Inconsolable amour dans ville morte
L’amour par Céline Devaux, c’est le froid d’un lendemain de cuite, la solitude honteuse dans des draps sales, la tête qui frappe, les souvenirs vaporeux, et le vide sidéral dans un ventre qui pleure. Car elle n’est plus là. Car le silence est étouffant, la lumière du jour immonde, la nuit trop courte. L’amour d’un couple s’éteint dans une maison en Bretagne, et résonne alors dans les pas sonores de Flavien Berger le début d’un deuil noir et cruel d’une rupture froide. Tant de vérité en un instant si court, une douleur éteinte, un moment de grâce.
Primée par le César du meilleur court-métrage d’animation en 2016 avec « Le repas dominical », histoire d’une réunion de famille tournant autour de l’homosexualité de Jean le narrateur principal, Céline Devaux revient cette fois-ci avec un court de 15 minutes mêlant là aussi images d’animations et de brefs échanges entre Swann Arlaud et Victoire du Bois, isolés et seuls face à l’inéluctable destin d’une rupture actée. « Gros chagrin », c’est l’acte final, le désœuvrement de l’un face à un amour facétieux baigné de redondance, la détresse de l’autre et son incapacité totale à se faire entendre. La conclusion est tranchante, presque anodine, le rire est désormais oublié, pire, jalousé, et comme toujours, l’espoir se meurt dans une inconscience enfantine (« Et quand je sais que je vais passer dans ton quartier, je m’habille toujours un peu mieux »). L’on devine un amour passionnel devenu fardeau et détestation, l’amour divague et rien ne semble pouvoir le sauver. Il est déjà trop tard. Les odeurs ne sentent plus, les couleurs ne dansent plus, les histoires ne se racontent plus. La vie est devenue invivable. « Maintenant la ville est grise, la ville est morte ». Et ce n’est pas l’accès alcoolique d’un anniversaire, le sexe maladroit qui en découle ou les conseils moralisateurs de la bien-pensance amicale qui pourront offrir une quelconque rédemption à cette petite mort qui balafre à jamais.
« Gros chagrin » a récemment reçu le prix du meilleur court métrage à la Mostra de Venise, et ce n’est pas un hasard. Il marque la décomposition générationnelle du couple amoureux, celui qui tente tant bien que mal de survivre dans un monde qui fait tout pour le séparer, mais inexorablement finir par pleurer la nostalgie d’un amour fugace qui n’a finalement jamais vraiment existé. Brutal, mais tellement vrai. En à peine un quart d’heure, Céline Devaux en dit bien plus que la plupart des prétentieux lecteurs contemporains de notre Monde (Dolan?). « Gros Chagrin » est à découvrir gratuitement sur Arte. Indispensable.