et c’est une ouverture de festival bien légère avec cette comédie feel-good qui appuie les clichés (la maniaque, le dépressif, la fofolle et le facho) pour tirer le rictus, l’amour de jeunesse la larmichette. Petit film dépressif sans âpreté qui ne dépasse jamais l’attendu (et notamment son plan final couru d’avance), ni même chercher à bousculer un politiquement correct étrange de tiédeur. Ça ressemblait plus à un film couette du dimanche soir qu’une ouverture de Berlinale. En parlant de couette, il est 22h, et j’y suis déjà, trop de dommages collatéraux de la nuit passée, il faut récupérer. To be continued (prochaine chronique ce mercredi).

Chronique berlinoise #2 : « Apocalypse, masculinité toxique et amour d’enfance »


Suite et fin de l’aventure berlinoise sous une pluie battante et son ciel chargé, évacuant
tout regret d’une après-midi au Beergarten, ou un latte machiatto de connard en terrasse. Cinq films sur nos deux derniers jours de présence avant le retour au bercail, et quelques aventures finales entre les projections. C’est ça la conscience journalistique, être présent avec décence à la première projection de la journée, 8h45 précise dans le Berlinale Palast pour découvrir The Shadowlest Tower de Zhang Lu. Un quadra paumé entre sa fille vivant chez sa sœur, un ex-femme malade et un père déserteur depuis son jeune âge va tenter de reconstruire pas à pas une vie dénuée de sens et d’amour. Il pense le trouver par sa rencontre avec une jeune photographe qui égaille
un temps la tristesse du quotidien (« ma chambre ressemble à un hôpital, tout est blanc »). Mais progressivement, l’on comprend que son destin est inextricablement lié à celui de son père, et son chemin tracé vers une fin similaire, une profonde solitude. Tout y est intelligent et d’une beauté plastique indéniable, mais qui laisse malheureusement à distance par une mélancolie glaçante et pesante. Il est de ces films difficilement critiquables, car techniquement brillants, mais où toute forme de vitalité et de cœur viennent se briser à son cadrage parfait ; et si l’on était plus vicieux, dans une forme d’auto-glorification gênante.

A peine le temps d’avaler un café bien tassé qu’il faut enchainer avec In the blind spot de Ayse Polat. Dans une forme consensuelle d’un thriller paranoïde, Polat utilise le mythe du traqueur traqué dans une Turquie conspirationniste. L’homme à la surveillance de journalistes allemands venus faire un reportage sur un fils kidnappé par la police turque devient à son tour pourchassé. Le film pâtit d’une vraie maladresse scénaristique et d’un message surligné contre l’image numérique omniprésente (toutes ses formes sont additionnées, des images caméra à l’épaule, de video-surveillance, de téléphone portable,…), et vient tirer en longueur un suspens trop vain pour créer une tension, tout s’essoufflant trop vite. Pire, agace avec une redondance fatigante illustrée par le rôle de cette petite fille qui répète sans cesse la même expression hagarde.

Pour digérer cette désillusion acide, rien de mieux que de se faire un brunch d’enculés avec des serveurs à l’accent trop américain (Le Bon), et un Bloody Mary qui tabasse en sur-charge de Tabasco. Et me voilà fin prêt pour la dernière projection de la journée avec The Survival of Kindness de Rolf de Heer. Dans un monde post-apocalyptique ravagé par la maladie, l’horreur est omniprésente (esclavagisme, exécution), une femme noire abandonnée à son sort mortuaire au milieu du désert doit se libérer de sa cage, puis tracer son chemin au milieu de ce monde dominé par les blancs, tous habillés d’un masque à gaz. Son infiltration en sera facilitée, elle qui devra tout de même grimer sa peau noire en un blanc nacré pour détourner toute suspicion. L’atmosphère pesante se mêle à la magnificence des paysages australiens, De Heer fait l’audacieux choix de ne sous-titrer aucun dialogue, chacun parlant un dialecte bien distinct, nous laissant à nous spectateurs le loisir d’interpréter le sens derrière le son. Pictural, langueur contemplative, cet aller-retour de la vie à la mort fait naître humanité et bonté au milieu de la monstruosité. C’est une lente ascension de ce personnage christique quasi divin venu apporter réconfort et soutien aux démunis, avant de disparaître à son tour et rejoindre la terre originelle. Beau.

