Cet article est à retrouver sur le site du Bonbon Nuit, lieu premier de sa publication.
Conclure un film, trouver sa fin. Il y a les twists à la Shyamalan (Sixième Sens, The Visit) et Fincher (The Game, Seven). Il y a celles qui marquent une génération (2001 L’Odysée de l’espace, La planète des Singes), et d’autres qui se vautrent, et se fracassent (celle du AI de Spielberg fait mal). Quoi qu’il en soit, c’est souvent là où tout bascule, que la réussite d’un film se dessine par la beauté, souvent tragique, de sa conclusion. En ce début février, 3 fins marquantes pour 3 grands films, une envolée lyrique improbable (Astrakan), de la danse contemporaine en pleine Russie du 19ième siècle (La Femme de Tchaikovksy), et une déclaration d’amour en couleurs (La romancière, le film et le heureux hasard).
- La fin « ubuesque » : ASTRAKAN
Astrakan se définit comme la fourrure noire d’une dépouille d’un agneau mort-né. Le parallèle est tout trouvé entre un agneau abandonné et Samuel, 12 ans, orphelin et recueilli par une famille d’accueil dysfonctionnelle, principalement attirée par les aides financières générées. Dès le premier plan, le malaise est entier, tout pèse une tonne, les regards sont baissés, la violence omniprésente. L’on comprend très vite que l’ignominie est à portée, que cet orphelin, bien plus éveillé qu’il n’y parait, a déjà tout vu et tout compris. Il tente en vain d’appeler à l’aide (et ce message accusateur qu’il cache sous le parquet, une dénonciation sans confrontation), lui que l’on raille et à qui la confiance n’ait jamais accordé. Samuel est profondément seul au milieu de l’horreur, et de cette photographie en 16mm s’immisce une tension intime et voyeuriste. Jusqu’à sa conclusion démente, une envolée lyrique absurde qui fait basculer le naturalisme du film en un niveau supérieur, là où son titre prend sens, et son importance prend forme. Toute la pesanteur morbide du film explose de manière informelle, à la limite du ridicule, sans jamais y céder. Un premier film qui marque, une mise-bas douloureuse d’un nouveau cinéaste à suivre de près.
Pourquoi il faut y aller : Pour cette fin folle qui bascule le film dans une marge rare et vivifiante
Mais d’un autre côté… Tout y est lourd, agressif, à la limite du supportable
« Astrakan » de D. Depesseville – sortie le 8 février
- La fin « délire contemporain » : LA FEMME DE TCHAIKOVSKY
Tchaikovky, homosexuel, souhaite garder le secret de son orientation auprès de la société russe conservatrice. Il se trouve en façade mensongère Antonina, une femme qu’il épouse, mais qu’il méprise. Il la rejette, humilie, la récuse jusqu’à la supplier de ne plus exister. Mais comme une syphilis indécrottable, Antonina s’accroche et restera toute sa vie éperdument amoureuse de lui, jusqu’à la rendre folle alliée, et internée en asile (une histoire vraie). Serebrennikov compose une nouvelle symphonie grandiose. Rares sont les metteurs en scène qui transcendent l’image par la caméra, lui comme Terrence Malick en font partie, avec cette sensation d’apesanteur et de danse virevoltante, ballet incessant d’une caméra qui ne cesse de trouver l’angle juste, et le plan-séquence qui fait chavirer la première lecture abrupte en une poésie funeste. Et cette fin donc, en danse contemporaine queer au milieu d’un hôpital psychiatrique du 19ième siècle dans un anachronisme explosif. Immense.
Pourquoi il faut y aller : Pour la caméra de Serebrennikov, rare sont les réalisateurs capables d’un tel génie de mise en scène
Mais d’un autre côté…Cette Antonina lamentable et sirupeuse d’un amour perdu peut vraiment agacer
« La femme de Tchaikovsky » de K. Serebrennikov – sortie le 15 février
- La fin « déclaration d’amour » : LA ROMANCIERE, LE FILM ET LE HEUREUX HASARD
A Séoul, l’on suit les déambulations hasardeuses de Junhee, romancière de renom, qui croise la route d’une jeune actrice, d’une amie perdue de vue et d’un réalisateur. Les discussions s’articulent autour de la création de son premier film. L’on retient forcément les dernières minutes, ce passage en couleurs, et la grâce absolue de ces quelques instants, hors du temps, ce « je t’aime » face caméra de Kim Min-hee, qui font naître un sentiment de béatitude éphémère, une parenthèse sereine si précieuse. Mais aussi son cheminement, le hasard des rencontres, et le germe d’une idée (faire un film), puis sa mise en forme (en appuyant la thèse que « l’histoire n’est pas importante ») jusqu’à sa concrétisation finale. Hong Sang-Soo ne cessera jamais d’être admiré et aimé, car sans cesse sachant renouveler son cinéma (malgré ces 28 films). Car sa caméra saura toujours être à bonne distance : là où l’émotion naît, là où le cœur parle, là ou la discussion sait aussi se taire pour faire naitre l’image qui bouleverse.
Pourquoi il faut y aller : Pour le cheminement intellectuel nourrissant, et la beauté indicible de ces 5 dernières minutes
Mais d’un autre côté… L’idiot qui n’aime pas Hong Sang-Soo n’y trouvera toujours pas son compte
« La romancière, le film et le heureux hasard » de H. Sang-Soo – sortie le 15 février