Y’a quoi au ciné ? Début janvier 2023

Cet article est à retrouver sur le site du Bonbon Nuit, lieu premier de sa publication.

Une nouvelle année s’ouvre, et comme principale résolution, faire preuve de continuité en présentant deux fois par mois des films principalement indépendants, engagés, humanistes, qui poussent le cinéma au-delà de l’amusement publique, et interrogent même les lumières rallumées, ce genre de moment hors du temps, où un film continue de vivre en soi, par l’émotion qu’il peut faire naitre, ou le choc réflexif qu’il engendre. Et ce n’est donc pas un hasard que l’on débute 2023 par réalisme et naturalisme, avec 2 documentaires (Rewind and Play, De Humani Corporis Fabrica) et un docu-fiction, le dernier Ours d’or de Berlin (Nos soleils).

  • Si tu veux te prendre un choc visuel : le corps humain comme jamais tu ne l’as vu : DE HUMANI CORPORIS FABRICA

Dans ce documentaire choc, le réalisme franchit toute barrière, des interventions chirurgicales filmés in-vivo s’enchainent au sein d’un système hospitalier à l’agonie. En effet, la violence est plus sociale que visuelle, malgré l’âpreté de la chirurgie, la rugosité des images médicales tranche avec une qui l’est fondamentalement beaucoup plus, la déliquescence des hôpitaux publiques français. Le lien médecine/cinéma se construit avec les arthroscopies (les caméras internes filmant les opérations) rendant le tout très cronenbergien avec cette chaire, ce sang, ces tissus qui s’ouvrent et se décomposent, s’étirent et se referment. Le film attaque frontalement le manque de personnel (et notamment en gériatrie, où des vieilles femmes airent dans les couloirs sans aide ni attention), met en lumière les métiers oubliés, et pourtant indispensables de la médecine, comme les rhabilleurs de morts à la morgue. Il explore un terrain jamais encore exposé au cinéma, son côté voyeuriste médicale ne peut être retenue car il porte un angle d’attaque primordial, celle de la vraie cruauté d’un hôpital abandonné.

Pourquoi il faut y aller : C’est le documentaire choc de l’année, difficile mais indispensable

Mais d’un autre côté… Le cœur doit être bien accroché, les images internes viscérales sont crues

« De Humani Corporis Fabrica » de V. Paravel et L. Castaing-Taylor – sortie le 11 janvier

  • Si tu veux voir la force du silence face à la dégeulasserie médiatique : REWIND AND PLAY

Alain Gomis a déterré des images d’archive de l’enregistrement d’une émission de télévision française de 1969 avec pour ambition la mise en abime du génie du jazz américain Thelonious Monk. Rapidement, l’on se rend bien compte de la supercherie, et de la manipulation systématique des images pour faire taire Monk (et notamment sur l’origine du fiasco de son concert parisien 10 ans plus tôt). Rien n’a changé. Le média télévisuel truque et habille pour détourner le regard, scénarise les questions pour mieux les édulcorer, le présentateur en grand guignol oriente la caméra à son image. Thelonious Monk a choisi la manière la plus élégante de résister : le silence, long et pesant, son piano, comme unique réponse sonore à l’abjecte manipulation d’un petit être pathétique en quête de gloire passagère face à une légende qui lui ne parle qu’à travers son rythme et ses notes. Hors du temps, et du champ, 1h en apesanteur pour contempler le génie face au vide.

Pourquoi il faut y aller : Pour comprendre que la manipulation des médias d’hier n’est tristement rien face à celle d’aujourd’hui (Bolloré & co).

Mais d’un autre côté… Si tu préfères la jungle au jazz, passe ton chemin

« Rewind And Play » de A. Gomis – sortie le 11 janvier

  • Si tu veux un shoot naturaliste espagnole, et t’interroger sur les enjeux terrestres modernes : NOS SOLEILS

Ours d’or à Berlin, Nos Soleils suit les traces paysannes d’une famille intergénérationnelle responsable de la production de pêches. Rapidement, les spéculateurs débarquent et souhaitent racheter le terrain pour installer des panneaux solaires, réveillant une guerre familiale sous fond d’introspection éthique. De ce naturalisme paysan se joue les enjeux modernes, la terre abandonnée à la spéculation, le travail de la terre anéanti par l’économie de marché, et derrière les chiffres, la réalité déchirante d’une famille tiraillée entre la survie financière (la vente de leur terre) et l’éthique paysanne (la culture de la terre coûte que coûte). L’humain est ici au cœur de cette fiction documentaire qui jamais ne cherche à apitoyer, mais dessine avec grandeur les tumultes interrogatrices d’une famille bousculée sur 4 générations (du petit fils au grands-parents) : non, le monde ne sera plus jamais comme avant, et même si des rires continueront de jaillir au milieu de pelleteuses destructrices (et cette superbe scène finale), l’avenir semble plus crépusculaire qu’ensoleillée.

Pourquoi il faut y aller : Pour la beauté foudroyante de cette famille aux interrogations existentielles

Mais d’un autre côté… Si tu n’aimes pas le cinéma du réel, ça risque d’être interminable

« Nos Soleils » de C. Simón – sortie le 18 janvier