« Défendre la diversité du cinéma sous toutes ses formes«
Résister et tenter de niveler les inégalités d’un milieu qui s’en nourrit. Voilà la volonté de l’ACID (association du cinéma indépendant pour sa diffusion) depuis plus de 20 ans. Je rencontre aujourd’hui Idir Serghine, co-president de l’association et réalisateur, ainsi que Fabienne Hanclot, déléguée générale de l’association pour mieux comprendre l’importance de l’ACID et sa place dans le cinéma indépendant. Dans un monde qui dérive, cette rencontre redonne espoir dans le choix de la qualité et de l’audace artistique plutôt que dans la quantité et la médiocrité populaire. Ouf, j’étais à deux doigts d’abandonner.
L’ACID a été pensé à travers le manifeste d’Henri Langlois de 1991 « Résister » où il avance que « tous les films sont égaux » : est-ce là l’idée principale de l’ACID, égaliser les chances ?
Fabienne Hanclot : Oui, et principalement pour niveler les inégalités de distribution. En effet, au départ les films étaient très peu vus en régions, et l’idée de l’ACID était d’aller les diffuser directement auprès des salles en créant une chaine direct entre l’auteur, la salle et le public. Tirer des copies et faire le tour de la France pour les montrer.
Idir Serghine : Et de résister à la contrainte de marché qui écrase les films que l’on défend, créer des brèches pour s’y engouffrer et diffuser nos films pour défendre la diversité sous toutes ses formes.
Justement, comment réussir à garder cette diversité de proposition mais dans une certaine homogénéité dans la sélection artistique de vos films ?
IS : On refuse l’idée d’un étiquetage ACID, on défend n’avoir aucune ligne rédactionnelle. La seule homogénéité que l’on pourrait déceler, c’est l’audace de la proposition artistique. L’audace du geste malgré les maladresses qui peuvent d’ailleurs créer la force du film. On est sensible aux tentatives, sans pour autant quelles soient réussites. Nous sommes exigeants mais généreux. Il ne faut pas oublier que nous sommes une association de réalisateurs, solidaires les uns envers les autres.
FH : Les deux seuls critères sont simples, moins de 40 copies et uniquement des distributeurs indépendants. Pas de ligne éditorial mais une conviction principale, celle de se battre pour les films que l’on sélectionne. Lorsque 10 cinéastes d’âges et de sensibilités différentes sont emballés par un film, il ne peut y avoir aucun retour en salles. L’exemple le plus cinglant est avec « Sans Adieu » l’année dernière, rejeté par les distributeurs et qui a fait 50 000 entrées. L’idée est de renverser l’offre et la demande.
Comment a évolué les propositions artistiques des films indépendants sélectionnés par l’ACID ces dernières années ?
IS : C’est clairement le décloisonnement entre la fiction et le documentaire. Et la raison est simple, faire de la fiction demande énormément de subventions. Et pour avoir cet argent, il faut formater ton projet, le broyer à la moulinette. Généralement la bonne idée de base est vidée de son substrat. Savoir y résister, se battre pour son projet jusqu’au bout malgré la pression économique, c’est ça que l’on veut défendre.
Quelle est l’importance de l’ACID Cannes et vos ambitions avec une telle exposition ?
FH : Elle est indispensable et vitale. C’est la meilleure vitrine professionnelle qui soit, tout le monde produit à Cannes. Et nous sommes convaincus depuis 1993 que le cinéma indépendant y a toute sa place. Par contre, nous sommes hors toutes compétitions, notre seul lien avec le festival est la location de salles et leur aval. Le seul côté malsain d’une telle exposition, c’est que tout le monde veut y être. On reçoit des centaines de films à visionner en peu de temps et ce n’est pas l’idéal.
IS : Oui, les films ont une vraie tribune, une exposition énorme, un retour de la presse internationale. Et on en profite pour défendre le cinéma que l’on aime, affirmer notre spécificité. Et surtout, révéler les cinéastes de demain comme Serge Bozon (La reine des pommes, la Chambre bleue) par exemple, passé par l’ACID.
Comment gérez-vous la ligne étroite entre votre démarche associative et votre engagement politique ?
FH : En France, les décisions politiques se font en concertation avec les professionnels du cinéma. C’est donc d’ordre commun que les associations participantes au débat politique sont également financées par l’Etat avec lequel il discute. C’est certes un terrain glissant mais ça ne nous empêche pas de gueuler non plus ! Mais on a un vrai rôle d’expertise, nous qui sommes directement sur le terrain.
Avec ACID Trip (ndlr : programme d’échanges européens sur le cinéma indépendant), vous ouvrez la porte à l’Europe : est-ce là une vraie volonté d’expansion ?
FH : On est très sollicité par les associations de cinéastes étrangères. Nous avons récemment envoyé 2 cinéastes de l’ACID récemment pour aider la distribution des films en Argentine par exemple. C’est un échange d’expertise, on croise les pratiques.
IS : Et cela donne aujourd’hui la mise en avant du cinéma indépendant portugais cette année à l’ACID Cannes, le cinéma serbe l’année dernière. Avec bien entendu comme principal objectif dans l’avenir, la mise en place d’une chaine de diffusion européenne dans les salles.
La culture est devenue une masse, l’élite devenue un commerce, la consommation du cinéma automatisée par les grands groupes (Netflix, Amazon). Il y a encore de l’espoir alors ?
FH : Mais bien sûr ! Ce qui nous sauve, c’est le terrain. Et les réactions unanimes dans les salles à chaque fin de projection : « Mais pourquoi ce film ne passe pas dans la ville d’à côté ? ».Mais nous sommes d’accord, dans l’idéal l’ACID n’existerait pas. De devoir être présent signe déjà un problème majeur. Mais soit on abandonne, soit on avance, on se bat chaque jour sur le terrain en espérant que cette situation critique crée un besoin plus fort de rassemblement. Cela implique de repenser en permanence le lien avec le public.
IS : Faire ce que les libraires ont réussi à faire. Dépasser la seule projection d’un film pour en faire un événement culturel à part entière, avec des débats, des échanges pédagogiques avec le jeune public. Quand tu vois la projection de SWAGGERdevant une salle remplie de jeunes en délire, ça te file une bonne dose d’espoir. Il faut réinventer la salle de cinéma et instaurer un réseau positif du cinéaste et de son film jusqu’au public à travers l’exploitant. Il faut créer du débat. Et donner envi.