Y’a quoi au ciné ? Début avril 2024

L’article est à retrouver dans Le Bonbon nuit

Au-delà du fait que le prochain film de Roman Polanski (« The Palace ») est une bouse immonde, un inregardable délire condescendant et misogyne d’une médiocrité révoltante, un distributeur français (Swashbuckler Films) a décidé de leur sortir en salle (le 15 mai). Cette grotesque décision me rappelle cette vidéo du serveur demeuré qui criait « Liberté » en ramenant ses assiettes dans son resto en plein Covid. Ce petit distributeur à films de patrimoine s’est empressé de sauter sur celui que personne ne voulait (et à juste titre) pour le nom ronflant de Polanski. Mais ce nom, plus personne ne veut le voir, ce film est un aveu d’échec terrible d’un homme fini, condamné par la justice  américaine qu’il ne cesse de fuir, à l’aube d’un nouveau procès pour viol sur mineure qui aura lieu en Californie en août 2025. Que ce film a pu à la fois être financé, sélectionné à la Mostra de Venise et donc distribué en France prouve encore une fois l’impunité sordide d’un grand nombre d’acteurs du monde souvent purulent du cinéma à qui toujours une main sera tendue. C’est donc au public de s’en détourner, à nous tous, refuser de verser un centime pour un homme qui ne doit publiquement et cinématographiquement plus exister. En revanche, il faut absolument dépenser une trentaine d’euros en ce début avril pour découvrir la dernière merveille du réalisateur japonais Hamaguchi (« Le mal n’existe pas »), un drame social très juste qui nous vient de Belgique (« Il pleut dans la maison ») et un film choc et poisseux qui démantèle les troubles liens familiaux en Inde (« Agra »).

  • Glamping : LE MAL N’EXISTE PAS

La langueur de cette ouverture sur les labyrinthiques branches d’une forêt japonaise, le temps s’arrête chez Hamaguchi, souvent pour le meilleur (« Contes du hasard et autres fantaisies » en 2022), parfois un peu trop poseur (« Drive my car », « Asako 1 et 2 »), mais une identité jaillit systématiquement de la minutie de ses mises en scène baignées de douceur et de ravissement visuel. Avec « Le mal n’existe pas », Hamaguchi nous prend à contre-pied, avec de l’humour tout d’abord, un ton joueur et amuseur totalement absent dans sa filmographie. Une société japonaise souhaite installer un camping pour bobo en pleine forêt sans jamais considérer les demandes légitimes de la population locale qui ne cesse d’appuyer sur l’impossibilité d’un tel projet, en lecture très fine d’une génération de boomers se cherchant une voie de sortie d’urgence de l’hyper-urbanisme vers l’illusion d’un échappatoire rural. Puis de la drôlerie, le film bascule vers l’improbabilité d’un thriller et la disparition de la fille de Takumi, stoïque personnage central du film, Hana. Là encore, Hamaguchi semble s’amuser à la fois du destin pseudo-tragique de Hana, mais aussi du notre, pauvre spectateur perdu dans les méandres d’un jeu de piste policier troublant. Jusqu’à ce que l’horreur jaillisse, qu’une tension hitchcockienne inonde le cadre, et nous saisit de stupeur d’un final qui continue d’interroger. Maitre du volte-face, Hamaguchi réussit l’impensable pari de repenser son cinéma, et lui ouvre les portes d’un futur déjà passionnant.

En résumé : Hamaguchi sait se ré-inventer en allant chercher un improbable mélange de genre dont on ne se serait jamais douté,  de l’humour et de l’horreur, un labyrinthe hitchcockien contemplatif et donc forcément inratable . 4/5

« Le mal n’existe pas » de R. Hamaguchi – sortie le 10 avril

  • Absence : IL PLEUT DANS LA MAISON

Frère et sœur à la vie, Prudey et Makenzie Lombet le sont à l’écran devant la caméra de la réalisatrice belge Paloma Sermon-Daï, ils doivent se dépatouiller d’une situation tendue : la mère est absente, cette vieille maison fuit, le frigo se vide, et ce qui devait s’apparenter à un banal été adolescent à faire surtout tout ce qu’il ne faut pas faire sera finalement une entrée brutale dans les responsabilités d’un monde adulte intransigeant et anti-social.  Tout est jeu de métaphore (« le plafond de verre » qui ancre le pauvre à sa condition de pauvre), de non-dits et de silence pesant, de révolte silencieuse, il n’y a pas de dramaturgie, mais une souffrance ordinaire, quotidienne, une souffrance invisible et pourtant vécue par des millions d’anonymes, cette galère de l’abandon des parents, de l’absence de repère parental qui traduit souvent une misère sociale insoluble. Les scènes se suivent, isolent peu à peu le frère et la sœur, qui semblent dépérir progressivement dans un monde où il est interdit de rêver, et dont la seule valeur argent domine chaque décision de vie. Tout semble si sombre, et pourtant, Sermon-Daï réussit à déclencher un vent d’espoir, celui d’apprendre à éteindre son passé pour construire son futur, seul, et à la force de sa propre conviction de valoir bien plus que ce que l’on aimerait nous mettre en étiquette.

En résumé : Il y a définitivement quelque chose dans ce premier film, forme d’anti-Ken Loach à la belge, un film social sans lacrymale, une justesse des plans et le factuel d’une inégalité révoltante  3/5

«Il pleut dans la maison» de P. Sermon-Daï – sortie le 3 avril

  • Incel : AGRA

Pas de round d’observation avec ce film indien découvert à la Quinzaine de Cannes l’année dernière, la perversité sexuelle d’un frustré de première classe, agrippé à son sexe et à ses chats de cul, incel misogyne et violeur qui navigue dans une famille corrompue par les tromperies, les mensonges et l’appât du gain (la maison comme seule trésor familial). Tout est poisseux et dégouline de vices. Jusqu’à ce qu’un espoir improbable naisse de cet enfer, un amour entre Guru, le pervers et une femme boiteuse, abimée par la vie et surtout un premier mari violent. Voilà alors que cette famille se reconstruit à travers un projet de vivre ensemble, communautaire, autour de cette fameuse maison en reconstruction, théâtre glauque des batailles et insultes passées. Behl nous sort la carte de la fin interrogatrice qui laisse un éternel soupçon autour de la véracité de sa trame, sommes-nous assez fous pour croire en la réhabilitation d’un homme si dévoyé ? Un film malade, profondément malaisant et qui porte les traces d’une société indienne bouffée par les non-dits.

En résumé : De la violence de sa première partie à sa tentative de reconstruction dans la seconde, Agra est une expérience désagréable, maladive, qui purule de frustration et de perversité familiale et sexuelle : il faut donc logiquement courir le voir. 4/5

«Agra» de K. Behl  – sortie le 3 avril