Festival de Cannes 2016

Vendredi 13 mai

D’un ciel matinal grisonnant, la pluie ne cessant de s’abattre sur mon TGV de l’extrême, me voilà au départ d’une nouvelle aventure cannoise, frais, le guili au ventre et la force naïve d’une fourmi volontaire mais bientôt noyée dans un macrocosme de 4000 journaleux charognards. Il va falloir se battre, se lever tôt ou se coucher extrêmement tard, se taper la projo peu reluisante de 8h30 et délaisser le faste et les paillettes. Car fort de mon expérience de 2014, je sais qu’il faut parfois laisser un peu de fierté de côté, rentrer les pectoraux et choisir la séance du lendemain plutôt que le théâtre des Lumières du soir. Une tripotée d’amerlocks envahie déjà mes oreilles souillées par 3 heures de playlist Spotify dans le train, le ciel se dégage, la lumière est perçante, mes yeux se ferment. Je veux rêver d’un costume trois-pièces à la James Dean, cauchemarder du beauf en pantacourt qui l’observe, mouiller d’un rêve humide entre moi nu, le peignoir du Martinez ouvert et une valise de russes mineures, mais surtout, ne plus me réveiller avant mon arrivée…

Bordel, j’y suis ! Les cagoles gisent au sol, le conducteur hulule CANNNEEESSS avec un accent sudiste, la température est étouffante et l’excitation bien présente. Dès que mon pied s’est posé, le compte-à-rebours a commencé. Je fonce à mon studio, magnifique location haut standing, duplex boisé, 15 mètres carré. Je sue déjà à grosses gouttes. 10 minutes plus tard, palpation corporelle pas si désagréable jusqu’aux accréditations. « Le bonbon ? J’adore tellement ce site, bravo ! Quand est-ce que vous lancé ça en Amérique du sud ? Il y a une grosse colonie française là-bas ! » (sic). Je prends, un compliment en moins de dix minutes, je prends. Son visage devient blafard quand cette charmante hôtesse au contour des lèvres dessinés (on est déjà bien dans le cliché, et ça ne fait que commencer), apprend que je serais seul contre tous à affronter le festival cette année. « Vous avez du courage » ; on va s’en sortir. 

Je vous passe les détails sordides bien loin de mon niveau d’exigence (faire mon lit, aller au pot, et changer de slip humide) pour vous conter ma première séance. Mais surtout, ma première file d’attente. On est frais, en forme, et attendre 30 minutes pour voir un film de Jodie Foster, ça nous ferait presque suinter du gland. On a le sourire, heureux d’être là, avec son badge jaune de puceau-poussin. Et quand le premier logo du festival de Cannes éclate à mon visage béat, je me prends même à frissonner. Commençons par la première bouse du festival, perdu entre un humour non assumé et un message pseudo-coco anti Wall Street, Jodie Foster s’écrase tête la première avec son Money Monster. Incompréhensible, le message ne passe pas. Jack O’Connel est pas loin d’une performance pathétique à force de gueuler son mal être et jouer l’Irlandais de service du Queens. On comprend rapidement que la programmation de Money Monster était surtout là pour faire monter Clooney et Julia Roberts sur les planches rouges. Belle première émotion avec la projection unique d’ Exilede Rithy Panh, on se souvient tous de ‘L’image manquante’, on humidifie la cornée avec un exile forcé, d’une douceur rare, d’une mise en scène bouleversante, qui vient nous rappeler que la famine et la dictature, bah, c’est pas cool quoi. Bouffer du rat et des insectes pour survivre, on a vu mieux comme Koh-Lanta de la dictature. Blague à part, première émotion cannoise. 

Il fallait que je pénètre la villa Schweppes. J’ai choisi ce premier soir pour le faire. Brunot Dumont et Ma Loute ont choisi d’y fêter leur sélection.  Mes échanges peinturés entre Jean Vigo et Terrence Malick avec son réalisateur et son monteur ont noyé mon alcoolémie forcené dans une théorisation cinématographique des plus touchantes. Parler d’un film que l’on n’a pas encore vu, vous le savez, c’est ma spécialité.  L’encenser, un peu moins. Mais que faire face à la beauté grisonnante d’un Brunot Dumont un peu paumé entre le magnum de champagne et Cerrone : je suce le fion délicat du cinéma français. 

