DÉCEMBRE 2022

Retour sur tous les films de ce mois de décembre

Sous les figues de E. Sehiri – 3,5/5

En terre agricole de Tunisie, 3 générations se retrouvent sous les arbres à cueillir des figues le temps d’un été. Des lycéennes solaires, qui s’invectivent et se taquinent d’un amour de jeunesse qui ressurgit, et de premiers émois amoureux qui emportent la raison, une nouvelle génération qui chante et danse à cheveux découverts, mais qui s’oppose surtout à la soumission générationnelle des hommes. Des hommes représentés par des trentenaires qui volent et trompent, ridicules petits êtres en quête d’hédonisme béat et de virilité absconse. Et la troisième génération, vieillissante aux pieds qui brûlent, las et sans espoir de changement, la tête qui restera baissée jusqu’à leurs fins. Les visages sont beaux, les regards perçants, une langueur virevoltante de désir et d’histoires, dans un jardin d’Eden où la figue défendue est bien celle qui se mange goulûment, aux yeux et à la farce du « chef » misogyne. Hors du temps et beauté de passage.

Samhain de K. Dolan – 2,5/5

Sa lisibilité et son scénario linéaire arrime le film à une peur fugace spécieuse, qui n’arrive jamais à surprendre. La théorisation de la dépression par la possession et le basculement d’une mère dans une violence difforme, presque transcendantale envers sa fille est le vrai succès du film jusqu’à ce que l’accumulation d’images grossières (Halloween et le monstre parmi les monstres, le rituel du feu, la fin happy-ending) ternit considérablement une première demi-heure tenue sous haute pression.  Film inquiétant, perturbant mais maladroitement conclu, comme si Dolan n’a pas réussi à dépasser d’une certaine zone de confort scénique et scénaristique.

Poet de D. Omirbaev – 4/5

1Un poète contemporain s’interroge sur le sens de sa vie, l’oubli du langage et la beauté du verbe noyée dans l’amas numérique. En filigrane, la vie de Makhambet, lui aussi poète mais surtout figure politique kazakh du 19ième siècle, personnage symbole de révolution qui s’est opposé au régime dictatorial au prix de sa vie. De son oubli à son exhumation dans un temple à sa gloire, il est à lui seul tout l’enjeu de Poet : le combat des mots face à l’oubli de penser, l’attrait de l’argent dominant les décisions, l’opposition mutée en sournoise acceptation. La mise en scène est somptueuse, la plus remarquable vu cette année, et malgré une image aride et d’une certaine amorphie, le merveilleux dénouement final impose Poet comme un film majeur de l’année.

Godland de H. Palmason – 2/5

Tellement persuadé de sa beauté, qu’il en devient désincarné, froid, presque désintéressé de son sujet à la recherche perpétuelle du cadrage parfait. Il y a ce postulat de départ, des photographies retrouvées, et sa construction scénaristique qui en découle qui l’encadre dans une linéarité sans interprétation. L’animalité de l’homme (les dents de la jeune Ida), la remise en question de la foi (bien plus intéressante chez PT Anderson), les valeurs rurales, tout est trop lisible et plonge rapidement Godland dans un ennui caricatural.

Stella est amoureuse de S. Verheyde – 2,5/5

Vraie tendresse pour un film relativement mauvais, additionnant les clichés des années 80 parisiennes et ses Bains Douches sans jamais offrir un quelconque regard pertinent sur une époque culte, à part la bêtise idiote d’une gamine inculte et qui gambade dans les nuits parisiennes en dansant comme un pied, absurde et caricaturale trajectoire qui ne tient jamais la route. Et pourtant, il y a les copines de toujours et les sorties en boîte, le bac, les révoltes à deux balles, l’amour indéfectible d’une mère (Marina Fois), et d’un père qui sombre. Une drôle de maladresse touchante.

Fièvre méditerranéenne de M. Haj – 4/5

D’un sujet grave et plombant (la dépression), Haj détourne les codes du mélo dans une comédie lourde de sens, drôle et brillamment imaginé par un choc de personnalité (le pantouflard dépressif en cuisine, le mafieux tatoué bricoleur). La dépression donc, anesthésie du cœur, abandon de vitalité, et fatalité de l’âme d’allure incurable. Jusqu’à cette rencontre qui changera le destin final de Walid : une vie sauvée par la mort, et non la manigance de son suicide assisté comme vie brisée. Amertume de ton, lecture géopolitisée, audace d’écriture et de mise en scène, cette fièvre méditerranéenne donne étrangement le sourire dans ce raz de marée d’obscurité.

Pinocchio de G. Del Toro – 4/5

Réussite technique, beauté esthétique et poétique, Del Toro a su insuffler ses thématiques de prédilections pour réussir à détourner le conte si connu de tous – et à la moral un peu neuneu – dans une escapade plus sombre et tortueuse, invoquant bien sur le fondement de la paternité, mais aussi la peur de la mort et son acceptation pour mieux apprécier la vie (« profite de chacun des instants »). L’une des réussites du film est également sa satyre féroce et frontale du fascisme mussolinien, loin d’être anecdotique et offrant plus d’épaisseur à une escapade boisée qui ne sonne pas le toc. 

Le Otto Montagne de F. Von Groenigen et C. Vandermeersch – 4/5

De leur enfance italienne au grand air, à l’âge adulte en rupture, l’on suit le parcours de deux amis de toujours, Pietro et Bruno, baigné de décors somptueux de la vallée d’Aoste pour l’un, à l’Everest pour l’autre. Au-delà de la beauté naturaliste stupéfiante, rappelant avec intimité Frammartino et ses Calabres dans Il Buco, on retrouve par ce parcours divergent la capacité humaine à s’accomplir soit par opposition à ses origines (Pietro, rejetant son père jusqu’à sa mort) ou son acceptation aveugle (Bruno, où même l’amour pour son propre enfant ne pourra le faire quitter sa montagne). Opposition de vie et de valeurs, universalité du propos, nous qui quittons parfois nos amis d’enfance pour souvent les retrouver comme si le temps n’avait cessé de passer.  

Avatar 2, la voie de l’eau – 2,5/5

De ce grand spectacle tout numérique, pas grand chose hormis l’extase esthétique d’un monde sous-marin luxuriant et filmé en documentaire animalier, réjouissance de près d’une heure parmi les 2 autres. Pour le reste, Cameron rejoue ses classiques, la guerre antagoniste, l’amour (ici familial) source de survie, minimalisme scénaristique pour cueillir l’émotion primitive, simplicité du schéma narratif pour atteindre une certaine universalité. Spectaculaire, mais un cinéma qui ne me touche plus, démonstratif, grandiloquence pour dire si peu. 

Glass Onion de R. Johnson – 1,5/5

Film-sandwich par excellence, bête et pas drôle, se voulant pertinent par son regard soit-disant à distance sur la société inégalitaire à écran, alors qu’il y participe allègrement (cf. Sans filtre) en fustigeant tout ce qu’il représente. Les personnages sont lourdingues, la tension absente, la durée excessive. Il restera donc la fameuse mention « ça se regarde bien » qui désormais suffit à rendre formidable un film Netflix alors qu’il serait a peine regardable en salle. Dont look up deja pas brillant dans le domaine s’élève en chef d’œuvre de lecture sociétale face à ce Glass Onion bêta.