Il ne faut pas galvauder son plaisir toujours intact à voir naitre un cinéaste devant soi (Panah Panahi, fils de l’immense Jafar Panahi) car rarement un premier film ne fut aussi juste dans son cadrage, sa mise en scène désarmante de maitrise à ne cesser de jouer sur un fil la détresse et la joie communicative, le déchirement et l’amour inconditionnel, il n’y a dans Hit the Road pas un plan de trop, ni un rire maladroit. Même si les projections peuvent s’enchainer et imiter parfois un marathon visuel qui peut user, Hit the road nous rappelle avec allégresse que le cinéma peut traverser le corps par une poésie immaculée de toute considération budgétaire, et qu’un rien (ici une voiture en Iran habitée par un chien mourant, un vieil homme plâtré, des larmes d’une mère, des cris d’un enfant cabotinant, d’un destin, celui du fils, qui s’écrira par son absence) peut donner tant. Panahi aborde la répression, la migration forcée et l’éclatement d’une famille par la suggestion, les non-dits qu’ils filment littéralement par cette interdiction de parler face à la furie naïve et resplendissante de leur jeune fils, le mutisme déchirant du grand frère qui, à l’image d’un Hamaguchi dans Drive My Car conduit sans broncher jusqu’à la fatalité d’un destin qui s’écrira seul. On pense aussi à du Jarmush, notamment avec Paterson, et cette poésie par le jeu des mots, jusqu’à, de manière très premier degré filmer le voyage cosmique de l’enfant et son père grisé en cosmonaute dans les étoiles, somptueuse parenthèse avant le réveil des réalités, et le cri d’une mère qui comprend enfin, qu’elle ne reverra plus jamais son fils.
Justement, Hamaguchi, lui qui révoque toute poésie visuelle, ne sachant que trop bien la filmer par le dialogue, sait parfaitement extirper l’âme humaine et sa complexité, bien souvent son absurdité et ses contradictions dans la banalité du quotidien. L’ordinaire devient superbe, et on retrouve dans Contes du hasard et autres fantaisies cette vertigineuse capacité à traduire l’essence des liens qui nous unissent (l’amour, le désir, l’amitié signant 3 contes séparés) par le hasard des rencontres, les hors-champs et là aussi, les non-dits comme chez Panahi. Rohmer est partout, l’on pense bien sûr à « Ma nuit chez Maud » et ses longues tirades nocturnes, Hong Sang-Soo aussi par le minimalisme de sa mise en scène, mais là où Hamaguchi trouve son identité propre, c’est cette capacité folle à éveiller la fureur par l’aléatoire (une faute de frappe, l’erreur d’une rencontre, un rêve éveillé). Brillant.
Avant l’orgie cannois du mois prochain, ce mois d’avril fut riche et l’on n’oublie pas la vision mortuaire intimiste de Gaspard Noé dans le formidable Vortex, dont une critique est dédiée et à retrouver dans le courrier des lecteurs des Cahiers du cinéma de mai.
Les autres films du mois :
Le genou d’Ahed 4.5/5
Moonfall 1/5
Un monde 3/5
Vous ne désirez que moi 3,5/5
Apollo 10/5 2/5
Bulle 1/5
En Corps 2,5/5
107 Mothers 3/5
X 3,5/5