Festival de Cannes 2014

Deux jours, une nuit – Dardenne’s Brother

Si l’on m’avait prédit qu’un jour, ma mine serait éclairée par le travail réaliste des frères Dardennes, je n’aurai pu le croire, moi qui m’a révolté pour l’attribution de la palme d’or à L’enfant pour une histoire de discorde dans le jury en 2004. Que l’on parle aujourd’hui d’une troisième palme est absurde et serait totalement exagérée au vu de la qualité de la compétition. Mais saluer le travail cet fois-ci remarquable de cinéaste, je le fais volontiers. Carole, joué par Marion Cotillard, est en instance de licenciement et c’est une question terriblement violente que le patron d’une petite PME de panneau solaire propose à l’ensemble de ces salariés : virer la pauvre Carole et son débardeur rose déjà culte, ou la conserver en faisant une croix sur la prime de fin d’année de 1000 euros ? 

Comme un jeu-vidéo à niveau, Carole attaque en frontale salarié par salarié pour les convaincre de voter pour elle. Ce qui permet aux Dardennes d’identifier une dizaine de situation sociale, réaction humaine face à la violence d’un prolétariat décimé par la crise en banlieue belge. On ressent presque de l’amusement derrière cette succession de mini-scènes et surtout une envie instinctive et jouissive à découvrir la prochaine situation dans laquelle Carole va embarquer son collègue. Plutôt ludique, à peine rébarbatif, tout s’enchaîne dans un rythme éclair. Des pleurs remplis de remords, des conscience insomniantes, parfois de la violence absurde ou encore l’ignorance et le silence gênant, toutes les situations – et plus encore – y sont engagés sans jugement, sans manichéisme malveillant dans une sobriété toute trouvée pour la cause. L’humour n’est pas étrangère et amène un peu de douceur dans ce choix finalement vital pour réussir à faire passer la tentative de suicide de Cotillard en rire nerveux.

Mais ce qui rend Deux jours, une nuit passionnant, c’est bien évidemment l’introspection qui découle de la projection. Et moi ? Aurai-je été le salop qui lui tourne le dos ou le bon gars qui décide d’abandonne son projet de terrasse ?  La mise en scène sobre, parfois trop caricaturale pose également des questions contemporaines décisives pour l’avenir et ose mettre le nez, humblement et sans jamais donner de leçon moraliste pesante, là où le futur d’un pays se joue, l’entreprenariat et la crise financière. 

Maps to the star de D. Cronenberg

Après 2 heures d’attente sous un ciel menaçant mais encore clément, je vois enfin la porte charnelle du théâtre des lumières s’ouvrir sur ma frêle carcasse. Et c’est bien le dernier Cronenberg qui se dessine sur la toile blanche.  J’y suis enfin. Ma première projection cannoise.  La nervosité est a son paroxysme mon pouls pulse la tachycardie et je suis désormais prêt a en découdre avec la sélection officielle.  Cronenberg est une référence intellectuelle, un psychopathe tenancier d’une chaire vivante, une absurdité du cinéma Z, une décharge d’adrénaline pure et non calculée. Ah David aime trafiquer, fricoter, détourner et transformer la rareté en beauté. Mais qu’en est il de Maps to the star ? On s’élance, voici la première critique littéralement fondée du Bonbon sur un film définitivement vu.

Nous voilà embarqué  dans une intrusion perverse d’un Hollywood  tristement contemporain au sein d’une famille dégénérée composée d’une MILF psychotique, d’ un enfant star cocainomane et d’un has been tristement pathétique. Le tout conduit dans un milieu du show business absurde et totalement à l’envers. 

Ne soyons pas timide, un peu de franchise, Maps to the star est une énorme déception. Non pas par son esthétisme minimaliste, épuré jusqu’au dernier palmier, nouveau credo d’un Cronenberg usé de jouer avec de la confiture de fraise et des pattes de mouche en carton, car, qui peut dire que l’on ait perdu au change ? Non pas par ses acteurs, Pattinson est glaçant dans un second rôle discret et d’une justesse rare. Mia Wasichowska nous rappelle Kirsten Dunst en début de carrière, vierge fatale dans Virgin Suicides et Evan Bird est l’enfant star, puceau voir supo’ de Satan génial tant son physique Tête à claque du XXIeme siècle l’élève au dessus du lot.