De cet élan de bienveillance, cette ultime soirée berlinoise se termine chez Lode & Stijn, gastro de haute volée malgré un sommelier un peu invasif (ce genre de type qui te colle son nez au visage pour parler). En revanche, faites la en juin cette Berlinale. Il pleut, il fait froid, tout le monde crache ses poumons et les nez ne cessent de renifler (et pas qu’au chiotte). Déjà KO par mon rhume en 5 jours, je n’imagine même pas en 10. Mais voilà, l’aventure se termine par cette ultime journée avec la première projection presse matinale, Past Lives de Céline Song. Le film distribué par les hypeux de A24 a fait résonnance à Sundance. Et cette association malaisante n’annonce rien de transcendant. D’une base de comédie romantique mielleuse, Song joue la carte très conventionnelle de la destinée, et ne cesse d’appuyer sur ces chemins croisés. Il y a Nora et Hae Sung, un amour de jeunesse qui se promet de ne jamais se quitter, avant leur séparation et le départ de Nora pour Toronto. Puis un très long silence de plus de 10 jusqu’à leur retrouvaille par Facebook et de longs échanges par Skype. Là encore, la distance éteint cet amour renaissant, Nora trouve un mari à Brooklyn, Hae Sung une copine à Pékin. 24 ans après leur dernière rencontre enfant, ils se retrouvent enfin à New-York. La caméra de Song la filme en touriste, chaque cadrage en film de vacances, et même si le partis pris peut être défendu (et dénoncer l’immigré comme un éternel touriste), cela rend l’image laide et disgracieuse, plombant une certaine douceur nostalgique dégagée par ce couple qui ose à peine s’enlacer ni se regarder, persuader que leur chance est désormais passée, et que leur amour sans mot ne pourra se concrétiser. Le destin est en autrement. Pathos et lourdingue, il y a tant de vacuité dans ses longueurs, que rapidement, la douceur se métamorphose en aigreur.

A peine le temps du check-out que l’on en termine avec l’ultime séance de notre Berlinale et Manodrome de John Trengrove. Ralphie (Jesse Eisenberg) est paumé, à peine viré de l’armée, reconverti en chauffeur Uber qui fait de la gonflette à la gym, blindé de traumatisme (l’abandon de son père) et d’une sexualité refoulée, frustré par son manque de blé alors que sa copine est enceinte, sa haine viscérale de lui-même finira par son autodestruction. Son esprit affaibli va se retrouver engrener dans une secte masculiniste (Manodrome), prônant la détestation des femmes et le pouvoir archaïque et génétique des hommes. Il est filmé comme un gamin pathétique, piquant ses crises comme un môme en manque de sucre, incapable d’introspection, n’assumant aucun de ses choix, abandonnant sa copine enceinte qui devra finir par accoucher seul. Jusqu’à, de manière caricaturale et trop schématique, son incapacité à se flinguer, et finir recroqueviller comme un nourrisson pleurnichard en position fœtale dans les bras d’un inconnu. Trengrove tenait là un postulat inédit, mais se vautre rapidement dans les clichés, l’accumulation de violence gratuite, et une mise en scène à tentative safdienne (comprendre des frères Safdie) qui se fracasse à une vraie carence d’écriture, les personnages (notamment Adrian Brody jouant le chef de meute de la secte) trop rocambolesques nous coupent d’une réalité qui se meut en idéologie chimérique.


Je veux manger des pâtes. « Restaurant italien » dans Google. « 4,1 étoiles ». Vendu. Pire fin de festival du monde, linguine au pesto, verre de Chianti à 12 balles, tiramisu Picardien (comprendre type Picard surgelé), arrivée à l’aéroport trop tôt. Court (5 jours sur les 10 du festival), intense (pas toujours pour des raisons cinématographiques), mais forcément passionnant, malgré une relative faiblesse de la sélection proposée, une déception partagée par bon nombres de suiveurs. Mais qui sait ? Moi et la Berlinale feront peut-être mieux l’année prochaine ?