La critique est à retrouver dans Culturopoing.
Que l’on aime ou pas le cinéma de Stéphane Brizé, on ne peut nier la hargne et la chaude révolte qui le guide, une rébellion viscérale, intègre, contre les injustices sociales. Certains la jugeront démagogique, mais la pureté de sa mise en scène couplée à la gueule cassée de Vincent Lindon ont souvent accouché de brûlot anti-bourgeois convaincant (« La loi du marché », « En guerre », « Un autre monde »). Mais que s’est-il passé avec « Hors Saison » ? Un Brizé qui se la joue Ruben Östlund en moqueur provocateur d’une bourgeoisie qu’il ménage avec stupeur, un regard condescendant sur Mathieu (Guillaume Canet), acteur nanardesque français venu éponger sa peine dépressive dans une thalasso en Bretagne. Et pris de panique, il convoque la douceur désarmante de Alice (Alba Rohrwacher) pour tenter de sauver le naufrage en côte Atlantique. Il n’y a ici ni révolte ni combat idéologique, mais un bien pauvre soap téléfilmesque, une rom-com exsangue de propos, naviguant à vue, et qui interroge ouvertement sur les intentions de Brizé pris dans les tourments d’un film-vanne illisible.
L’ouverture fait sourire, Mathieu a quitté du jour au lendemain un projet de pièce de théâtre, lui l’ambitieux voulant « se mettre en danger » après sa folle réussite au cinéma. La peur des planches a tranché son avenir, lâche et apathique, il se retrouve dans une Thalasso 5 étoiles en Bretagne pour se « reconstruire », évacuer l’échec et se remettre au boulot (il a plusieurs scénarios à lire). L’on connaît la mono-expression de Canet qui joue ici le parfait benêt, la mine absente, incapable de faire marcher une machine à café tactile, au crochet de sa femme (une présentatrice de JT qui ne l’écoute pas), il erre dans le silence et la solitude, les plans se fixent sur le vide des couloirs pastels, une musique d’ascenseur ne cesse de résonner creux dans ce centre balnéo à l’atmosphère EPADH où son regard ne croise que celui de vieux bourgeois croulants de deux fois son âge. Cette longue séquence de comédie interroge, car au-delà de son échec (on ne rit pas), Brizé semble s’amuser du pantin Canet à le torturer par le ridicule et le rien en nous lâchant à la figure un « regardez ce riche misérable qui a tout pour être heureux» d’une telle littéralité indigne du prétendu niveau intellectuelle de Brizé, venant convoquer le pire de Francis Veber. Les séquences s’allongent, s’éternisent, l’écriture pauvre ne saurait s’apparenter à du Emmanuel Mouret qu’il semble vouloir grimer, et rien ne semble pouvoir se dépatouiller de ce marasme lourdingue. Jusqu’à l’apparition divine en « deus-machina » de Alba Rohrwacher, et la naissance d’une nouvelle intrigue.
La tête à claque de Mathieu se frotte à l’ange de douceur de Alice, une ex de longue date, perdue de vue après une séparation brutale dont elle n’a jamais réellement su se relever. Rohrwacher se donne tant de peine à équilibrer le manque de contenance de Canet, par des regards qui ne trompent pas, un sourire en coin qui désarme, cet accent italien, maladroit, qui contrecarre l’ironie stupide de Mathieu. Et lorsqu’une nouvelle romance semble renaitre de ces retrouvailles, une seule question nous martèle en tête : pourquoi ? Brizé vient ridiculiser la « province » en la filmant comme un désert d’arriérés (cette mauvaise scène de discussion entre le mari de Alice et des amis sur le sujet d’une femme noire pouvant interpréter le rôle d’une blanche, d’un racisme ordinaire songeur), appuyant de manière aberrante la sensibilité de Alice (et cette scène filmée par téléphone d’une histoire de lesbienne sortie de nulle part, si ce n’est donner une pseudo-contenance à son histoire), la séquence du mariage en filmant les « petites gens » comme de braves imbéciles heureux. Tout est surligné dans ce manichéisme sociétal ridicule et bas du front, le parigo déconnecté et sans valeurs face aux « gens vrais », ceux d’en bas, tous filmés avec hauteur et vue plongeante. Comment Alice peut-elle retomber dans les bras de Mathieu, pathétique petit être sans charisme surfant sur sa réussite télévisuelle, lâche et dévitalisé ? Cela n’a aucun sens. Et cette question qui hante le film finit par définitivement le tuer en nous désintéressant totalement du pseudo-enjeu de leurs futurs communs.
Brizé s’est fourvoyé dans cette rom-com ratée, à contre-courant de sa filmographie passée en faisant preuve d’une condescendance nauséeuse et choquante pour cette bourgeoisie qu’il a tant attaquée, et dont il s’amuse ici avec prétention et rancœur. Pire, lui qui a tant défendu « le peuple » le filme ici avec malveillance. Il peut remercier chaleureusement Alba Rohrwacher de sauver sa tête de l’échec total.