SEPTEMBRE 2022

Toutes les critiques du mois

Justes sous vos yeux de Hong Sang-Soo – 4.5/5

HSS continue son exploration de l’altérité de la psyché humaine dans une quête effrénée du temps perdue (2 films par année désormais), ici, la mort et son acceptation, la révélation de la beauté du monde face à la conscientisation de la fin. Rien ne semble s’opposer à l’infinie mélancolie de ses mises en scène, qui s’étendent sur un détail d’allure insignifiant, pour retourner l’évidence dans un questionnement profond par une phrase envolée. Il n’y a désormais plus à s’interroger sur la réussite ou non d’un film de HSS, mais juste accepter que sa filmographie trace pas à pas les contours métaphysiques universels de tout âme souhaitant dérouter de son chemin auto-programmé et abrutissant d’une société qui n’a plus le temps. Éveilleur de conscience, acteur unique et indispensable à celui qui veut enfin réfléchir sans nuire.

Revoir Paris de Alice Winocour – 4.5/5

Absolument bouleversé par le dernier film d’Alice Winocour (Proxima, Mustang), qui dépeint avec distance et grâce (ce, malgré la dédicace en fin de film pour son frère présent au Bataclan) le parcours déchirant d’une rescapée de l’attaque terroriste parisienne. Efira est d’une justesse inouïe, ne tombe jamais dans le sur-jeu maladroit, mais incarne une force vitale, habitée par un profond désir de comprendre l’inexpliqué, revivre l’horreur qu’il faudrait oublier, hanter le maudit pour lui donner un sens (et cette phrase qui résonne de l’excellent Magimel : « Qui peut nous voir ? Nous sommes des fantômes »), et se battre, non pas pour revenir à sa vie passée désormais volatilisée, mais pour construire celle du futur, marquée pour toujours (sa cicatrice qu’elle ne pourra effacer) mais qui saura grandir et se façonner non par la rage et la haine, mais par le seul combat qu’il faille défendre, celui de la liberté de vivre.

Flee de Jonas Poher Rasmussen – 3.5/5

Au-delà de la saisissante histoire (vraie) d’Amin et son trajet migratoire de l’Afghanistan au Danemark pèse dans Flee un sujet plus lourd, celui de la souffrance du mensonge, du poids des non-dits, et de cette incapacité viscérale à assumer entièrement sa propre identité, et pour la pire des causes, la peur du rejet (littérale ici, et le rapatriement à Kaboul), la crainte du regard (celui d’une famille qui a pourtant toujours su), et cette incapacité – inhérente à une vie diligentée par la fuite et la méfiance, à enfin accepter d’être heureux, sans culpabilité, et de se poser là où plus rien n’est à prouver. L’animation s’entre-mêle au réel dans une poursuite éloquente d’un rêve de liberté, et un message universel sur l’accueil des immigrés qui ne doit même plus être un débat, mais une vérité absolue et indiscutable.

Tout le monde aime Jeanne de Céline Devaux – 3.5/5

Céline Devaux et son tout premier long-métrage Tout le monde aime Jeanne. D’ailleurs, elle ré-utilise ce qui a fait la réussite de ses courts-métrages (« Gros Chagrin » en tête), la voix off intérieure, l’animation de ses propres dessins, et cette humour du détail et de l’ordinaire qui joint une sensibilité poétique moderne et désabusée. On pouvait craindre l’étalement d’un tel procédé lors d’un long, mais la réussite est bien là, le duo Laffite-Gardin au ton juste, la légèreté apparente peut agacer, mais je reste conquis par un procédé singulier, et une émotion probablement volatile mais salutaire. En effet, la larme est passagère, le remue interne présent mais éphémère. Mais on ne peut que saluer ce premier acte d’une probable belle carrière de cinéaste à venir pour Céline Devaux.

Feu-Follet de Joao Pedro Rodrigues – 4/5

Fougueuse aventure dans les souvenirs perdus d’une royauté sur son lit de mort, liberté et modernité de ton, Feu-Follet au-delà de sa fantaisie parfois déroutante, interroge en à peine une heure sur l’emprise colonialiste blanc, la mort de notre eco-systeme et sa déforestation, joue avec la prétendue virilité hétéro du pompier bien gaulé pour la détourner en une danse phallique virevoltante. Mais le fond reste bien plus féroce que l’image qui semble baignée d’une branchitude passagère. Et le tout s’ancre alors dans une réflexion qui semble nous dépasser, mais qui fait l’essentiel, interroger.

Pinocchio de Robert Zemmeckis – 1.5/5

8/9 : Hormis quelques virtuosités visuelles, le Pinocchio de Zemmeckis et Tom Hanks est bien pâle, dramatiquement désincarné pour un film parlant tant d’humanité, froide démonstration de force visuelle, maladroite mise en scène euphorique et excité, oubliant l’essentiel : l’émotion est absente, les scènes s’enchaînent comme une lecture glaciale de story-board, et malgré la bonhomie de Hanks, le film file dans une forme d’ignorance.