Samedi 14 & Dimanche 15 mai

La tête frappe, je m’effondre dans les marches boisées et sans tapis rouge de ma mezzanine sordide. La Mano était dingo, la Villa Schweppes a arrosé ma satiété. Il faut combattre, délaisser la fatigue et la gueule bourrée d’un bois tenace pour s’élever et affronter le cinéma mondial. Il est 10 heures du matin, et me voilà déjà reparti sur la route du Palais. 

Il est enfin temps de voir Ma Loute dont les débats ont fait rage entre moi et Jean-Luc Vincent, acteur et buveur de champagne à la Villa Schweepes hier soir. Attablé au coin VIP grâce à une connaissance nocturne et un bracelet bleu qui change la donne, j’ai également pu m’entretenir avec le directeur de la photographie, Guillaume Deffontaines. Une petite souris m’a confié que les acteurs chtis se sont éclatés la tronche comme jamais, du vomi dans les chambres, une actrice perdue, une cuitasse bien tapée. Bref, revenons à Ma Loute et à sa photographie qui est bel et bien l’atout majeur de cette féerie bucolique. On est balancé, toujours sur un fil, avec un Lucchini pas loin des cimes. Sur-interprété, et Binoche explose de sa justesse hybride, surexposé, comme raconté par Deffontaines, Vigo et Malick ne sont pas loin, Ma Loute est une farce enchanteresse, maniée par la main sévère mais brillante de Dumont. Implacable et d’une rare efficacité. On s’amuse à dévorer un cannibalisme exotique, une histoire d’amour transgenre mal tournée  et surtout, à se laisser bercer par l’absurdité quasi naïve d’une histoire sans repère. Que l’on aime se perdre ainsi. A peine sortie sous une pluie bien maussade qu’il faut déjà y retourner. Et c’est pour ma première montée des marches du Palais des festivals avec la présentation de Toni Erdmannen compétition officielle. Que j’aime cette excitation qui te prend aux trippes, l’équipe du film qui vacille devant cette horde de journalistes prêt à les dévorer, le mot de Frémaux pour les rassurer. Et nous, les bœufs dans les starting-blocks. « Bordel, il dure 2h50, je sens que je vais me barrer au bout de 15 minutes, comme l’année dernière pour un film chinois où je comprenais rien ». Mon voisin est rassurant. Il parle et cherche la connexion sociale. Tout ce que je hais dans une salle de cinéma. J’aime l’isolement complet, et c’est foutu, un mec de la mairie de Cannes qui a dégoté une invitation, fallait que je me le tape. Ne tortillons pas l’anus (à prononcer sans le « s » final »), c’est mon premier vrai coup de cœur du festival. D’une relation père-fille banale et d’apparence sans intérêt, la réalisatrice allemande Maren Ade en tire la quintessence de la beauté ordinaire. Un humour glacial, quasiment chirurgical à l’anglaise, des situations ubuesques qui baignent dans un fond tout de même poreux et pesant : une femme qui travaille trop et perd le sens de sa vie, on enchaine donc les réunions de sa boite de consulting. L’émotion à nue (c’est le cas de le dire, mais pas de spoiler d’une situation à poil qui enlève le film) gagne. Son cinéma est sincère et subtil, la dépression profonde d’une vie subie, celle qui nous gagne et que l’on refuse d’accepter. Et par l’amour d’un père d’apparence envahissant, mais que l’on sent plutôt terriblement distant (aucun contact corporel), l’excellente Sandra Hüller retrouve de manière purement passagère, d’où également la violence du constat, la mine réjouie de son enfance perdue. Le tout à travers les yeux et les jeux puérils d’un père qui lui a toujours refusé de grandir. Pronostic ? Prix du Jury.

