Cet article est à retrouver sur le site internet du Bonbon Nuit, lieu premier de sa publication.
- Si tu veux refuses de détourner le regard face au féminicide : BOWLING SATURNE
C’est l’histoire de deux frères, Armand, rejeton de la société, abandonné par sa mère, à trainasser la nuit sur les parkings vides, Guillaume, le flic aux chaussures bien cirées. Leur père est mort, et Armand hérite du bowling du coin, terreau futur de son terrain de chasse. Car lorsqu’une femme accepte de monter dans l’appartement de son défunt père orné de tableaux de chasses, le sexe se transforme en violence, la violence en meurtre. Patricia Mazuy renvoie Dominik Moll et sa mièvre « Nuit du 12 », ou Alex Garland et son balbutiant « Men » au bac à sable, elle qui attaque frontalement le féminicide, sans cligner d’un œil face à l’animalité de l’homme. Il est ici filmé littéralement en chasseur en quête de domination (sans métaphore convenue), pervers sexuel en poursuite bestiale du plaisir par la soumission, de la jouissance par le meurtre, prédateur violent et lâche, qui n’ose jamais affronter le regard de sa proie, incapable, jusqu’au dernier plan, et ce terrible regard de mépris, de considérer la femme comme son égal. Le jeu de lumière est somptueux, les plans serrés, le montage haletant, ne laissant aucune place à la mesure, le regard ne peut plus se détourner. D’une puissance folle, Mazuy frappe fort.
Pourquoi il faut y aller : Pour l’angle frontal et sans détour face à l’ignominie du féminicide et son origine patriarcal et animal
Mais d’un autre côté… Le silence prédomine face au jeu des acteurs, qui peut sembler trop minimaliste
« Bowling Saturne » de P. Mazuy – sortie le 26 octobre
- Si tu veux contempler la violence xénophobe par l’œil tripé d’un âne : EO
En hommage appuyé au « Balthazar » de Robert Bresson, Skolimowski du haut de ces 84 ans se livre semble-t-il au départ à un délire d’un réalisateur en roue libre, mais qui finalement filme l’un des plus ambitieux projets de l’année, et pas loin d’en être le plus beau. Il conte plus qu’il ne raconte le parcours initiatique d’un jeune âne libéré d’un cirque, pérégrinant au fil des rencontres dans une Pologne brutale, morcelée par la violence et la haine, la déliquescence immorale d’une société absconse, illisible. Et notamment du bouleversant œil lubrifié d’un âne, candide ingénu, immuable face à la destruction, et qui observe avec une pitié anthropomorphique la déchéance d’une race humaine contemplant idiot son auto-destruction. Blindé d’expérimentations visuelles démentes, sorte de gros trip hallucinogène à buvard, et d’une certaine sur-esthétisation emphatique, EO n’en reste pas moins une œuvre lourde de sens, et qui saisit parfaitement les enjeux écologiques et animales de notre monde.
Pourquoi il faut y aller : Unique, expérimental, moderne.
Mais d’un autre côté… Si tu es un viandard pro élevage intensif, ça risque de ne pas passer
« EO » de J. Skolimowski – sortie le 19 octobre
- Si tu veux scanner toutes les horreurs sociétales et : RMN
Deux évènements viennent interrompre l’apparente quiétude d’un petit village roumain : un enfant tombe sur un cadavre pendu pendant que des travailleurs immigrés sri-lankais débarquent dans une entreprise en manque de main d’œuvre, la xénophobie dégoulinante ne se cache même plus, et une pétition se signe pour leur expulsion. De ce postulat, Mungiu en tire une lecture (RMN veut dire IRM en roumain) dingue de précision et d’intelligence. Il arrive en à peine 2 heures à soulever les traumatismes de notre société moderne, ce village en reflet d’un monde à la dérive : le rejet de l’autre, la peur xénophobe, la vision moralisatrice de l’Occident, les guerres ethniques d’apparence apaisées mais vivaces, la pauvreté et le déclassement des zones ouvrières. Deux scènes restent férocement gravées, celle d’un débat municipal entre villageois d’une puissance inouïe en un plan séquence de plus de 30 minutes, et cette fin qui vrille dans la folie, celle du chasseur qui se meut en proie. RMN est multiple et puissant, pamphlet terrible d’une humanité inhumaine.
Pourquoi il faut y aller : Pour sa mise en scène limpide, brillante en résumé sordide des déboires sociétaux
Mais d’un autre côté…A éviter en cas de dépression profonde xanaxée, ça peut terminer le travail
«RMN» de C. Mungiu – sortie le 19 octobre