Libre Garance ! de Alice Diaz – 3/5

Il y a la naïveté de l’enfance et les souvenirs d’été, les engueulades des parents, les BN humides de bord de rivière, la radio qui grésille, et les amitiés d’un été. Puis l’insouciance se transforme en révélation, le politique et les idées des parents se transcrivent par la parole puis l’acte de Garance qui comprend imparfaitement où situer la ligne marginale entre le facho et le gaucho, le terroriste et le héros, la révolution et la dévotion. L’air enfumé des années 80, les Cévennes encore dépeuplées, et une formidable Laëtitia Dosch emporte Garance dans une aventure fondatrice, non pas par l’accomplissement mais par une succession d’erreurs et de fausses croyances, de questionnement et d’interrogations, remèdes miracles à l’élévation intellectuelle.

Chronique d’une liaison passagère de Emmanuel Mouret- 4/5

Moins abouti que son précédent (« Les choses qu’ont dit… »)mais toujours aussi irrésistible, principalement grâce à la prestation convaincante de Macaigne face à une Kimberlain monotone et répétitive. Mouret s’intéresse une nouvelle fois à l’infidélité, au désir de l’inaccessible, l’amour et sa juste complexité. La forme est fermée, sans personnage secondaire de poids asséchant le film à sa moitié, quand il bascule dans un faux-rythme ronflant avant de reprendre son envol par une situation burlesque. Fort heureusement car cette chronique prenait une tangente dangereuse vers un entre-soi bourgeois convenu. Ce qu’il est d’ailleurs dans sa majeure partie, mais s’en extirpe de justesse grâce à l’intelligence de mise en scène de Mouret et sa réflexion universelle du couple.

Holy Spider de Ali Abbasi – 2/5

Il y a je crois des manières bien plus cérébrées d’interpeller par le choc, pouvant lui même être multiple : visuel, métaphorique ou verbé. Avec Holy Spider, tout est souligné, appuyé, zoomé. La première partie très conventionnelle (le côté enquête du thriller policier) est convenue mais relativement anodine, la seconde est elle plus trouble, voire nauséabonde à filmer la légitimité du meurtre, jusqu’à son mimétisme par les enfants du tueur. Glauque, et finalement pas porteur, à part un sentiment d’affichage malsain de l’horreur. Trop lourd pour interroger, trop simple pour stimuler un suspens et une tension nerveuse, il ne reste donc plus grand chose de ce tueur à l’araignée.

Moonage Daydream de Brett Morgen – 1.5/5

Interminable et assourdissant clip de plus de 2 heures, qui n’offre ni « expérience cinématographique » comme vantée par son trailer, ni réponse documentée à l’énigme Bowie. Morgen ne choisit donc pas, et nous accable dans un brouhaha illisible d’archives, d’interviews, et de live en offrant une maigre trame chronologique par la géographie de Bowie (De Londres a New-York en passant par Berlin Ouest). Inesthétique et lourdingue, le seul sens digne d’intérêt et trop maigrement développé réside dans sa remise en question perpétuelle tout le long de sa carrière, de sa quête infinie du sens créatif sous toutes ses formes, et ce, jusqu’à la «  réussite », qu’il définit vulgairement comme une osmose avec son public. Mais qui, au lieu de l’accomplir, le vide de sa substance imaginative et l’encadre en vendu. Avant de définitivement rentrer en harmonie en fin de carrière jusqu’à sa disparition à 69 ans. Bref, un documentaire prétentieusement moche et parfaitement dispensable.

Bruno Reidal de Vincent Le Port – 4.5/5

Grand film qu’est Bruno Reidal, et le parcours métaphysique d’un tueur né, tentant l’utilisation de la religion en exorcisme du mal, inacceptation d’un destin tragique, du désir irrépressible de tuer, de soustraire la vie au plus beau et au plus éduqué, souffler l’existence qui lui ai refusé de par le rang de sa naissance, combat de classe inhérente aux frustrations, à la culpabilisation sexuelle et à l’abominable excitation de balafrer l’inaccessible beauté. De la grâce à chaque plan, distance charnelle, lumière de sous-bois glaçant, et cette voix-of sinistre de quiétude. Somptueuse réalisation de Vincent Le Port qui signe avec grandeur sa toute première mise en scène. A suivre de très près donc.

Athena de Romain Gavras – 1/5

Exécrable clip attardé, esthetisation d’une violence outrancière vide de toute nuance, Romain Gavras livre avec Athena une vision déplorable de banlieusard ne savant que vociférer, filmer comme des chiens enragés, incapable de discernement, les yeux hagards de haine. La pauvreté du propos effondre un esthétisme de pubard opportuniste, intensité vaine, caméra jamais à hauteur, indéfiniment trop proche, toujours trop loin, pour finir par un zoom minable su point Godwin du tatouage nazi. À rendre La Haine comme chef d’œuvre, Les Misérables comme référence. Triste époque donc qui considéra bien maladroitement Athena comme un grand film. Alors qu’il n’en est qu’une caricature.