Place désormais au superflu nocturne, on commence par « La Maison », mise en scène d’un appartement XIXème retapé, cuisine, petit salon et bidon d’absinthe. Ca sonne un peu Damido/La redoute mobilier mais l’ambiance est cosy et intimiste, agréable avant de devoir se remuer au milieu de centaines d’odeurs de sueur et d’haleine fétide.  Un détour par la plage Magnum, toujours ringard mais indiscutablement l’open bar le plus efficace de la Croisette. A peine arrivé que la coupe déborde déjà, le champagne se boit comme une tétée de petit lait. La tête tourbillonne que l’ennui s’installe déjà. Il faut déjà se barrer, la populasse de cette plage est angoissante, l’impression prétentieuse d’être au mauvais endroit. Mais oui, c’est à la Mano que ça se passe avec l’after du film Grave. Lionel le patron me zyeute et me fait rentrer. Des braves journalistes dont je terrais le nom sont terrassés à la barrière. Ma bonté – qui me perdra – me fait les faire pénétrer dans l’enceinte de tous le désirs. La fête est folle, l’alcool gratuit. Les visages se défilent, l’ivresse en fait chavirer certains, les autres font la queue en attendant une porte fermée. Cannes n’est pas Cannes si je ne m’échaude pas avec mes frais amis des Inrocks. Polémiquons ! Les noms sont déjà oubliés, les têtes encore en mémoire, et les discussions s’envolent au gré de la plus belle des prétentions, celle du critique de cinéma. Alleluia. 

Première grasse matinée bien méritée, il est temps de bouger ma carcasse brinquebalante, et malgré les avis contraires de la veille, j’insiste et je veux aller voir le dernier Spielberg. The BFG est un joli conte, simplement signé Disney sans Pixar, ce qui d’emblée entraine un façonnement narratif plus épuré et enfantin. Le charme opère immédiatement, la beauté des effets spéciaux domine l’image, et la balance entre la fragilité de la très jeune actrice Ruby Barnhill et cette grande bête illettrée et gauche fonctionne à merveille. On aime Spielberg en conteur d’histoire, il est juste, sa mise en scène est implacable, son humour un brin cabotin (surtout lorsqu’on se paye le luxe de faire péter la reine d’Angleterre) ne laisse aucune place à l’improvisation. C’est une belle bête bien agencée mais sans arrière goût. Une sucette vite avalée, et rapidement digérée. Mais une sucette double fraise-lait, pas celle qui reste au fond du paquet, la terrible sucette pêche (même concept avec les yaourts). Pardonnez ma déviance sucrée, mais c’est le goût qui me reste collé aux dents en sortant de la projection. A moins que ce soit ma remontée acide des 2 litres de champagne et des 12 verres de Gin d’hier soir. Qui sait. 

Beauté d’un festival, à peine sorti, pour mieux rentrer de nouveau dans la salle du Soixantième (salle adjacente au Palais) 10 minutes plus tard pour accueillir l’équipe de Chouf, huitième long métrage de Karim Dridi. Tout autre ambiance, voilà que débarquent les caïds des quartiers chauds de Marseille sous le regard et le commentaire paternel de Thierry Frémaux, légèrement agacé par leur chahut. Ce même Thierry Frémaux qui annonce une claque sociétale, un film hors champ donc hors compétition. Et bien je me permets d’être en désaccord. Le film raconte la vie d’une cité marseillaise, dominée par la criminalité et la vente de drogue, Chouf désignant les guetteurs dans la rue. Les acteurs amateurs sont justes, mais le problème ne vient pas d’eux. Il vient du réalisateur qui n’a jamais été un bon cinéaste. Sa mise en scène renvoie une image très « téléfilm », la brutalité et on s’en doute, la véracité des situations sont noyées dans un tempo pompeux, lambin et en quête perpétuelle de la fameuse image choc.. Mais au final, malgré encore une fois la violence souvent inouïe de vraies scènes de guerre entre gangs à Marseille, on en sort parfaitement indemne. L’émotion qui devait nous gagner, voir nous alerter n’est pas une seule fois transmise. Je ne suis tout de même pas scandalisé car le film mérite clairement d’exister, mais sa présence au festival sous la gouverne d’un film coup de poing hors compétition est un titre bien trop prétentieux au regard de la qualité purement cinématographique du film (et non du sujet qui d’en tout les cas interpelle). Le journaleux aime mettre des étoiles, des notes sur 5, sur 10. J’ai toujours trouvé l’idée hasardeuse, et c’est d’ailleurs bien pour ça que je m’en amuse dans mes critiques abusives chaque mois. Mais si l’on devait s’y mettre, Chouf serait un semi-échec à 2/5. Et c’est une réelle déception, moi qui m’attendais naïvement à m’en prendre plein la tronche, mon estomac est resté libre et vide alors que je l’aurai aimé noué et tendu. Il est grand temps de bouffer.

