Cet article est à retrouver sur le site du Bonbon Nuit, lieu premier de sa publication.
En plein froid polaire, il n’y a plus d’excuse à s’enfermer bien au chaud au fond de la salle de ciné, partager son émotion avec des inconnus que l’on entend taire des larmes qui montent où s’esclaffer bien trop fort, mâchouiller ce putain chewing-gum à rendre malade, ou ronfler d’ennui. En cette fin janvier, trois films à haute intensité, entre le déracinement d’une française adoptée, la descente aux enfers d’une cheffe d’orchestre d’un monde passé, et un thriller crépusculaire dans les bas-fonds bétonnés de Tunis.
- Si tu veux faire face au déracinement d’un enfant adopté : RETOUR À SÉOUL
Par un coup du destin (une tempête détournant son avion du Japon à Séoul), Freddie débarque en Corée du Sud, pays d’origine de ses parents biologiques, elle qui n’y avait encore jamais mis les pieds. Et d’un acte impulsif, trait marqué de son caractère imprévisible et barge, elle part à la recherche de ses « vrais » parents. L’éclatant succès du film est cette capacité de Davy Chou à transposer le déracinement de son héroïne à sa mise en scène par un travail de montage elliptique : les années passent, et avec elles les transformations physiques de Freddie et ces incessants aller-retour entre Paris et Séoul qui, à notre tour, nous font perdre pieds. Bousculé par son image impétueuse (sa cuite avec des inconnus en scène d’ouverture, jusqu’à cette danse abandonnée au milieu d’un bar) et sa dureté la rendant antipathique, cette anti-héroïne agace et appelle à la fuite (comme ses amis/copains qui déguerpissent tour à tout). Puis, en fin de film et en plein désamour, las de sa cruauté, notre émoi devient vif et rageur, jusqu’à sa conclusion, et ce mail qui n’atteindra jamais sa cible. Faisant naître en nous, et à son image, des larmes de détresse.
Pourquoi il faut y aller : A contre-courant du classicisme film sur l’adoption, dans une quête impulsive de son identité propre
Mais d’un autre côté… L’antipathie de l’héroïne peut saouler, et couper du film
« Retour à Séoul » de D. Chou – sortie le 25 janvier
- Si tu veux voir te prendre une Cate Blanchett monstrueuse dans la tête : TÁR
Lydia Tár est une cheffe d’orchestre mondialement reconnue, sa réussite est totale. Et de ses succès se construit un monstre glacial et déconnecté, invincible dans un monde semble-t-il trop arriéré pour son intellect et sa sensibilité sans mesure (on pense à cette scène d’enseignement dans un Conservatoire où elle ridiculise un élève). Le monde la rattrape, des comportements malsains se découvrent, et la face glorifiée s’effondre dans une chute lente mais fatale. Cate Blanchett est époustouflante dans une composition magistrale de Todd Field, qui dépeint avec vigueur le portrait de cette femme antipathique, déconnectée d’un monde bouleversé par les grands changements moraux de notre temps (MeToo). Un monde qu’elle ne comprend plus. Pire, malgré l’inévitabilité de sa chute, elle s’effondre dans une quête d’une lumière qui s’est éteinte à jamais. La mise en scène limpide et le rythme alangui prennent le temps (2h30) de filmer une femme dépassée et qui jamais ne saura questionner ses blafardes idéaux antiféministes (tout le paradoxe du film, Tár étant lesbienne).
Pourquoi il faut y aller : Pour Cate Blanchett assurément, mais aussi pour se féliciter d’un monde qui change, et de prendre un doux plaisir à voir tomber le monstre
Mais d’un autre côté… Le rythme lent peut décourager
« Tár » de T. Field – sortie le 25 janvier
- Si tu veux te farcir un thriller politico-fantastique, rien que ça : ASHKAL
Nous voilà plongé dans un quartier de Tunis, fantomatique cimetière bétonné de bâtiments à demi-construits et abandonnés depuis l’arrêt des travaux. De cette géométrie froide et tarkovskienne nait le mystère, des immolations se succèdent au milieu de tours inhabités, deux flics sont sur le coup. Se construit alors un thriller sans pareil, qui ne cesse de brouiller les pistes du politique et du fantastique, son atmosphère pesante répond avec fureur à la poésie du feu sacré (et la beauté inquiétante de ces corps en feu, immobile). Le politique donc, et une Tunisie qui tente de combattre la corruption policière par de troubles jeu de pouvoir. Le fantastique, et son versant impénétrable, une forme de sorcellerie romanesque qui pousse la population à s’immoler dans un calme sidérant. Le tout orchestré par un humilié, un brûlé vif qui n’offre comme seul destin à un peuple une mort certaine, laissant en suspens d’éternels questions sans réponses (et cette folle scène finale de sacrifice collectif). Réussite totale, frisson de peur et de beauté, poésie meurtrière d’un fond politique dénonciateur. Un film grand et complexe.
Pourquoi il faut y aller : Pour ce mélange de genre, cette tension crispante d’un film d’allure policier mais qui en détourne les codes
Mais d’un autre côté… A force de trop brouiller les pistes, on peut s’y perdre, et lâcher face à trop d’incertitudes
« Ashkal, l’enquête de Tunis » de Y. Chebbi – sortie le 25 janvier