Terrence Malick, rencontre avec Jean-Michel Durafour

La perception et la berlue 

Palme d’or 2011, film controversé, le Tree of Lifede Terrence Malick n’a pas fini d’alimenter les débats endiablés de cinéphiles, transcendentalistes, philosophes et simples spectateurs comme moi. En compagnie de Jean-Michel Durafour, nous revenons sur le cinéma malickien,  son travail sur la perception, son rapport à la nature, de La Balade sauvageà La Ligne rouge, des Moissons du cielau Nouveau Monde

Agrégé de philosophie et Docteur en esthétique, utilisant un vocabulaire me dépassant par moment, Jean Michel Durafour, Maître de conférences en études cinématographiques et audiovisuelles à l’université Paris-EstMarne-la-Vallée,passionne à la fois par son discours pointu sur le travail de perception de Terrence Malick et par sa subjectivité bien trempée, même s’il rappelle volontiers qu’il n’est en rien un critique de cinéma. Alors nous y voilà, Jean-Michel Durafour et son café à 3 euros. Moi, mon demi à 6 dans l’ambiance cheap et retro-futuriste du café Bobobourg. Il faut s’accrocher – mon dérushage d’une heure et demi d’interview n’est pas là pour mon contredire – respirer un grand coup et absorber non pas la nature de Malick mais bien les paroles d’un passionné. 

Commençons par le commencement. L’éducation de Malick dans une famille très catholique et son enfance parmi les grands espaces américains. Sont-ce là des éléments fondamentaux dans son futur cinéma ?

S’agissant de la question du rapport à la nature, il me paraît un brin simpliste de la faire remonter à son expérience enfantine. Pour faire court, on ne devient pas Terrence Malick en habitant dans des grands espaces mais par un parcours spirituel et intellectuel unique.  Son côté « naturaliste » est, on aura sans doute l’occasion d’y revenir, très travailléet s’ancre surtout, si l’on doit à tout prix en fixer une source, dans ses années de formation philosophiqueau MIT. En revanche pour ce qui est de son éducation chrétienne, il est vrai. La dominante chrétienne est très présente, trop peut-être dans Tree of Life. Le film en devient parfois un brin mièvre quand on n’est pas un spectateur américain féru de bigoterie, ou qu’on est tout simplement un spectateur athée, comme il arrive parfois.

Après un court-métrage très confidentiel, Terrence Malick se lance dans le long avec la Balade sauvageen 1973 avec Martin Sheen. On voit déjà les prémices du cinéma malickien avec une nature immuable face à la mort et à l’évolution moderne. Associés à cela, on retrouve une trame scénaristique simpliste, très carrée. Plus les années vont passer, plus le scénario sera complexifié et déstructuré. Comment voyez-vous cette évolution ?

Effectivement, La Balade sauvageconserve un schéma narratif classique. On s’inscrit  dans un cinéma de genre, le road movie, une des grandes spécialités du cinéma américain des années soixante-dix. Pour la nature, elle apparaît d’entrée primordiale et connectée à la fuite, rattachée à la narration – ce qui sera de moins en moins le cas par la suite – mais toujours avec un regard très accessible,car Malick n’est en rien un cinéaste expérimental. On peut en effet distinguer trois périodes chez lui. Les deux premiers longs métrages dans lesquels la trame narrative structurante reste marquée. Ensuite,  vingt ans après, La Ligne rougeet Le Nouveau Mondeoù la sur-présence de la voix-off décentre le récit vers ce que le journalisme appelle facilement un ton « choral ». Et enfin avec Tree of life, seul à ce jour,  avec une trame scénaristique réduit a minimaet une première partie qui lorgne du côté de l’expérimentation décomplexée de l’obligation narrative (et qui se rapprocherait plus de la fin de 2011, l’odyssée de l’espace, de Kubrick, que d’un genre codifié comme le road moviede La Balade sauvage).

Tourné au Canada en 1978, Les Moissons du ciel laisse apparaître de manière plus notable la voix-off accompagnée de la musique omniprésente d’Ennio Morricone. Que cherche d’ailleurs Malick à nous imposer avec cette voix-off ?