Lundi 16 mai

Une longue et bonne nuit douillette, rien de mieux pour un levé terriblement matinal (7h30). Évidemment je frétille. Jeff Nichols est mon protégé depuis ses débuts, son regard sur le monde est celui que j’aimerai plus souvent porter. La nature est destructrice, mangeuse d’homme dans Take Shalter et Mud, elle est de nouveau omniprésente dans Loving,mais elle est cette fois ci comme expiation du péché, le racisme et la ségrégation sociale. Emerson et son existentialisme ne sont pas loin et baignent en vaguelette le travail de Nichols, qui voit en l’homme une nature immuable et indépendante. Le film se base sur une histoire vraie, celle d’un couple composé d’une femme noire et d’un homme blanc, aux Etats-Unis, en Virginie. Une relation interdite qui, au gré des chambres de justice américaine entraînera une modification de la Constitution américaine devant le Conseil Suprême, reconnaissant le mariage comme droit naturel et le métissage autorisé au courant des années 60. La finesse de son regard et son honnêteté intellectuelle pourfend Loving d’une force forcément naturelle et même incritiquable. Il est ce que j’aime du cinéma américain, sa capacité unique à nous raconter des histoires. Sans pathos ni sur enchère moralisatrice ou jugement mal placé, Loving est une histoire profondément humaine. Et malgré le dégoût d’une telle pensée raciale archaïque, nous ne sommes pas là pour juger. Mais pour s’abreuver d’un amour filmé comme la douceur des champs dont il ne peut plus se passer. Ces hautes herbes malickiennes qui subissent l’homme et ses erreurs, mais indélébiles dans le temps et l’espace, preuve vivante d’une évolution sociétale à travers sa nature preservée. Jeff Nichols me parle à l’oreille, comment ne pas lui retourner mon admiration. Le prix le plus adapté serait pour Joel Edgerton en un prix d’interprétation qu’il peut honnêtement espérer. Quelle matinée radieuse! Se lever sans gueule de bois, c’est quand même un sacré luxe qui se perd. La bouche n’est pas pateuse et mon odeur corporelle semble désormais à la limite de l’agréable. Après mon combat féroce contre l’assoupissement d’hier, me voilà fringuant pour enchaîner avec Nicole Garcia, aussi en compétition officielle. 

J’ose écorner Nicole Garcia, désuet à souhait, Mal de pierre est un enchaînement de vieux pot cassé sous un épais manteau de poussière : Cotillard et sa folie façon Camille Claudel tente en vain de sauver les apparences. Le film est long et ce n’est pas l’apport vide de sens du beau Louis Garrel qui changera la donne. Le personnage de Marion Cotillard est marié à un maçon du nom de José (ola au cliché!) qu’elle n’aime pas. Elle a des calculs biliaires, se casse en cure thermale boire des litrons de flotte. Elle rencontre un beau général à l’agonie, Garrel, et s’empare d’un amour utopique. Je ne vous brise pas le soubresaut de suspens et son twist final façon Shyamalan. Un brin ridicule. Ce Mal de pierre donne un coup dans la fourmilière d’excellence de cette 69ième sélection. Ce n’est que 2 heures de perdu, je vais m’en remettre. Surtout que me voilà de nouveau gravir les marches rouges pour la présentation de Paterson de Jim Jarmush. Que j’ai hâte de voir cette tignasse argentée déambuler dans l’Orchestre à côté de la hype hollywoodienne du moment, Adam Driver. Paterson est chauffeur de bus dans la ville de Paterson, et le film de Jarmush est une mise en scène chronologique de sa routine quotidienne, du lundi au dimanche : sa balade avec un chien omniprésent, sa relation en noir et blanc avec la sublime Golshifteh Farahani, sa bière au comptoir. La poésie en fil conducteur, le personnage joué par Driver est effacé, petite personnalité d’apparence faiblarde mais d’une richesse intérieure touchante. Ses poésies rythment le film, et à l’instar de mon favori pour la palme Toni Erdmann, la simplicité et la beauté de l’ordinaire suffise à porter un film au sommet. L’humour pincé est exquis, la mise en scène brillante, Jim Jarmush m’a touché au cœur. Il me semble cependant peu probable qu’un quelconque prix récompense Paterson, malgré des applaudissements nourris et diablement fournis pendant de très longues minutes à la fin de la projection. Pour une fois qu’une attente est récompensée d’une réalisation à la hauteur de son envi, il le faut le sous et le sur-ligner. Il faut également bien voir dans Paterson la force formidable de la redondance, du jeu de situations, et qu’un grand film c’est avant tout un grand cinéaste. Et c’est ce que je défend avant tout, non pas le scénario, ni le jeu des acteurs, mais plutôt la mise en scène et le montage, qui dominent un film et peuvent l’amener éventuellement à nous sortir une émotion unique. Paterson en est l’exemple typique.

