Y’a quoi au ciné ? Début décembre 2022

Cet article est à retrouver sur le site internet du Bonbon Nuit, lieu premier de sa publication.

On est dans le dur. Il fait moche, nuit à 16h, les terrasses sont impraticables et le nez ne cesse de goutter, la gorge gratouiller. Foutu pour foutu, on s’effondre lamentablement dans du tire-larmes bien isolé au ciné. Et en ce début décembre, c’est avec le trajet d’un ado en plein deuil, le combat d’une femme pour son droit à l’avortement, et la libération des corps en Tunisie que l’on accepte avec plaisir chialer en toute tranquillité.

  • Si tu veux un vent de fraicheur de Tunisie, où enfin, les visages se découvrent : SOUS LES FIGUES

Dans le Nord-Ouest de Tunisie, 3 générations se retrouvent sous des figuiers le temps d’un été. Des lycéennes solaires, qui s’invectivent et se taquinent d’un amour de jeunesse qui ressurgit, de premiers émois amoureux qui emportent la raison, elles chantent et dansent à s’opposant à la soumission des hommes. Des hommes représentés par des trentenaires qui volent et trompent, ridicules petits êtres en quête d’hédonisme béat et de virilité absconse. Face à eux, le troisième âge, vieillissantes personnes mutiques aux pieds qui brûlent, las et sans espoir de changement, la tête qui restera baissée jusqu’à leurs fins. Les visages sont beaux, les regards perçants, une langueur virevoltante de désir et d’histoires, dans un jardin d’Eden où la figue défendue est bien celle qui se mange goulûment, aux yeux et à la barbe du « chef » misogyne. Un film qui semble hors du temps, beauté de passage, mais qui pose avec brio les grandes interrogations de la Tunisie d’aujourd’hui.

Pourquoi il faut y aller : Les discussions sous les arbres d’apparence superflues sont en fait le reflet des réflexions profondes actuelles du Maghreb et sa guerre générationnelle silencieuse

Mais d’un autre côté…Un huit-clos d’extérieur qui peut semble trop minimal

« Sous les figues » de E. Sehiri – sortie le 7 décembre

  • Si tu veux te souvenir de tes premiers pas de parisiens pré-pubères : LE LYCÉEN

Dans un esthétisme caméscope au pastel très eighties, Honoré filme le deuil de son père à travers le jeune Lucas qui nous raconte le sien face caméra. Nous suivons ses pérégrinations post-adolescentes, de l’absence (il ne se rend pas aux obsèques de son père) à la révolte (contre son frère), de l’affranchissement des règles et d’une vie qui se libère (pseudo-sensation libertaire) à une profonde solitude destructrice de futur, puis un premier amour hyper-sensible qui brise, mais se reconstruit dans un final absolument déchirant où le puzzle familial trouve enfin la voix de la rédemption par le pardon et la confiance. Une merveille sensitive, bijou de tendresse violente, équilibre étroit et gracieux entre la naïveté et la maturité (« Je suis plus vieux que toi » dit Lucas 17 ans à son amour impossible de 29), Honoré transgresse l’image plombante du deuil en un parcours initiatique qui bâtit l’avenir par l’amour de ceux qui restent. Somptueuse réussite.

Pourquoi il faut y aller : Pour l’esthétisme intime de Honoré, et son sublime regard du deuil et de sa reconstruction progressive

Mais d’un autre côté… Des tics de films français qui peuvent agacer, et cette fameuse vision Province-Paris abrutissante

« Le Lycéen » de C. Honoré – sortie le 30 novembre

  • Si tu veux te rappeler en ses temps obscures que l’avortement est bien un droit fondamental (et constitutionnel) : ANNIE COLÈRE

Annie, mère ouvrière de 2 enfants, décide d’avorter, un temps où il est encore illégal de le pratiquer. Elle rejoint le MLAC (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception) décision fondatrice d’un basculement de paradigme,L’écriture vivifiante de mesure de Axelle Ropert et la caméra a juste distance de Lenoir engage une première heure magistralement menée, de la dureté physique de l’avortement aux larmes de sa libération. Il y a de la tendresse sans mièvrerie, de la politique sans grandiloquence, une révolution susurrée par le mot, mais fondateur par l’acte. La deuxième heure s’embourbe dans sa longueur, mais au-delà de la bienveillance humaniste touchante de Annie, on retient son ultime discours : bien que la loi Veil fut actée, évolution plus que révolution, la déshumanisation médicale va prospérer (la solitude du traitement médicamenteux de l’IVG), et cette victoire illusoire ne doit jamais cacher les combats futurs des femmes pour leur droit fondamental.

Pourquoi il faut y aller : Attention à ne pas se lasser, mais pour le moment, Laure Calamy surnage et transporte à chacune de ses apparitions

Mais d’un autre côté… La deuxième heure patauge dans des longueurs et répétitions

« Annie Colère » de B. Lenoir – sortie le 30 novembre