Y’a quoi au ciné ? Début juin 2024

L’article est à retrouver dans Le Bonbon Nuit

La descente post-cannoise est rude, l’excitation et l’enivrement cinéphile de découvrir quasiment 4 films par jour retombe, retour à la réalité sous des trombes de pluie incessante, adieu le soleil cannois et les salles blindées aux applaudissements réguliers, bonjour la salle de quartier dégarnie, et les pop-corn qui te collent aux pompes. Descente certes, mais largement adoucie par notre Palme d’or « Anora » de Sean Baker devenue la Palme d’or de Greta Gerwig et consort, et nous ne sommes que joie de voir récompensé ce grand film plein de panache, de folie, cette mixité de genre du burlesque à la romance, qui étale tout le talent de Sean Baker à savoir faire vivre et survivre ces personnages. Pour ce début juin aux allures tristement de novembre, on rejoint Kristen Stewart et son histoire de lesbienne testostéronnée (« Love lies bleeding »), une sensible fausse comédie française (« Juliette au printemps »), et un documentaire essentiel sur la trans-identité sous toutes ses formes («Orlando»).

  • Amours toxiques : LOVE LIES BLEEDING

Il y a Lou (Kristen Stewart) en red-neck à marcel, tenancière d’un fitness qui y voit débarquer Jackie, une bombe sur-musclée dans son petit short eighties bicolore (Katy O’Brian), et de cette douce romance nait une atmosphère hors du temps, des corps perlés de sueur, suintant le désir et le charnel. Puis Rose Glass sort les gros sabots pour dévier son amour lesbien en une haute lutte de dominant/dominé avec une toxicité amoureuse à tous les étages, faisant clairement dérouter le film vers un effet démonstratif lourdingue : Lou éperdument amoureuse qui va se perdre dans les délires paranoïaques et vengeresses de Jackie, Lou et son amour sordide pour un père criminel dont elle n’arrivera jamais à se détacher, Lou et sa sœur qu’elle défend contre un mari violent, mais en vain, car en traceur de tout le film, elle lui inflige un terrible constat : « Tu ne connais rien à l’amour, j’ai pitié de toi ». L’amour malade et sa passion déraisonnable, du réchauffé sur-expressif qui s’empêtre dans une dimension horrifique, faussement poétique (et la transformation corporelle de Jackie), brouillant toute sa conclusion qui patine à n’en plus finir dans une séquence policière hors-sujet. De belles intentions, mais que c’est confus, disons bâclé par un montage disruptif qui fait perdre le fil.  

En résumé : Même si sa première heure emballe par cette romance à grosse goutte (de sueur), sa déroute vers le thriller paranoïaque ne tient pas debout et achève malheureusement les bonnes intentions de son début. 2/5

« Love lies bleeding » de R. Glass – sortie le 12 juin

  • Secret de famille : JULIETTE AU PRINTEMPS 

Juliette rentre dans sa famille, la mine bien pâle, le ventre noué par le poids d’une dépression qui rôde. Elle retrouve un père distant, une mère artiste et volage, une sœur stéréotype de la mère surmenée entre son badot de mari et ses deux enfants. Au milieu de ce remue-ménage, Juliette tente de trouver sa place, jusqu’à une révélation de sa grand-mère qui fera basculer cette peine inexpliquée en une souffrance verbalisée. Car le silence règne dans cette déficiente famille, les non-dits, l’incapacité à communiquer nourrissant le terreau fertile de la dépression passive. Il y a chez Blandine Lenoir cette formidable capacité d’épure, de minimalisme scénique jouant sur le geste plutôt que sur le verbe, qualité hautement retrouvée déjà dans son précédent long, le très réussi « Annie Colère ». Darroussin est sans conteste le grand investigateur de cette réussite, ne cessant de jouer de son regard et de son corps le père asocial, aimant mais incapable de le montrer. Izia Higelin est elle aussi très juste, sans quête de performance, si ce n’est celle de se marier idéalement au ton naturel du film. Il y a un petit quelque chose dans ce « Juliette au printemps » qui le fait basculer du bon côté de la ligne, dans le délicat plutôt que l’anecdotique, et cette photo finale qui arrive même à nous décharger quelques larmes. 

En résumé : Sensible et épuré, une jolie histoire familiale où le poids du secret finit par délivrer le cœur enserré de Juliette, touchant et réussi. 3/5

« Juliette au printemps » de B. Lenoir – sortie le 12 juin

  • Trans-identité: ORLANDO

Il y a les mots de Virgina Woolf et de son « Orlando » qui résonnent avec une telle contemporanéité pour un roman du début du siècle (1928), avant-garde de la pensée saisissant avant tout le monde les grandes interrogations de notre temps. Puis ses multiples témoignages entre-coupés de citations foudroyantes de modernité, qui prennent la forme d’une hymne à la tolérance, au respect pour une identité « sans mot », un genre non genrée, une non-identité indéfinissable, une mixité sublime cherchant à combattre coûte que coûte le martellement de la pensée binaire. Il y a de la révolte dans chaque mot, un combat légitime de reconnaissance, d’appel à la tolérance, à l’ouverture vers l’interstice, l’entre-deux qui légalement n’existe toujours pas (que de problème de papier d’identité et de reconnaissance juridique), un cri humaniste à enfin reconnaître la beauté du non choix, du choix de ne jamais cocher une case entre « H » et « F ». Jusqu’à ce que Virginie Despentes joue la magistrate républicaine, et les déclarent tous·tes citoyen-nes planétaires non binaires et l’abolition de l’administration du genre à la naissance. Un documentaire primordial sur la trans-identité qui doit résonner fort et haut, et répondant magnifiquement au prix d’interprétation cannois de cette année pour le film de Jacques Audiard « Emilia Perez » et aux détestables réactions politiques qui l’ont suivi. 

En résumé : Ce croisement entre les mots de Viriginia Woolf et de poignant témoignage contemporain en fait un documentaire essentiel, qui impose respect et considération absolue pour ces voyageurs du genre encore stigmatisés. 4/5

« Orlando » de P. B. Preciado  – sortie le 5 juin