Pourquoi Maps to the star est il donc foiré ? La seule vraie raison, contrairement à un Cosmopolis brillant à la fois par sa justesse intellectuelle et son imagerie psychotique c’est que Cronenberg a vraisemblablement oublié de passer derrière cette putain de caméra pour nous mettre du rythme, de l’âme, du corps ! Partant d’une thématique usée, il ne nous surprend pas, la caméra est fixe, fade et il n’y a plus qu’à contempler ce triste spectacle, à l’image de sa génération perdue, mort-née.

Soirées cannoises

Après avoir longuement déambulé dans cette grande débauche de bof-badot dans une longue marche  le long d’une croisette sur fréquentée, nous voilà sésame en main près à atterrir dans la soirée majeure de cette quinzaine. La soirée du film Yves saint Laurent se tient dans une villa éloignée, noyée en plein secret. C’est par un taxi privé que l’on grimpe le long de la colline nommée La Californie. Soyons fou, même si la soirée ne l’était pas du tout, soyons fou et apprécions le cadre idyllique, la piscine décorée, la lumière tamisée et l’ambiance année folle dûment voulue. Oui, Gaspard ulliel est élégant avec ces lunettes rondes Professeur tournesol, Luc Besson a maigri et Léa Saydoux glace le sang quand elle vous regarde dans les yeux. L’ambiance est convenue, Cut killer mixe comme un adolescent voulant faire plaisir à ses potes et finalement on ne retiendra pas grand chose de cette première immersion cannoise. Hormis un cadre sublime, et un étalage de réseau au concours du premier qui tape le plus de bises. Pour tout vous avouer, je suis arrivé bien dernier, un brin esseulé dans ce milieu que je ne maitrise pas.

La premier réveil fut des plus violents, mais c’était sans compter sur San Pellegrino qui m’a offert un déjeuner unique à midi, sur bateau à moteur privé. Le champagne délicieux avait parfois quelques problèmes à s’associer à des mets confectionnés par 2 chefs étoilés. Le thon et le veau, pas une bonne idée, une sorte de smecta tapisseur de ventre bien compacte. Pour le reste, pas (si) mal, la sortie en bateau a néanmoins largement sur-passée l’assiette. 

Un mot sur la chambre noire, lieu éphémère au 1er étage de l’hôtel Mariott crée par Theophilus London. L’ambiance un peu guindée s’effrite vite autour d’un cocktail vodka pendant que l’ami Theopilus harangue les privilégiés over sappés. Sublime conception, minimaliste dans l’élégance, un lieu incontournable des premiers verres, ceux qui t’achèvent ou te rende invincibles. Très honnêtement pour moi hier c’était le signal rouge d’une soirée qui ne pouvait en aucun cas s’éterniser. Ma jauge fatigue explosait.

Parlons maintenant du Silencio Cannes. Malgré mon style implacable et une assurance tout aussi remarquable, le Silencio m’a refusé l’entrée. Mais c’était sans compter sur l’intervention du Big Boss du Bonbon pour sauver la situation. Et ce pour un plaisir fugace et si superficiel de passer devant le physionomiste qui m’avait mis a l’écart. La salle principale intimiste est déjà électrique, le plafond bas, la lumiere tamisée aident a rendre l’endroit unique, pour avoir cette sensation terriblement égoïste et idiote  »d en faire partie ». Ça roule des mécaniques (on oubli trop souvent cette expression), on se la pète avec notre gin tonic à 20 euros, le bling bling télé est dans le coin, on annonce l’irréductible fêtard Gilles Lelouche, les gens sont beaux, je me sens un peu a la traîne, La terrasse qui surplombe la salle principale est bardée de costards pour s’associer élégamment à ce Silencio plus fun et moins protocolaire que le parisien. 

La campagne, ça vous gagne : Retour sur The Wonders et A girl at my door

La dénomination  « Un certain regard » de cette compétition parallèle colle parfaitement à ce tout premier film de la réalisatrice coréenne July Jung,  Un œil détourné de la géante compétition officielle pour mieux apprécier la qualité de cette  ambitieuse entreprise. Dohee-Ya, comprendre « une fille à ma porte » a tous les défauts d’un premier film, ce qui en fait d’ailleurs sa force. La réalisatrice qui annonce en ouverture « un rêve d’étudiant qui se réalise » en parlant de sa sélection cannoise a voulu tout [trop] donner. Et même si l’accumulation des thèmes (homosexualité, pédophilie, racisme social,alcoolisme,…) noie la force primitive  du film (sa brutalité froide) comme un mille feuille un peu trop pâteux qui colle au dent, il n’en reste pas moins pertinent.