Dans Les Moissons du ciel, la voix-off est celle de la jeune sœur jouée par Linda Manz. Elle a pour objectif la déconstruction narrative. Il est manifeste que l’on a affaire à une voix-off rapportant des événements dont elle n’a pas connaissance, auxquels elle n’a pas pu assister. Alors comment le sait-elle ? On ne le sait pas. Le geste en soi n’est pas nouveau mais ici elle est faite pour irréaliserle monde de la fiction. Elle intervient également, avec la musique, dans un travail bien plus spécifique à Malick sur la perception, pour la détacher de la narration et proposer le film comme une série de propositions perceptuelles. Comment le cinéma peut-il nous ouvrir à une forme de perception inédite, non humaine ? Cette une question qu’on a posée à toute la machine-cinéma (Jean Epstein, par exemple) et que Malick pose, autrement, à son tour : celle de la désanthropomorphisationde notre perception. Comment le cinéma peut-il nous faire quitter l’homme qui est dans notre regard et nous ouvrir à une expérience littéralement extraordinaire de la perception ? Cette question était déjà présente dès La Balade sauvage. On y trouvait un certain nombre de glissements de perception à l’aide des procédés figuratifs servant à déshumaniser le corps de l’homme. Deux exemples récurrents dans son cinéma. Le premier est la marche dans l’eau qui représente le glissement d’une perception terrestre (tirée par rapport à des points fixes) à une perception aquatique (sans points fixes et où tous les points se valent) donnant lieu à un impressionnant travail sur la discontinuité des raccords (Les Moissons du cielTree of Life). L’autre, c’est celui  qui consiste à végétaliser le corps humain et notamment avec la figure de l’épouvantail que l’on rencontre dans La Balade sauvageLes Moissons du cielet même jusque dansLe Nouveau Monde. Comment se passe la première rencontre entre Pocahontas et John Smith dans le champ de hautes herbes ? Il y a cette collusion entre l’herbe et un corps humain, celui de Pocahontas, qui est tout d’un coup perçu par Smith, qui fait saillance dans sa vision, parce qu’il lui apparaît soudain comme une herbe, une « grande tige » quoi, différente des autres… Malick filme toujours de très hautes herbes. On marche communément sur l’herbe, mais ici on marche dedans. Et avec ce décentrement perceptif, Malick déplace la caméra pour filmer à hauteur d’une herbe inconsciente, inhumaine mais qu’il anime pour pouvoir observer les scènes du point de vue végétal.

Où placer Terrence Malick vis à vis des théories transcendentalistes de Emerson, lui qui utilise la technique, le cinéma pour filmer la nature ?

Le rapport à la nature de Malick n’est pas aussi direct et immédiat que l’on aimerait le penser et surtout pas aussi transcendentaliste dans le sens propre du terme. Il y a quand même une différence monumentale entre Emerson ou Thoreau et Malick, entre un écrivant(poète, essayiste, etc.) et un cinéaste. Si le philosophe peut écrire seul dans son coin, en contact étroit avec la nature, le cinéaste trimballe des caméras, une équipe de tournage, des éclairages, toute une technique indissociable de son travail. On est loin de la plume d’oie… Malick le sait pertinemment. Il sait que la nature est un conceptévolutif depuis la vision de la Grèce antique jusqu’à l’homme moderne, et que celle-ci est avant tout un paysage dans un cadre culturel. Il n’y a qu’à voir d’ailleurs comment les personnages de ces films se désintéressent totalement de la nature merveilleuse qui les entoure. Pour eux, elle est un simple cadre de travail, qu’ils soient soldats ou moissonneurs saisonniers. Les hommes n’ont rien à faire de la nature (Les Moissons du ciel), ni la nature de l’homme (les perroquets de La Ligne rouge, les criquets des Moissons du ciel). Le problème avec le transcendantalisme,c’est que l’on appuie uniquement sur la symbiose avec la nature. C’est vrai, mais l’on oublie souvent une chose, comme le disait déjà Emerson, c’est que ce n’est en rien incompatible avec l’être technique. Et dans les films de Malick, une technique, certes rudimentaire (l’agriculture, les jeux, etc.), est déjà présente dans la nature.  On est bien loin de la contemplation pure et dure désintéressée, mais caricaturale, de la nature. D’autant que la nature, chez Malick, est aussi souvent violente, cruelle. Autre chose : la nature a souvent un aspect monstrueux: les feuilles géantes de la jungle, les huîtres aussi grandes que les mains, les gros plans d’insectes, etc. Il y a ce côté science-fictionnelde la nature qui permet un nouveau travail sur la perception… Je crois donc que l’on met mal l’accent en appuyant sur un pan exclusif du transcendantalisme. La question de la technique est bien plus spécifique au cinéma malickien. 

