Alors que le 43ème festival de Cannes ne va pas tarder à voir débarquer sa faune cinéphilo-jet setterice à rejet mi mai, et mon petit doigt me dit que Le Bonbon nuit ne sera pas loin de cette corpulente agitation, faisons un tour d’horizon des tendances cannoises 2014. Les mœurs ont évolué, le mauvais goût a pas mal progressé et il est grand temps d’y voir plus clair. 6 règles indéfectibles du jeu de paume (souvent dans ta gueule par un videur pas content) cannois.
- S’habiller en lin blanc comme Eddie Barclay – PAS Cannes
Honte à celui qui oserait porter des charentaises blanches sur le costume légendaire du père Barclay. Même en sortant de ton yacht 1 hectare, ça schlingue sérieusement la naphtaline. Alors au placard la tenue chic-détente, et on se met au diapason : élégance – certes à sueur, la goutte qui trace dans l’entrecuisse – mais élégance quand même (du velours dans le costume, obligatoire). La ringardise des années 80 est interdite, on ne pense ni au confort ni à l’odeur. On s’habille col serré et on laisse les femmes se dessaper. Le décolleté poils portugais, no way.
- Dormir à 6 dans un 20 m2 – Cannes
C’est la galère, le papier ne paye plus, internet ne l’a jamais fait, c’est la crise, le dépôt de bilan. Mais, il faut être présent et s’imposer dans le défilé médiatique cannois. Alors on se sert les fesses, on fait débarquer 6 journalistes, on leur fout un bout de papier autour du cou et viva la précarité journalistique. Lorsque la nuit s’achève, c’est un brin honteux que le taxi nous débarque à 30 minutes de Cannes dans un patelin à l’allure Super U géant (« Supu » pour les intimes). Tristesse contemporaine que de finir la bave s’écoulant lentement mais sûrement sur un matelas gonflable raplapla par le trou béant laissé par cette putain de cendre de cigarette qui n’arrête pas de trouer ce sol autocollant d’une bière rance et périmée.
- Croire encore que tout peut arriver et finir sur un yacht de qatari avec Dujardin et Scorsese – PAS Cannes
Révolu le temps de l’improbabilité de la croisette, les rencontres fortuites entre bar et chiotte, un carton trouvé par terre, une soirée sous-terraine où l’accès est uniquement basé sur la gueule. Désormais, tout est contrôlé, les accès over surveillés, les listings même plus sur papier, et la sécurité couteau entre les dents n’attendant qu’un écart pour te plaquer au sol. Alors il faut sucker, une gorge profonde et nauséeuse bien violente pour espérer apercevoir à travers la horde de gorille le vodka-coca d’un Michel Leeb un peu pompette. Bah ouais, les autres sont sur leurs yachts…
- Etre pro et s’enquérir à voir TOUTE la sélection officielle – PAS Cannes
Humainement infaisable, le corps prenant le pas irrémédiablement sur l’esprit, ne pas dormir dans une salle obscure devant le film muet coréen imbitable après une soirée arrosée jusqu’à l’aube est simplement impossible. Alors il suffit de choper le dossier de presse, donner quelques infos grappillées par le premier de classe des Cahiers, et s’en sortir d’une pirouette audacieuse. En tout cas, lorsque le sujet du film débarque dans une discussion intelligible, feinter et quoi qu’il arrive, toujours détester. « Mais bien sur que j’étais à la projection de 8h, au rang I, et que la mise en scène barbante a déboussolé mon regard critique du jeu certes convenu mais percutant de cet acteur, tu sais, celui du dernier Hong Kar Wai ». Bingo.
- Attendre 3 heures sous la pluie pour espérer s’endormir devant le dernier film des Dardennes avec sa pauvre accréditation jaune et s’y voir refuser l’accès, bah ouais, la salle est déjà pleine – Cannes
Hiérarchie implacable, quand Jean-Marc Lalanne pavane en rose, toi poussin des marécages, premier venu à la messe cannoise, tu caches ton accréditation jaune pisse. Stratification du journalisme, les gammes de couleurs vont du blanc (la classe absolue) au jaune en passant par le rose pailletée (respect indéniable), rose (la crème de la bien pensance presse culturelle) et le bleu (ça commence à puer). Et forcément, cette palette détermine l’entrée. Alors attendre 3 heures pour te voir fermer la porte au nez, c’est d’une violence inouïe que je ne souhaite même pas à mon pire ennemi (hormis à mon top 3 de haine, Zaz, Tryo et Sinsemilia).
- Boire, manger, danser et vomir sans sortir un bifton de sa poche trouée – Cannes
Elle est là l’implacable raison du badot teufeur qui traînasse la queue entre les jambes et le cou éternellement nu d’accréditation, choper tout ce qui se boit, se mange, se sniffe. Prendre, reprendre jusqu’à plus soif, s’imbiber des open bar, bouffer chaque huitre qui dégouline pour ne laisser place à aucune compassion. C’est la guerre. Imaginez vous une fashion week à ciel ouvert, 15 jours non-stop d’OB, de déglingue gratuite, pire, de déglingue forcée par les producteurs véreux prêt à vous injecter gratuitement un magnum de champagne pour une simple ligne (écrite) dans votre canard. Certain parle de bonheur absolu, d’autre de paradis terrestre. Moi je parle d’un marathon sans limite, d’une course de fond non stop où l’alcool remplace le verre de grenadine et la banane fraîche, et ce, sur des dizaines de kilomètres de plage. C’est le fameux « Boire ou crève » implacable. J’en ai déjà la nausée.