Tron Legacy

LA QUÊTE DU BIT

Il est dix-huit heures. Je m’immisce, chaland, dans le nouveau cinéma IMAX de la région parisienne (1), un volumineux et hideux Pathé. Ma situation est critique, la goutte d’acide sur ma peau grisonnante, la peur au ventre, l’idée terrifiante de ne pas pouvoir entrer, se faire recaler et rester irrémédiablement derrière la ligne du célèbre «c’est plein, désolé». C’est un cauchemar récurrent et traumatisant chez le geek. C’est donc une heure trente en avance que je gagne la file pour découvrir en exclusivité mondiale – rien que ça – vingt minutes du film TRON, Legacy, bébé sur-botoxé du révolutionnaire TRON seul du nom, produit à l’époque sur MS Dos. Ou pas loin.  

J’aurai aimé décrire l’odeur du hot-dog fumé, les chaises de camping dépliées et l’ambiance Comic con déguisée. Mais, pour tout avouer, nous étions trois pauvres blanc-becs : un grand lisant Science et Vie magazine, un petit vociférant sur Doodle jump et moi. Alors pour oublier mon triste sort de Rémi,  je me suis offert des langues coca-cola et des parties de «Terminator Renaissance» où l’omniscience de l’extrême violence, la mitraille à balle devant un public d’enfants rois aguichés par ma force destructrice. Mais, ne voulant perdre ma place de jeune premier, il me faut abandonner ces frivolités et rejoindre la bande de joyeux lurons. Je reconnais Rebecca Laffler, journaliste pour Hollywood Reporter qui débarque. Quelle drôle d’idée de voir cette clubeuse anorexique à la face prognathe avancer vers le timide à lunettes devant moi. Avec son accent, je le concède sexy, elle lui demande. « C’est ici pour Tron legacy ?». En bon geek sur la défensive, la réponse est spontanée. «Oui mais il faut faire la queue, comme tout le monde, par ici». Audacieux me dis-je secrètement en attendant le retour de bâton. «Non mais je suis invité moi, je n’ai pas besoin de ça». Petite prétentieuse. Le pauvre blondinet est décontenancé. Il n’a su réagir à la réaction d’une femelle ailée, venant l’accoster. Les yeux baissés, les pommettes rosées, il retourne dans sa triste et lancinante lecture scientifique sur Yellowstone et son super volcan, qu’il espère secrètement détruire, ce foutu pays arrogant qu’il aime détester, l’eldorado du gros. 

Il est dix-neuf heures vingt-cinq. La queue s’est allongée dans une ambiance sortie de classe pour spé math : du bon vieux gaillard suintant. La seule présence féminine est elle assez dégoûtante : du jogging à paillettes et un QI niveau Roland Magdane. Folklorique situation, cette jeune mad’moiselle a cru que la file était à destinée des chiottes. Deux cents personnes agglutinées pour chier ? En voilà une drôle d’idée. L’excitation est grandissante. Les gens sont nerveux, le regard vissé sur la ligne d’arrivée, les coudes se frottent, les pieds s’écrasent, les combattants se jaugent. La tension est à son paroxysme. Comme une éjaculation précoce, un abruti s’est emballé. Et le voilà parti en courant avant l’ouverture de la barrière.. Rapatrié immédiatement par la sécurité, éliminé d’entrée. Erreur de débutant qui lui coûtera la victoire finale. Car il est désormais temps. Je m’avance, enjambe sa redingote patchée mac book et démarre au quart de tour. On ne court pas. On marche vite. Les escaliers comme ultime ascension, les lunettes en poche et une question fatidique, aux abîmes : «Où est la salle madame ? Où est-elle ?» s’écrie un geek. «Vous voyez monsieur l’énorme logo bleu IMAX derrière vous, c’est ici». La scène est tordante. Un mouchoir pour éponger sa sueur et c’est d’un sourire un brin honteux qu’il me regarde intimidé. 

Des rangées de journalistes dans mon dos, un écran monstrueux devant mes yeux. La salle est loin d’être comble. Le représentant Disney se satisfait d’une bien maigre affluence : «Merci d’être venu si nombreux pour découvrir ces images exclusives». Ca piaffe dans le public, les regards dévisageant les sièges vides. La lumière tamisée devient obscurité. C’est de la VF. Ca n’arrange en rien la piètre performance de ce jeune acteur fade et vide de personnalité. Comme Sam Worthington dans Avatar, il fallait à TRON un acteur effacé pour laisser la technique parler. En parlant de technique, la 3D n’a d’ailleurs pas fonctionnée lors d’extraits devant nous en foutre plein la tête, genre «cinéma dynamique Futuroscope interdit au moins de 1m20». La suite est plus consistante : une puissance sonore agressive mêlée d’une ambiance 8bit parfaitement restituée, sans jamais tomber dans la facilité d’un bruitisme Nintendo. Les Daft Punk offrent du solennel à Tron. Graphiquement bluffant, la 3D s’incorpore parfaitement à la thématique «computer». Mon dieu quelle claque cette poursuite motorisée. Et réussir à faire bander avec un Snake Nokia 33-10, faut se bouger : chair de poule, regard en mydriase, poils dressés.

Certes, peu d’informations en vingt minutes. Mais je peux d’ores et déjà avancer que Tron Legacy ne sera pas révolutionnaire comme l’a pu être son aîné. Il ne détrônera pas non plus Avatar dans sa technicité. Et ne sera en rien la bombe annoncée. Cependant, le deux février est déjà coché sur mon calendrier. Comme un routier texan attend le prochain Roland Emmerich avec passion, moi, jeune geek désormais pubère attends avec éréthisme Tron Legacy. Et pour quoi ? Simplement chier dans mon froc de plaisir futile.

(1) A Ivry-sur-seine. L’autre cinéma IMAX, c’est chez Mickey.