Pertinent dans son analyse sociétale d’une campagne coréenne à l’abandon, une désindustrialisation drastique qui plonge les villages de bord mer à la bankrout et la fuite d’une jeunesse centralisée à Séoul. Et l’errance, le drame, la solitude poussent à toutes les déviances, la première étant l’alcool et la violence quelle engendre.  Certes loin d’être révolutionnaire mais la sincérité d’une réalisatrice forcément cinéphile au vu de l’humilité de l’image, suffit à toucher et à emporter mon adhésion mesurée. La photographie éleve le propos mais la maîtrise est telle qu »elle en devient presque embarrassante, ralentissant un rythme déjà mollasson. Cela etant dit, c est une bonne surprise matinale qui lance une journee plus que glaciale..

Pour The Wonders (Le Meraviglia), nous voilà à nouveau en campagne profonde, la vie simple et rudimentaire d’une famille italienne, esseulée dans une Toscane sublime, qui tente désespérément de survivre grâce a l’apiculture. Bon, il est vrai, le pitch fout les boules. Ça sent l’ennui mortel, la somnolence gênante, la tête qui tombe et le réveil brutal à la première « clack! » du film.

Et bien, non. D’une générosité telle, d’une force quasi documentaire, je me vois étourdi par cette caméra qui navigue à l’aveugle entre un père colérique totalement dépassé (Sam Louwyck, palme de l’interprétation ?), le mutisme bouleversant d’un adolescent repris de justice qui fuit le moindre contact physique comme un pêché de sang religieux, une Monicca Bellucci en déesse romaine qui, une fois la perruque tombée en fin de film redevient cette femme touchante derrière l’égérie de beauté. La encore, rien de nouveau, pas d’effet ou de faux-semblant. Et que c’est agréable de retrouver un sens humain et crédible d’un cinéma de plus en plus aérien. La poésie n’est pas dans le dialogue, elle émane de cette terre italienne meurtrie, isolée, filmée avec une générosité désabusée car malgré l’amour de cette famille, c’est bien une maison vide et abandonnée qui conclue le film. Un naturel d’une classe folle. Tout l’inverse des marches cannoises. L’écart fascine. Vrai premier coup de cœur, il ne m’a pas fallu attendre longtemps (façon de parler, 1 bonne heure d’attente avant chacun des films) pour l’obtenir. 

Naturellement humain : Noémi Kawase – Deux fenêtres (Futatsume no mado)

Un homme tatoué, mort, étendu dans une mer déchaînée et destructrice, sur une côte japonaise encore vierge de toute émulation  immobilière et touristique. Voilà comment Naomi Kawase a décidé d’ouvrir son dernier film. Image transcendantaliste à faire pâlir le gourou Malickien, Futatsume no mado est une histoire simple, un amour de jeunesse entre 2 adolescents perdus dans des problèmes d’adultes qu’ils ne peuvent cerner (la séparation des parents, la mort prématurée d’une mère). Forcément adepte de Emerson, Kawase utilise la mer, force inaltérable de la nature pour bouleverser les codes societaux et humains (« j’ai peur de la mer, elle est vivante » cite l’adolescent).

Agacé par un voisin ennuyé d’un spectacle qui n’a sans doute pas compris, je me vois moi bouleversé par cette lumière naturelle splendide, la douceur de la photographie et cette caméra qui ne cesse de pénétrer la chaire pour mieux extirper l’essence même de l’humain, sa vitalité pure, sincère et terriblement naïve. Ma première larme du festival s’écoule, sel sur ma joue pour une intrusion 4D lorsque la musique traditionnelle japonaise vient éteindre l’âme en bout de voyage de cette mère que l’on voudrait aimer. Les dialogues crus et premier degré s’arrangent pour laisser notre regard libre, le bruit de l’eau nous envahir, et s’émerveiller par la délicatesse et la poésie de l’image. N’est ce pas là le principal ?

Il n’est pas indécent de comparer le travail de Malick à celui de Kawase, la frontière n’est finalement que culturelle, chacun se nourrissant de son histoire passée pour aborder leur triade commune : nature, perception, transcendantalisme. Et quand l’on connaît mon admiration presque fanatique pour Malick, le sourire et la quiétude prédomine lorsque (déjà) les lumières se rallument.

La salle est debout, les applaudissements ne s’arrêtent plus, Wim Wenders (Paris-Texas, palme d’or il y a déjà 30 ans) est ému. Son documentaire Le sel de la terre est à couper le souffle. Retraçant la grande carrière du photographe Sebastio Salgado avec le fiston Juliano Salgado, ils mettent littéralement en image photographique les plus terribles atrocités de l’humanité shootés entre le désert du Sahel et le Rwanda et les instants de grâce somptueux d’une nature encore vierge en Amérique du Sud.