Les mouvements d’eau, d’herbes, de plantes aquatiques renvoient au travail sur le mouvement de Tarkovski. Pouvez-vous me parler de ses principales influences, et notamment américaines ?

Je ne retiendrais pas le travail de Tarkovski en référence principale. En effet, il y a avant tout un corpus de films américains. J’en retiendrai quatre. Le premier est un film muet d’un émigré suédois, Victor Sjöström, qui s’appelle Le Vent(1928). Le vent y est figuré à l’écran par des magnifiques mouvements de poussière, de nuages et contient une scène où Lillian Gish, la grande actrice des films de Griffith, s’amuse avec des images stéréoscopiques dans une cabane en bois. On trouvera une scène similaire dans La Balade sauvage. Une seconde influence évidente est L’Intrusede l’Allemand F. W. Murnau (1930) où une jeune femme, venue de la ville, est un objet de rivalité amoureuse entre deux hommes au milieu des champs de blés et des moissons. Ce film inspirera fortement Les Moissons du ciel. Le troisième film est La Nuit du chasseurde Charles Laughton (1955), où joue aussi Lilian Gish…,et notamment le moment de la fuite sur la rivière des enfants avec cette magnifique séquence nocturne. Pendant toute la poursuite, on peut voir des contre-champs au téléobjectif, je dirais presque « pré-malickiens », avec une toile d’araignée en amorce, ou bien un crapaud, une chouette, où la narration est provisoirement abandonnée. Le dernier film qui me vient à l’esprit est celui de Nicolas Ray, La Forêt interdite (1957),dans laquelle l’on retrouve également des plans « naturalistes » dans les Everglades proches de ce que fera Malick. Le personnage principal de ce film est d’ailleurs interprété par Christopher Plummer, l’homme qui jouera le capitaine Newport du Nouveau Monde. C’est, à mon avis, loin d’être un hasard. 

Est-ce que chez Malick l’acteur est secondaire par rapport au visuel ? Et quelle importance leur accorde-t-il ?

Je crois beaucoup. Surtout que la plupart des acteurs ayant travaillés avec lui répètent souvent qu’il les a énormément impliqués. Ce n’est pas un cinéaste allaHitchcock, qui traite les acteurs comme du bétail. Et c’est indispensable. Un tel cinéma ne peut fonctionner que si les acteurs sont formidables. Et d’ailleurs, c’est valable pour la majeure partie des acteurs ayant joués avec lui, qui y ont généralement trouvé l’un de leurs plus beaux rôles. Richard Gere dans Les Moissons du ciel, Colin Farrell dansLe Nouveau Monde, et ainsi de suite. Un bon acteur, comme un bon script, c’est l’assurance pour Malick que l’aspect narratif du film, la fable, ne posera pas de problèmes, et que le spectateur aura donc toute son attention libre pour le travail novateur sur le spectacle et la perception. Qui va la lui demander, en effet ! Le choix d’une musique populaire, et donc rassurante(Mozart, Smetana), va dans un sens comparable. Si on le prend au pied de la lettre, on se demande bien ce que vient faire le 23èmeConcerto pour piano de Mozart dans Le Nouveau Monde. Quel anachronisme ! Et ne parlons pas de Wagner… C’est sacrément gonflé. Mais il s’agit de proposer au spectateur des « poches de facilité perceptives », une espèce defond moyen, presque cliché,sur lequel vont venir prendre place les saillances, sonores (on n’avait jamais entendu les bruits de la nature comme dans Les Moissons du ciel, qui a bénéficié du tout nouveau système Dolby) ou visuelles. La vraisemblance est secondaire.

Donc par ces acteurs, sa musique, il nous permet de faciliter notre regard et ainsi transmettre ces messages sensoriels de manière plus aisée.

