Y’a quoi au ciné ? Fin mars 2023


Cet article est à retrouver sur le site du Bonbon Nuit, lieu premier de sa publication.

Pour définir (ou non) la réussite d’un film, il y a le scénario, les acteurs, la bande-son ou encore le montage. Mais notre film de l’année 2022 l’a surtout été pour son atmosphère paranoïde unique, et la beauté de son environnement (« Pacifiction » d’Albert Serra). L’atmosphère d’un film est souvent source de sidération et d’emballement, se sentir hypnotisé par son image, abasourdi par la beauté de son grain, conquis par la pesanteur de son univers. En cette fin mars, 3 salles, 3 ambiances : du fantôme (Eternal Daughter), de la suspicion policière (Chili 1976) et de la jungle crasseuse (Los reyes del mundo).

  • Le fantôme du deuil, l’amour du disparu : THE ETERNAL DAUGHTER

C’est l’histoire d’un film tourné en catimini au temps du Covid, une idée de Tilda Swinton glissée à l’oreille de Joanna Hogg, elle pourrait jouer les deux rôles, la mère face à sa fille, dans cette courte nouvelle de fantôme au fin fond brumeux de l’Angleterre. Au-delà de la beauté de son esthétisme comme figé dans le temps, et la grâce théâtrale de Swinton, Hogg image métaphoriquement le processus du deuil à travers ses souvenirs, le rattachement au détails d’une vie résolue, le regret des mots jamais prononcés, l’agacement de traits de caractères, le bonheur des mémoires naïves, la détresse des souffrances. En somme, une forme d’acceptation d’une vie résolue. Rare sont les metteurs en scène capable de tant d’épure, de minimalisme scénique foudroyant (un bruit de fenêtre, une ombre derrière une vitre, un chien qui s’évade) pour dire tant : l’amour univoque d’une fille pour sa mère, et son chemin pour s’en affranchir. Une forme d’élégance (cette apposition de la main de la fille sur celle de la mère qui s’éteint) dans une composition au twist évident, mais magistralement amené.

Pourquoi il faut y aller : Pour comprendre que la beauté d’un film se résume souvent à des détails

Mais d’un autre côté… Trop d’épure tue l’épure ?

« The Eternal Daughter » de J. Hogg – sortie le 22 mars

  • La paranoïa de la dictature, la résistance silencieuse : CHILI 1976

Une autre histoire de mère, celle d’une bourgeoise chilienne bien heureuse d’être du côté des riches du temps de la dictature de Pinochet fin des années 80. Sa vie bascule presque forcée lorsqu’un prêtre lui demande par charité chrétienne d’aider un réfugié politique communiste, en proie à d’ardentes recherches par la gestapo locale. Par l’agressivité de sa bande-son, son atmosphère paranoïaque pesante et hitchcokienne, Martelli dessine la férocité de la dictature pinnochetiste par une juxtaposition suggestive d’images (la peinture rouge communiste mêlée au bleu du régime, le rouge apposée en signe de résistance sur la façade d’un mur puis dans le gâteau d’anniversaire de son fils), une tension au liserée de l’horreur, une sensation de cauchemar au ralenti et cette fameuse incapacité de s’enfuir empêtrée dans des jambes cotonneuses, tout comme cette Carmen, qui semble scellée à son sort. Toute la réussite du film est bien là, dans la pesanteur de sa mise en scène, sensitive, et asphyxiante à l’instar d’une dictature chilienne qui le fut pour un peuple agonisant sous la terreur. 

Pourquoi il faut y aller : Pour cette tension quasi horrifique qui nous plonge dans la terreur de la dictature

Mais d’un autre côté…Là encore un certain sens du minimalisme qui peut être déceptif

« Chili 1976 » de M. Martelli – sortie le 22 mars

  • L’expropriation de la terre, la quête du sauvage : LOS REYES DEL MUNDO

C’est une bande de gamins, délaissés dans les rues dépravés de Medellin, la « calle » en seule repère d’une trajectoire qui les destine à ne jamais la quitter. Puis un espoir, celui d’une terre en héritage à l’un deux, une parcelle abandonnée qui enclenche une croisade vers le terre promise dans une campagne colombienne impitoyable. La violence citadine qu’ils imaginaient quitter va très vite les rattraper par la jungle et sa nature, le déchainement des hommes, l’inégalitarisme inhérent à leur condition de pauvre. Ce lopin de terre qu’ils fantasmaient en une terre égalitaire où les hommes seraient libres et sauvages va rapidement leur échapper. Rien n’est dû, tout est acheté, la propriété ne sera jamais la raison du pauvre mais toujours la valeur du riche. Beauté plastique et esthétique, fond implacable et sans espoir, Los Reyes del Mundo est un grand film qui marque par son antinomie image/message, magnificence photographique en opposition à la dégeulasserie inhumaine de sa lecture.

Pourquoi il faut y aller : Pour ce vent libertaire dégagé par ce groupe de survivants, et la violence et l’horreur de la réalité, elle, liberticide

Mais d’un autre côté…Certains crieront au clichés, et à la facilité de son propos. Ca peut s’écouter.

« Los reyes del mundo » de L. M. Ortega – sortie le 29 mars