MARS 2022

La tendance est toujours bien réelle de lire un film à travers ses lubies, la mienne réside dans le transcendatalisme émersonien porté par le cinéma de Malick, récemment retrouvé chez Zhao dans Nomadland, plus anciennement chez Jeff Nichols. Et c’est irrémédiablement la scène d’ouverture de Badlands qui résonne, ce désir carnassier de dévorer un chien errant de Martin Sheen, point d’orgue initatique des futurs films de Terrence Malick. Clara Sola a été par la plupart lue comme un film féministe et engagé, imposant le portrait d’une femme malade et déconsidérée qui affronte le patriarcat religieux et son carcan asphyxiant (littéralement représentée par une gaine enfilée par Clara). Si cette première lecture n’est pas erronée, elle n’en reste pas moins mineure. Ce qui émerge, au-delà de la beauté photographique indéniable du film, c’est la nature omnipotente, salvatrice de la maladie et des corps déformés, une nature immuable, guérisseuse, et Clara, apôtre silencieuse et grâcieuse, jouant son humble rôle de pont mystique entre le monde humain et le monde sauvage. Elle que l’on force à jouer en la réincarnation de la vierge Marie ne sauvera personne, rien d’humain en tout cas : car elle a perdu la foi en sa propre espèce qui la dénigre et l’isole, l’interdit de jouir et de se toucher (sa mère lui pimentant les doigts pour l’en empêcher). Résonne aussi le Memoria de Weerasethakul, lui utilisait la nature comme messager du souvenir, Mesén comme divinité curatrice. Malick a utilisé l’image du chien dévoré, Mesén l’insecte avalé, l’eau sacrée qui corrige une scoliose, la parole capable de réanimer l’animal (le cheval, le scarabée). Clara Sola est un acte de foi d’une beauté sidérante, naïveté désarmante face à une humanité qui a depuis longtemps délaissée la nature pour la chimie, le regard par la parole, la terre par la religion. Wendy Araya incarne une femme, une femme inaudible et invisible, et qui pourtant, représente le salut d’une humanité qui se meurt, capable d’observer sans broncher sa propre auto-destruction.

Johnny dans « Petite Nature »

Une autre « nature » se joue chez Samuel Theis, cette fois-ci intérieure avec l’éveil des sens d’un jeune homme de 10 ans, la découverte de la sexualité, du désir mais aussi la révolte contre l’assujetissement social insupportable qui écrase les cités défavorisés et la destinée fataliste vers la précarité (« boulot de merde », « bouffe de merde » s’exclame Johnny). Cette révolte est ici explosive, violente (contre sa mère absente, son frère idiot) et s’oppose à la retenue retrouvée chez Elene Naveriani dans Wet Sand, filmant une autre révolte, celle contre l’homophobie en Géorgie, tout aussi bouleversante mais plus contenue. Petite Nature, c’est aussi l’émancipation d’un corps, engoncé et gêné en début de film, finissant par danser et se libérer du poids de son éducation rabaissante (« Qu’est ce que vous lui avez encore mis dans sa tête » se plaint la mère à son professeur, au départ idéalisé puis érotisé par Johnny). Mais aussi d’un esprit qui s’ouvre à la poésie, la littérature, l’art contemporain qu’il découvre à Metz au centre Pompidou. Rien est larmoyant, la mise en scène d’apparence effacée est brillante et mue avec férocité et conviction la trajectoire céleste de Johnny, joué par le formidable Aliocha Reinart : un gamin sans rêve (lorsqu’il est interrogé par le formidable Antoine Reinartz) qui finit par enfin voir le Monde des possibles : « Follow your fucking dream », slogan brodé sur l’arrière de la veste de Fleshka dans Wet Sand.

Fleshka et Moé dans Wet Sand

Les autres films du mois

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Vous ne désirez que moi 3.5/5