Que les photographies de Sebastio Selgado soient d’une qualité et d’une intensité rare, porteur d’un message politique, économique et humain troublant, ce n’est en rien une surprise. Par contre, que cette intensité papier se transforme en une envolée aussi bouleversante, je n’aurai pu l’ imaginer, moi encore scotché par la force du propos. A la fois choqué par des atrocités trop souvent oubliées, quelles soient naturelles (la famine du Sahel) ou délibérées (Massacre rwandais, les exodes en ex-Yougoslavie), on ne peut s’empêcher d’être glacé par le regard d’un Selgado dégouté, dépité par une race humaine dont il ne croit plus. Le lien avec la Syrie est rapidement fait et cet amère sensation que l’histoire ne fait que de se répéter. Mais également émerveillé par la beauté de son projet « Genèse », cette envie finalement irréductible de plonger dans des mondes inexplorées pour finalement conclure  par un message d’espoir. Rien est trop tard.

The Search de Michel Hazanavicius

On la tient la première grosse plantade de la quinzaine. Elle est belle, grossière et à la mesure de sa prétention. Michel Hazanavicius a eu un oscar grandement sur-côté, forcément ça monte à la tête et bien sur, il fallait sortir un master piece après les idioties muettes de Dujardin. Et c’est tout ce que l’on ressent, le profond désir de faire un Grand film de guerre, la Tchechenie en 1999 comme terrain de jeu, et deux histoires parallèles, l’un du côté russe (soldat qui s’engage dans l’armée) l’autre du côté tchétchène (un enfant qui tente de survivre, à la recherche sa sœur) pour un scénario d’un manichéisme indigeste. En plus d’être interminable (2h30), la cruauté et surtout le sourd silence de la communauté européenne devrait nous toucher ou au moins nous alerter ; à mon grand malheur, elle ne m’a même pas ennuyé, bien pire, elle m’a agacé à me rendre totalement insensible à ce drame familial.

Le casting est un sacré fiasco, l’enfant tchétchène censé nous tirer la larme m’a rendu si nerveux par son inexpression maladif et ce mutisme arasant, qu’il m’est même passé par la tête de lui en coller une. Que j’ai honte mais j’assume. Et Berenice Bejo, dès la première plan, sait quelle ne devrait pas être là. Je me sens vide et inutile à l’entendre, profondément indifférent  à la voir tenter d’être une grande actrice quelle n’est pas.

Le film en lui même est un long trajet sans fin, tentant à chaque scène de nous démontrer quelle horreur est la guerre, quelle drame est à la perte d’un proche. Merci, ça nous fait une belle jambe. Notons cette scène où l’on demande à l’enfant (qu’il m’agace !)de dessiner, il finit par gribouiller violemment sur une maison et ces parents…la larme de Bejo s’enchaîne. Pathétique. Wim Wenders et son documentaire sur Salgado a réussi en à peine 30 minutes à nous déboussoler et nous provoquer sur l’exile des peuples, pas Hazanavicius en 2h30. Il n’est pas un grand metteur en scène, peut être le sera t il un jour, et il n’est pas à la hauteur de son projet. Et pourtant, ce n’est pas peine d’essayer avec ces longs plans  qui ne veulent finalement rien dire, le jeu avec la temporalité qui nous rend encore plus confus en fin de film, tous ces atouts des grands qui sont ici des déboires a répétition.

Je l’avais prédit au mois de mai (« Ya quoi à Cannes? »), et me voilà même embarrassé du résultat, pour ce même Michel que je croise à l’instant avant le film des frères Dardennes. Des temps meilleurs viendront, j’en suis convaincu, si la prétention d’être grand ne l’a pas déjà enseveli.