Tout à fait. Et du coup le spectateur est disponible pour d’autre chose. Fondamentalement, Terrence Malick n’est pas un réalisateur expérimental et, tout comme Kubrick qui pense le cinéma comme un laboratoire de pensée, leurs idées ne peuvent ressortir que sur un fond figuratif qui ne fait pas de difficulté en tant que tel. Si tout pose problème, si tout est disruptif, le spectateur est perdu et ne reviendra plus. Or Malick, ne l’oublions pas, travaille dans le cadre du cinéma hollywoodien mainstream. Et c’est un choix. Le public est très important à ses yeux. C’est le côté didactique de ses films. Et honnêtement, le but de Malick, comme tout artiste, c’est d’être vu. Cela va donc passer par des émotions connues et jouées par des acteurs connus ; pour la musique savante, c’est exactement la même chose et Malick préfère utiliser des « tubes » très accessibles, tonaux et mélodiques (ils sont légion dans Tree of Life). Cela nous permet de comprendre ces choix musicaux parfois déroutant. Et avec ce type de stratégie, on est toujours, comme je disais, au bord du cliché. Et c’est également valable visuellement. Il faudrait être de sacré mauvaise foi pour ne pas concéder le côté National Geographicde certains plans. Et Malick le sait pertinemment. Martin Sheen feuillette ce même magazine dans La Balade sauvage. Le côté neuneu, c’est le risque permanent de la stratégie sensorielle pariée par Malick. Mais on peut dire que c’est partie intégrante de son geste cinématographique : embellirla nature (avec l’aide de ses chefs opérateurs : Néstor Almendros, Emmanuel Lubezski), c’est encore contribuer à reconstruirela nature, à montrer que la nature est toujours une idée fabriquée, un artifice.  

Dans La Ligne Rougeet Le Nouveau Monde, il aborde – ce n’est peut-être pas un thème nouveau – encore plus le thème de la colonisation, de la conquête de la terre sauvage. Sean Penn décrit la guerre comme une simple conquête de terre. Comment voyez-vous cette ligne directrice abordée après quasiment vingt ans de silence ?

Dès La Balade sauvage etLes Moissons du ciel, ce thème est déjà posé. Et cela permet de casser l’idée qu’il y aurait un monde humain, technique, industriel d’un côté, et la nature de l’autre. C’est d’ailleurs très américain aussi, ce n’est ni plus ni moins que le bon vieux thème de la « frontière » cher à Frederick Jackson Turner et qui a fait les riches heures du western. Malick pense toujours en termes de passage, et la conquête en est un. Deux espaces a priori séparés ne le sont finalement pas et un passage s’établit entre ces deux univers. Par exemple dans Les Moissons du ciel, on a deux lieux bien distincts a priori : la fonderie et les champs. Sauf que ce qui relie Chicago aux champs, dans le film, c’est le train, objet technique à part entière qui vient grignoter cette frontière mobile entre les espaces. Pour moi, ce n’est pas une question de colonisation mais une question d’absorption de la nature. Il y a une scène très belle dans Les Moissons du cielavec un épouvantail en premier plan au début du jour, puis au second plan des saisonniers qui s’agitent (un peu comme si l’épouvantail d’avant prenait bizarrement vie…). Et dans un troisième plan, Sam Shepard qui mange des graines de blé dans une sorte d’eucharistie panthéiste. Et c’est cette idée qui est passionnante : qu’il faut prendre la nature en soiet non vouloir retourner à la nature, ce qui ne veut en soi rien dire… Au début de La Balade sauvage, Martin Sheen trouve un chien mort et pose cette question : « Serais-tu capable de le manger ? » Dès le départ, l’idée de l’absorption. 

Et avec Tree of life, sommes-nous dans une continuité simple ou une montée en puissance venant ainsi briser la redite spirituelle de ces précédents longs métrages ?

Je n’en sais trop rien, Tree of Lifem’a laissé sceptique. Si j’étais un peu pinailleur, je dirais que c’est un film raté. D’abord, ça ne pouvait être que raté. Il y a une telle ambition intellectuelle,  une telle envie de se mesurer à Kubrick notamment, ça saute aux yeux et c’est décevant. Et puis, comme tous les projets que l’on traîne depuis longtemps, ça ne fait jamais de bon film comme Existenzde Cronenberg par exemple, où il y a toute la panoplie du petit Cronenberg de poche et pas grand-chose à l’arrivée. Il y a un côté « cul cul la praline ». J’ai été très désappointé par le Big Bang et les dinosaures. Je ne sais pas si c’est de la naïveté ou de la prétention invraisemblable. Par contre, il y a un phénomène de continuité indéniable et il est logique que Malick aborde le sujet de la perception totale. On passe de la nature à l’univers. Pourquoi pas ? Soyons pinailleur, allez ! Pour moi, Tree of Life, c’est deux heures et demie de dépliement un peu long des cinq dernières minutes, exceptionnelles, de L’Homme qui rétrécitde Jack Arnold (1957), ni plus ni moins. Mais Tree of Life présente néanmoins des phénomènes de rupture très intéressants, notamment dans la place accordée aux enfants, à la naissance.

