Y’a quoi au ciné ? Fin novembre 2022

Cet article est à retrouver sur le site internet du Bonbon Nuit, lieu premier de sa publication

Pour cette fin de mois de novembre, on oublie très vite les daubes (Black Panther, La Maison), et on tente de relever la tronche après les grandioses claques (Armaggedon Time, Pacifiction) avec trois histoires de femmes déchirantes : celle d’un amour impossible, de l’inimaginable horreur d’un infanticide, et du parcours chaotique d’une jeune mère en Iran.

  • Si tu veux te péter le cœur avec une bouleversante trajectoire théâtrale : LES AMANDIERS

Dans un film autobiographique, Bruni Tedeschi revient sur ces années d’élèves au théâtre des Amandiers de Nanterre, dirigé par le charismatique Patrice Chereau (joué ici par Louis Garrel). Certains passent le concours, d’autres échouent. Puis se forment un groupuscule de théâtreux aux affres des excès, de l’amour et de la drogue, d’une hyper-sensibilité matérialisé par le désœuvrement et la perte de repères. Une fois dépassé cet entre-soi bourgeois et ego-centré qui inquiète d’isoler au départ, on se laisse emporter par la magnificence de Nadia Tereszkiewicz, qui tient le film jusqu’à ce que la mise en scène au départ hésitante et didactique s’ouvre enfin vers un regard plus universel et bouleversant sur les grandes thématiques de la fin des années 80 (le SIDA, l’héroïne et son trajet mortifère). Puis des scènes finales jaillit la grâce, le regard au sol de Louis Garrel, les pleurs de Stella qui accompagnent Tchekhov, et cette déchirure profonde qu’est la perte d’un être cher.

Pourquoi il faut y aller : Pour la justesse du ton sur l’amour et ses souffrances, la jeunesse et l’émotivité exacerbée des premiers émois.

Mais d’un autre côté… L’entre-soi très parigo et l’effet drama grandiloquent peut saouler.

« Les Amandiers » de V. Bruni Tedeschi – sortie le 16 novembre

  • Si tu veux t’interroger profondément sur la place et le rôle des femmes dans nos sociétés patriarcales : SAINT OMER

Une femme est accusée du meurtre de sa fille de 15 mois. Par son procès en salle d’audience, Diop montre si peu pour tant interroger sur les raisons d’un acte inintelligible. L’on découvre la trajectoire de Laurence Coly, jeune femme désœuvrée par le poids de la réussite exigée, son arrivée en France, seule et déracinée de son Dakar natal. Elle tombe sur un homme blanc, plus vieux, lâche et marié, qui n’assumera jamais l’enfant engendré par une relation cachée. En parallèle, une romancière qui a décidé d’en faire un livre, transposant sa future maternité en celle de Laurence : le poids de la filiation maternelle, la peur viscérale de la transmission, celles des traumatismes du passé (d’une mère absente). Par delà la maternité, Diop dépeint frontalement le racisme nauséabond, ordinaire, d’une femme noire qui s’exprime correctement (ce qui interpelle les suiveurs), dans un milieu à domination blanche et bourgeoise. La sorcellerie est avancée par l’accusé, mais c’est bien la détresse d’une mère elle même abandonnée qui est à l’origine de celui de son enfant. Brutalité d’une mise en scène frontale et minimale jusqu’à ces deux dernières séquences en apogée, l’une d’un regard caméra de l’avocate plaidant pour toutes les femmes, l’autre d’un « main à main » entre une mère et sa fille, conscient du cycle ininterrompu de la vie, acceptant le pardon pour tenter d’évincer les terribles erreurs du passé, inlassablement répétés.

Pourquoi il faut y aller : Pour la multiplicité des sujets abordés, avec en priorité, celle d’être une femme seule et déchirée de ses racines, dans un monde ostracisé par le racisme ambiant

Mais d’un autre côté… Le quasi huit-clos dans la salle d’audience peut perdre plutôt que captiver

« Saint Omer » de A. Diop – sortie le 23 novembre

  • Si tu veux un aperçu terrible de la dictature iranienne liberticide : JUSTE UNE NUIT

Le postulat est simple, Fereshteh doit faire garder sa fille de 3 mois « juste une nuit », le temps de recevoir ses parents, pas au courant de la naissance de son enfant « illégitime » au père absent. Très dardennien dans son approche minimaliste, lui donnant en conséquence une allure mineure, il n’en reste pas moins indispensable en ces heures sombres iraniennes, où la dictature en place ne laisse aucune voie libertaire aux femmes. Fereshteh va tomber successivement sur des profiteurs du régime (le médecin), des aides bienfaitrices (l’ambulancier), jusqu’à enfin trouver une solution. Et c’est là que le film nous emporte, par son plan fixe de plusieurs minutes sur cette jeune femme accablée par l’abandon de sa chaire : tout ce qui devrait être anecdotique devient ici acte de bravoure. Avec, en geste final, la confrontation avec la vérité, un devoir pour elle, et pour toutes les femmes qu’elle représente sans le savoir. Le cinéma iranien est d’une richesse incommensurable (Panahi père et fils, Kiarostami, Abbasi, Roustaee), et Ali Asgari s’inscrit un peu plus dans la lignée des réalisateurs qui comptent et imposent une vision inaltérable d’un cinéma de survie. 

Pourquoi il faut y aller : Pour son vent d’émotivité retenue, et cette idée que la suggestion (par le quotidien de cette iranienne) est souvent plus forte que la démonstration.

Mais d’un autre côté…Le film reste relativement mineur, et sa mise en scène simpliste peut déboussoler.

« Juste une nuit » de A. Asgari  – sortie le 16 novembre