Lost River – Ryan Gosling

Il y a comme une excitation particulière dans la salle, de jeunes femmes en fleurs haletantes, des regards qui se détournent. Mais oui, il est bien là le blondinet ! Thierry Fremaux en rigole et a bien du mal à se faire entendre. Nicolas Winding Refn n’est lui pas très loin, en maître gourou venu défendre son poulain. Car si Lost River est bien le premier film de Ryan Gosling, il n’en est pas moins totalement inspiré voir aspiré par le travail du réalisateur de Drive et plus récemment du trop décrié Only god forgives. Il est tout de même fort agréable de découvrir cette fois-ci un regard américain sur le thème majeur du festival, cette nature destructrice, parfois creative mais qui dévore sans l’ombre d’un remord le semblant d’humanité qui peut s’installer sur des terres hostiles. Ici, l’on devine une Nouvelle-Orléans en perdition, ravagée, abandonnée à la loi du plus fort, une ville noyée sous les eaux. Dans ces maisons abandonnées qui jonchent les rues désertes, une famille tente de s’en sortir, on ressort le cliché – dont le film sera jonché tout le long – de la maman sexy célibataire qui doit faire des trucs un peu dégueu pour ramasser un peu de blé, auquel cas les mécréants saisiront sa baraque. Bon, ok. Le fiston, d’une troublante ressemblance avec son réalisateur un brin narcissique sur le coup, vole du cuivre dans les baraques abandonnées. Sans déconner, du cuivre ? Encore ? Ils n’ont pas autre chose à foutre, pourquoi le cinéma se passionne toujours pour les voleurs de cuivre ? Et la girl next door branchée dans sa pauvreté qui joue du Au revoir Simone sur son clavier. Bon avec ça, on est déjà mal barré.

Incontestablement, il y a de l’idée. Mais le tout est noyé dans un esthétisme criard, vulgarisé par une photo trop dans le vent qui ne porte en rien le propos au final assez bâclé d’un Gosling que l’on trouve hésitant, apeuré derrière une caméra trop lisse. Alors il nous fout sa scène gore pour faire plaisir à Refn, utilise la même bande-son « M83 », et tente en vain d’imiter la mise en scène à vif de son idole. Et ça se voit vraiment trop.

C’est certes un premier jet, mais nous étions en droit d’attendre un film bien plus intimiste et personnel malgré des coups de génies pervers comme cette cage renfermant une femme, laissant ainsi le client « lâcher » ses pulsions érotiques ou violentes sur cette prison plastifiée. Mais là encore, l’idée est avorter avant même de prendre son essor. La déception est mesurée car mon attente était tout aussi limitée. Tes beaux yeux n’auront pas suffi à m’avoir Ryan, en tout cas pas cette fois.

Mommy, de X. Dolan

Souvent placardé en réalisateur à minettes hipsterisantes, ralentis excessifs, bande-son möderne dans une mise en scène où la superficialité du propos dépasse à chaque fois des dialogues souvent pertinents, Xavier Dolan m’agace. Mais avec Mommy, il vient de m’en foutre une bien belle. Ma joue en rougit encore. Steve, un gamin à problème, ultra-violent à l’hyperactivité diagnostiqué se retrouve chez sa mère, une MILF vulgos à talon, après avoir été expulsé d’un centre éducatif. S’intercale dans ce duo, Kyla, une voisine bègue tentant d’aider Diane à sauver son fils de l’inéducable, son internement. 

Sans jamais tomber dans le pathos, ni dans la vulgarité inélégante, Dolan nous balance entre l’humour de dialogues sous speed brillant et la détresse d’un adolescent perdu dont l’hypersensibilité l’entraîne à la violence la plus absurde et l’érotisme le plus malsain. Dans un rythme soutenu, sans jamais laisser l’insensibilité gagner, toujours à vif, la chaire à nue, on se sent persécuter par ce gamin que l’on foutrait bien sous Lexomyl, puis bouleverser par la profondeur de son regard, subjuguer par la force d’une mère dépassée, puis en pleure devant son abandon. Et quelle intelligence que d’intégrer une seconde femme dans ce duo destructeur. Kyla, timide maladive, impose sa douceur comme alternative à la violence, l’écoute, la discrétion face à l’implosion. C’est là aussi que Dolan a grandi, il sait casser un rythme effréné, entrecouper ses scènes haletantes par des moments de tendresses décisifs. 

Bien sur, Xavier Dolan ne peut s’empêcher de nous émouvoir par sa bande-son toujours idéal et ces ralentis signatures. Et c’est bien ce qui lui coûtera forcément la palme d’or. Trop d’effet de style ; lorsqu’il épurera ses films, qu’il rendra son propos pur, simplifié et sans fioritures, il gagnera forcément en puissance. Mommy est un grand film et marquera la carrière de Dolan comme une étape décisive dans son évolution de cinéaste. La puissance de sa mise en scène me porte encore aujourd’hui au cœur, je revis sans cesse le manège sensationnel d’un film universel. Le temps joue pour lui (il n’a que 25 ans), et déjà, l’attente de son prochain long-métrage qui trotte dans le coin de ma tête.