Il est déjà 19h, et il est grand temps de repartir au combat. On commence par un Negroni cannois bien tassé pour préférer la gratuité et les cocktails de la Villa Schweppes. Greg Boust, qui a toujours l’oreille au bon endroit envoie un Michel Berger au bon moment. L’alcool monte, les langues se délient, les corps se déhanchent. On part à La Mano pour avaler deux trois tapas et s’envoyer une quantité astronomique pour mon petit corps de brevages au Gin. La Mano à Cannes, c’est une réussite totale. Immense, une ambiance folle, un mélange exquis entre prétentieux journalistes, starlettes du PAF, parisiens devenus sudistes et anonymes remplis d’ivresse. 

Mardi 17 mai

Vous commencez à connaître la chanson, le son de La Mano résonne encore dans le crâne, des SMS du style « je peux pas venir, je me fais une meuf sur la plage » émanent d’un téléphone sans batterie, le souvenir est dur à rétablir et la levée, bien délicate. Surtout que je m’impose – professionnellement parlant– Julieta de Pedro Almodovar dont je suis bien loin d’être un admirateur. Peut-être me manque-t-il la fibre féminine pour apprécier sa caméra, peut-être est-ce l’accent espagnol qui m’irrite au plus au point, ou sa manie d’un esthétisme de mauvais goût. Rien n’est beau dans Julieta, les vêtements, la décoration des appartements, même la mer n’est pas jolie. Quand Almodovar filme, je ne vois rien, à part un amas de sentimentalisme maternel dont lui comme Dolan devrait psychanalyser. Je suis dur car Julieta n’est pas au mauvais film. L’histoire d’une mère, de la rencontre avec son futur mari à la naissance de sa fille, et la relation mère-fille viscérale qui chahutera la destinée de Julieta. Sa fille, qui en veut à sa mère pour le décès de son père décide de s’exiler et ne plus jamais revenir. Julieta essaye de reconstruire sa vie mais le passé la rattrape, son amour pour sa fille également et patatra, tout remonte comme un acide trop corsé, ça gicle de bon sentiment, ça déborde de rétrospection en voix off, ça tire la larme jusqu’à la sécheresse cornéenne. Bref, c’est pesant. Comme le cinéma rouge vif de Almodovar, ça fait mal aux yeux.

Ma Rosa est attendu. Nous sommes forcément déçu. Une immersion dans le trafic de drogue aux Philippines, une violence recherchée, voire terriblement provoquée, Mendoza veut nous choquer, cherche la chialerie du  désespoir d’une famille perdue dans un trafic de « crystal meth ». Mais le soufflet s’effondre, le film se dilue à la force de ses images provocatrices, et l’on se retrouve face à une tentative veine de cinéma coup de poing. Quelle tristesse de voir se collapser une idée d’un cinéma, celui d’une réalité quasiment documentaire. C’est long et barbant. L’émotion est absente, je m’ennuie. Je m’endors. Et ma tête vacille d’un va-et-vient gênant. Mendoza est bien connu pour ces éternels longs-métrages, et elle ne déroge pas à sa règle en nous fournissant d’intense scène de violence qui s’éternise, et s’éternise…Un petit mot sur la sélection parallèle Acid Cannes, et je terrais le nom du film indépendant que j’ai vu. Une merde sans nom qui bafoue cette sélection pointue. Ca ne sert pas à grand chose de taper sur un jeune cinéaste indépendant, donc il gardera l’anonymat mais le film ne durait que 1h10 et ça m’a paru infini. Je n’en pouvais plus. Il fallait réagir et vite. Direction la plage Magnum avec le concert de Feu Chatterton, une réussite totale, folle folie sur scène, rock’n’roll bien de chez nous (comprendre en français) et une efficacité synthétique au poil. On les retrouve à La Mano pour une teuf de l’extrême jusqu’à très, très tard jusqu’au levée du soleil. 