Il y a un nombre de thèmes abordés invraisemblable, la conscience et cette flamme entre les scènes, l’allusion maladroite entre le dinosaure et l’enfant.

Quel programme (rires) ! Tout à fait, c’est une espèce de codex fourre-tout. Je trouve que Malick réussit bien mieux avec un fond cinématographique, disons, « ordinaire ». C’est pour cela que, pour moi, ses deux films les mieux réussis sont Les Moissons du ciel, où le cadre narratif demeure tout à fait conventionnel, et Le Nouveau Monde, avec cette histoire de Pocahontas d’une mièvrerie profonde mais qui fait fonctionner le reste (la perception, toujours) par effet de contraste. Pour revenir au coup du dinosaure compassionnel, il faut sacrément être frappé d’anthropomorphisme pour le voir. Et du coup,  c’est tellement anti-malickien de penser quelque chose de pareil que ça me déconcerte. Trouver de la pitié dans un dinosaure, c’est le traiter comme un être humain. Or on en est loin. Cela ne colle en rien avec le geste malickien. Et ce genre de scènes, qu’on peut interpréter de manière si éloignée de ce que propose le reste du corpus de Malick, est bien le reflet du caractère déroutant de ce film.

Et cette omniprésence religieuse, « Dieu est dans chacun, Dieu est partout » vous a-t-elle agacée ?

Soit on a une lecture transcendentaliste de Malick (ce qui n’est pas mon cas), on était donc habitué à un panthéisme païen, presque grec avec une conception de la nature mystérieuse et une communion entre l’homme et le végétal, l’animal, le minéral. Et alors on ne peut être que perplexe devant ce monothéisme clinquant. Soit, comme moi, on a une autre vision de Malick, et on en ressort tout aussi désorienté. Ce qui me gêne surtout, c’est qu’il y a une reconduction tacite de l’idéologie américaine dominante libéralo-chrétienne. Voilà qui me paraît très décevant, par rapport à un film comme La Balade sauvage qui proposait un discours sur la société autrement plus critique et déstabilisant. Mais c’était les années soixante-dix, on sortait des mouvements de contestation et de revendication de la décennie antérieure, et les temps étaient différents ! Ca se voit au niveau des acteurs. Au début de sa carrière, il découvre des bons acteurs : Sissy Spacek, Martin Sheen, Richard Geere…bon acteur je vous assure, Brooke Adams. Quand j’ai vu Brad Pitt, je n’ai pas compris.

Il y a quand même des images sublimes, un cadrage magique, une valse interminable d’une beauté ahurissante.

Oui, mais c’est une suite d’imagerie. « Faire de l’imagerie à la place des images ». Il y a un côté virtuose, regarder comme je sais bien filmer, monter et cadrer ; c’est pénible. Pour moi c’est le film que Malick voulait faire pour avoir sa palme d’or. Il ne se renouvelle pas dans son travail sur la perception. Pour être méchant, on pourrait dire que Malick a tenté de faire la fin de 2001mais pour faire encore plus fort, il l’a mise début.

Après nous avoir parlé de la création du monde, ou peut il désormais aller ? Sa destruction comme Melancholiade Lars von Trier ?

Je n’espère pas ! De toute manière, le principe d’une grande œuvre, c’est que l’on ne peut l’anticiper. Si c’était le cas, Malick serait devenu Spielberg. Et puis comme disait Bergson, elle ne devient possible qu’une fois faite. Je sais juste que j’aimerais que Malick revienne à un peu plus de simplicité. Mais ça, c’est mon goût personnel de spectateur.

Un grand merci à Jean-Michel Durafour, sa dernière étude publiée chez Puf, « Jean-François Lyotard : questions au cinéma ».