Cet article est à retrouver sur le site internet du Bonbon Nuit, lieu premier de sa publication.
Il y a de quoi déprimer dans un début novembre crépusculaire, intermédiaire bien dégueu entre la douceur automnale de septembre et la dinde fourrée de tata en décembre. Alors voilà de quoi jouer les réflexifs avec 3 idées cinés pour sortir (un peu) moins con qu’en entrant dans une Tunisie sans espoir, une Polynésie vaporeuse et un New-York mélancolique.
- Si tu veux être secoué par la violence de l’inégalitarisme : HARKA
L’équilibre entre poésie et horreur est casse-gueule, Lars von Trier en est l’incontesté maître, capable de filmer le meurtre et la fin du monde avec lyrisme et grâce. Lofty Nathan n’y ait pas encore, mais arrive déjà par le texte, l’utilisation de voix-off et d’une superbe bande-son à dégager une mélancolie aride dans une situation dramatique, celle d’une Tunisie précaire et aux aboies. Harka nous parle d’injuste, celle ancrée dans un Maghreb pour qui le Printemps arabe semble tristement anecdotique, entrainant ici Ali dans ses bas-fonds. C’est une question de vie ou de mort qui se joue (une dette à rembourser), il tente d’y répondre au départ dans une pseudo-légalité (la vente d’essence), puis dans l’illégalité (son trafic à la frontière), jusqu’à sa révolte face à l’impossibilité de gagner sa vie décemment : face à lui, un Etat corrompu, absent et sans réponse. Une poésie violente et réaliste, saisissante, car sans espoir. Le dé est pipé, inéluctabilité de classe révoltante et sans réponse étatique, le tout dans une immonde indifférence (avec sa scène finale en apogée).
Pourquoi il faut y aller : Pour le regard noir et sans espoir du magnifique Adam Bessa
Mais d’un autre côté… L’émotion est forte, mais questionne peu, relativement factuel et sans piste d’ouverture, l’effet d’un coup de vent plus que d’un poing au ventre.
« Harka » de L. Nathan – sortie le 2 novembre
- Si tu veux voir le plus personnel des James Gray, et sans contestation son meilleur : ARMAGGEDON TIME
Gray répond à P.T. Anderson et son Licorice Pizza en livrant ses mémoires d’enfance, le Queens de New-York remplace les buttes de Los Angeles. De souvenirs, il en tire une profonde et interrogatrice trajectoire intérieure d’un gamin opprimé par son devoir de succès, violenté par une société Reaganienne qui ne laisse aucune autre voie du possible que celle du capital et de la finance trumpiste (le bougre est imagé littéralement dans le film). Il y a aussi cette capacité si intelligente à filmer sans gros sabot le racisme nauséabond d’une époque où l’antisémitisme s’apparente à une révolte de façade pendant que la ségrégation des noirs se voyait légitimée par la bourgeoisie blanche. Et de ces accumulations d’injustices nait chez Paul le devoir d’opposition : ne jamais se taire face à l’autoritarisme idiot, suivre le chemin du juste en sachant renier la bêtise adulte, savoir dire non, et toujours relevé la tête face à toute forme d’inégalité. Sublime.
Pourquoi il faut y aller : Mémoires et souvenirs d’une amitié qui fit naitre chez Gray le désir de montrer (par la caméra), et de s’opposer (par l’image).
Mais d’un autre côté… Sérieux, je sèche, pour l’un des plus beaux films de l’année
« Armaggedon Time » de J. Gray – sortie le 9 novembre
- Si tu veux te perdre dans une beauté infinie et poisseuse : PACIFICTION
La gueule cassée de Magimel dessine les traits du haut-commissaire De Roller, briscard touche-à-tout traficotant à Tahiti dans un décor d’allure paradisiaque, mais aux bas-fonds crasseux. Et en toute honnêteté, j’ai fini à mon tour la tronche par terre face à la beauté sidérante et vaporeuse d’une Polynésie française filmée comme un rêve nauséabond, la photographie magistrale envenime son colonialisme, les visages cachés derrière l’obscurité d’une piste de danse où marins de l’apocalypse (nucléaire), commissaire véreux et population autochtone naïve s’entremêlent, unifiés par la même folie destructrice, dans une ronde psalmodique, mono-accordé dans le silence de l’inéducable. Magimel au sommet du charisme, fou parmi les fous qui parvint à une lueur de singularité consciente (par ce sublime monologue en voiture), Serra en dictateur de l’image parfaite, beauté plastique irréelle et mise en scène perméable aux interprétations les plus ouvertes, paumé entre Lynch et Antonioni. Dans son dernier tiers, le film semble même échapper à Serra, comme un objet dysmorphique à la trajectoire imprévisible.
Pourquoi il faut y aller : Car rare sont les films provocants autant d’ambiguïté entre longueurs propices à l’interrogation et beauté photographique immense. Sans oublier l’incroyable Magimel.
Mais d’un autre côté…Long (2h45), et si l’on passe à côté, ça peut être un calvaire.
« Pacification » de A. Serra – sortie le 9 novembre