Mercredi 18 & Jeudi 19 mai

Il fallait forcément un papier spécial pour le dernier film de Xavier Dolan, Juste la fin du monde. Un minimum après une attente interminable de près de 2 heures pour réussir à rentrer dans la projection presse. Alors je n’en parlerai point ici. Par contre, je peux vous compter l’histoire de Fantomas du dernier Assays, Personal Shopper. J’avais été emballé par Juliette Binoche dans Sils Maria, assumant l’âge et l’évolution naturelle de la beauté face au regard de Kristen Stewart. Ce même regard que l’on retrouve dans son dernier film. Et bien heureusement. Car sans elle, le film serait un vide quasi pathétique. Assayas est parti dans un délire d’esprit et de fantôme que l’on aurait plutôt aimer suggérer que mis en scène par des effets spéciaux Scoubidou. On se paume dès le départ, on ne saisit pas grand chose, et surtout, que veut-il nous raconter ? Sans angle d’attaque, on se perd dans ce néo-métier (Stewart s’occupe d’acheter et d’essayer les habits d’une richou), er le rythme est plombé par des échanges de SMS incessants avec un esprit anonyme obscur. Difficilement compréhensible de s’être embarqué dans cette voie fantastique sans issue. Mais pourquoi Olivier, pourquoi ?

On prend les mêmes et on recommence : Villa Schweppes avec Agoria qui me pète les tympans, détour par le Silencio Cannes pour boire un negroni bien tassé puis on retrouve les potes à la Mano. Il n’en fallait pas plus pour terrasser ma fatigue extrême, vaincre le mal par le mail. « Small talk », retrouvailles chaleureuses, quelques moments gênants (« non madame, je ne veux pas danser avec vous ») et la fameuse promesse que l’on ne tient jamais, se revoir à Paris.

Je conclue mon festival avec le très attendu Refn (aka le mec qui a fait Drive), Neon Demon. Elle Fanning joue une toute jeune modèle qui tente de réussir à Los Angeles. Sa beauté « parfaite », sa peau d’une douceur absolue, son nez naturel font rapidement d’elle la nouvelle reine. 16 ans, pucelle, naïve et d’une pureté enfantine, elle crée autour d’elle haine et jalousie extrême. Ultra esthétique, cet objet pop est difficilement analysable à chaud. Je suis perdu, mes repères cinématographies sont éjectés, et je me retrouve à poil, un peu géné, devant vous. Car mon avis c’est pour l’instant de ne pas en avoir. Le film bascule quasiment d’une scène à l’autre du pathétique, limite vulgaire et grossier (de très nombreux rires de journalistes haineux dans salle, le journaliste de cinéma aime rire fort, et dans des situations qui ne s’apprêtent pas à l’humour, pour bien mordiller sa proie face aux confrères) à la violence sublime de son image terriblement sanguine. Mais là où Refn va plus loin que Drive, c’est qu’il pousse jusqu’à de l’anthropomorphisme par un cannibalisme très primaire (« avaler sa beauté ») et une scène finale qui perturbe (no spoiler). Assayas sans angle de vue, Refn c’est tout l’inverse, peut-être trop. Trop en faire, trop de sang, trop d’effet de style. Mais en même temps, cela porte son film et lui donne une saveur unique. Il mélange sa vision de la beauté avec la perversion et l’auto-destruction que génère notre société contemporaine où l’on croit voir de l’esthétisme partout alors qu’il n’est nul part. Comme dans Neon Damon, Refn en fait des caisses pour bien nous faire comprendre la puissance intouchable de l’image et de la beauté. Qu’est ce que c’est que la beauté ? « Elle a un truc en plus ». Ce qui rend Elle Fanning belle est imperceptible, c’est une sensation, un trait de visage, un quelque chose qui change tout. Film donc pluriel, clivant, dérangeant. Film qui pousse à se creuser la tête pour en tirer son sens profond. Il pourrait être une bonne épreuve philosophique. Allez, vous avez 4 heures.