L’article est à retrouver dans Le Bonbon Nuit
Dans ce terrifiant début d’été où la haine et le fascisme sont au porte du pouvoir, parler de cinéma peut sembler dérisoire, nos yeux inquiets bien plus rivées sur la Netflixation de la politique française plutôt que dans nos bien aimées salles de cinéma. Et pourtant, il n’a jamais été aussi nécessaire d’en parler, porter très haut un message d’union face à l’arrivée de l’extrême-droite au pouvoir qui ferait tomber le pays dans le chaos culturel, ne serait-ce que par la remise en question à la fois des aides publiques et du statut d’intermittent du spectacle, pour ne citer que ces deux « promesses » désastreuses du camp de l’inhumain et de la détestation de l’autre. Alors tâchons tous de mettre la bonne enveloppe le 30 juin, et éteindre ce feu de Bengale qui menace, et soulager notre pays d’un cataclysme historique. Aller voter, voilà bien là seule véritable raison valable pour ne pas aller au cinéma. Mais avant cette date fatidique, immergeons nous avec bonheur dans la mer de Hong Sang-soo (« In Water »), perdons nous dans la mythologie bretonne (« Camping du lac »), et prenons la route du mal avec Yorgos Lanthimos (« Kinds of Kindness »).
- Flou artistique : IN WATER
Là où il utilisait l’architecture inversée pour nous parler de sa dépression dans Walk Up en début d’année, Hong Sang-soo revient à la poésie, et avec elle, les souvenirs de ses débuts. Il utilise une image floutée en vapeur d’une mémoire défaillante, filme le beau invisible (une fleur emprisonnée dans un muret, la couleur turquoise de la mer, une femme qui ramasse des déchets), et nous rappelle avec candeur que son cinéma n’est le fruit que du hasard et de l’instinct. Le jeune cinéaste n’a pas de scénario pour son court-métrage, mais se laisse aller au gré d’une rencontre fortuite pour le bâtir. Il y a aussi la solitude du metteur en scène (très belle scène où il fixe l’horizon pendant que le caméra-man et l’actrice s’amuse en premier plan), la recherche égoïste de reconnaissance et « d’honneur » à devenir cinéaste, le défi de l’argent et une forme de mendicité artistique pour s’en sortir. C’est aussi une histoire de fantôme, son propre fantôme qui surgit à la face de l’actrice pour lui souffler un sublime « Reprends tes esprits », comme un appel d’outre-tombe de HSS à lui-même. Puis ces quelques notes de piano qui concluent 1h06 hors du temps et de l’espace, 1h06 vertigineuse et sublime.
En résumé : Jeu de mise au point et de distance, Hong Sang-soo brille encore et toujours avec cette fois-ci, ces mémoires de jeune cinéaste dans un flou qui illumine le monde de ses détails. 4,5/5
« In Water » de H. Sang-soo – sortie le 26 juin
- Mysticisme : CAMPING DU LAC
Il y a d’abord la voix fataliste de Eleonore (Saintagnan), réalisatrice-actrice dans son propre rôle qui tombe en panne en pleine terre bretonne avec sa Peugeot enfumée. Puis de rencontres fortuites son installation dans le camping du coin, le camping du lac. Jusqu’à ce que le conte religieux s’empare du récit, et évoque d’un air amateuriste très Bruno Dumont la légende de Saint Corentin, ami d’un poisson lui qui multiplia sa chaire avant de le lâcher dans une rivière, ce poisson prenant aujourd’hui la forme d’un mythe, celui du « monstre du lac ». Saintagnan s’attèle alors à filmer l’extraordinaire dans l’ordinaire, la simplicité et à travers elle, sa complexité, la beauté d’un portrait d’un vieil homme blessé (un red-neck américain qui parle seul), d’une femme trans qui élève seul son gamin, d’une dame faussement paumée qui enlace les arbres. Et de cette galerie nait l’unité, l’union de ses inconnus en un amas familial. Jusqu’à ce que l’équilibre naturaliste se rompt par l’appât du gain. Le lac et sa légende se propage, le tourisme de masse l’inonde, et son eau commence à s’évaporer, cette masse aquatique devenant peu à peu une terre boueuse hostile. Le capitalisme tueur, assécheur, pervertissant l’équilibre homme-nature jusqu’au crime ultime, et la mort de la bête, la disparition de la légende d’une conclusion apocalyptique nihiliste. Formidable premier film, petite pépite pleine de vitalité et d’acidité, à vite, très vite découvrir en salle.
En résumé : Improbable croisement entre Letourneur et Dumont, merveilleux premier film qui au-delà de sa qualité indéniable de portraitiste rurale alerte avec ferveur le drame écologique précoce qui se joue devant nous. 4/5
« Camping du lac » de E. Saintagnan – sortie le 26 juin
- Sadisme: KINDS OF KINDNESS
Il y a chez Lanthimos une insupportable quête sensationnaliste de l’image choc, une violence pseudo-artistique qui, à l’inverse de Lars Von Trier, se fracasse lamentablement face à la vacuité d’un propos absent (« Canine », « Mise à mort du cerf sacré »), d’une idéologie enfantine et bas du front (« The Lobster »). Avec « Pauvres Créatures », Lanthimos avait pris (un peu) de hauteur en instiguant même de façon sacrément maladroite, une idéologie féministe porteuse et justificatrice de toutes ces expérimentations visuelles plutôt jouissives. Avec « Kinds of Kindness » il rechute violemment dans une sur-esthétisation profondément vaine et ennuyeuse. Le film se compose en 3 parties, les mêmes acteurs jouant des rôles différents (certes on adore Jesse Plemons, mais son prix d’interprétation à Cannes est illisible) avec en traceur commun l’emprise amoureuse toxique et destructrice (un homme et son patron, un homme et sa femme, et une histoire de secte). Métaphore balourde de tout instant, Lanthimos s’amuse avec sadisme à torturer ces personnages dans l’unique but nauséeux de déclencher le haut le cœur comme un gamin s’amuserait à observer avec délectation les ailes d’une mouche arrachées sous son microscope. Le versant fantastique qui accompagne les 3 scènes est certainement la seule incandescence de ces interminables 3 heures qui finissent franchement à épuiser.
En résumé : Lanthimos rechute après une première heure de « Pauvres créatures » enlevée, back to le sadisme, la vanité et la vacuité d’un film sans propos, provoc’ et idiot. 1,5/5
« Kinds of Kindness » de Y. Lanthimos – sortie le 26 juin