Festival de Locarno 2016

Rencontre avec Jérémie Elkaïm

Après Cannes, me voilà dans le très intimiste festival du film de Locarno, isolé au bord du lac Majeur en suisse italienne. Le bronzage flambe, les lunettes de soleil cachent le Spritz de trop, et me voilà esseulé dans un bar rustique du casino de la ville. Devant moi débarque un jeune quadra un peu paumé, d’une ivresse de sortie de table mesurée, un Perrier tranche en main, Jérémie Elkaïm. La guerre est déclarée, Main dans la main, ses films avec son « ex-futur-qui sait ? » femme et réalisatrice Valérie Donzelli montrent à l’écran un personnage proche de sa propre réalité, lui qui se définit comme dénué de premier degré. Il est là aujourd’hui pour parler de Dans la forêt, film de Gilles Marchand qui sortira en salle le 15 février 2017. Navigation à vue dans cet entretien hors du temps, où Jérémie Elkaïm peut passer d’un discours sur Daesh à la texture de sa veste APC. Tout un programme.

Tu représentes pour moi le quadra looser, en galère, marrant mais complètement à l’ouest, avec une vision de l’amour rétrograde. Tu m’en veux pas trop ?

J’adore l’idée du quadra looser, ça me plait, elle me tranquillise. C’est Woody Allen qui disait, « l’existence est une tartine de merde mais on n’en veut toujours plus ». Moi c’est ma conception de l’existence, beaucoup de tristesse, de drame mais on ne veut jamais que ça s’arrête. Dans cette histoire, il est vrai que mon personnage fait ressortir la nostalgie d’un enfant. Les portes sont ouvertes, l’imaginaire existe, et j’ai trouvé ça formidable que Gilles s’attaque à ça. Je me vois comme un looser car c’est tranquillisant. La réussite serait un sacrilège. J’ai toujours œuvré pour écarter ce qui me ferait réussir. Au-delà de l’antihéros régressif américain, il y a quelque chose de plus profond. Daesh nous autorise à être des loosers, à vivre merveilleusement bien le présent, ce verre au bar en plus qu’on s’interdisait de boire. 

Tu es toujours sur une ligne sinueuse et étroite entre folie, pédagogie, retenue, un combat intérieur, un jeu d’équilibriste intéressant.

C’est tout comme moi, je ne me définis pas, je suis paumé. Je suis en admiration devant Vincent McCaigne et Louis Garrel, que je vois être des poissons dans l’eau, sans problème de légitimité, et j’ai une admiration pour eux, pour leur sociabilité,  et leur force à utiliser leur névrose en rire, faire de l’autodérision. Moi je suis bordélique, torturé, j’aime le premier degré, je suis à l’ouest, un prototype qui suit incapable de parler de moi (ndlr : drôle non ? Sachant que je n’ai pas rajouté un « Moi » non prononcé). J’adore Adam Driver, très premier degré, il remplit l’espace, il a juste l’excès qu’il faut, ce n’est pas un malin. Adam Driver me ressemble plus dans ce film, sans économie. 

Paumé comme tous les personnages de Jeff Nichols, parallèle plus qu’évident non ?

En tout cas je le prends comme un vrai compliment. Après je ne sais pas si il y a un véritable lien. Mais plus que de la nostalgie, on retrouve de la mélancolie. On ne s’est pas torturé à faire un personnage psychologique, mais un homme simple, habité par des démons. Et comme les pères d’aujourd’hui, il a besoin d’être éduqué par ses enfants. Il est persuadé que son fils a un sixième sens, une capacité miraculeuse de le libérer. Un personnage fou et dangereux, si tu décides de le jouer, tu es pathétique et tu finis en force comme un téléfilm. Et moi j’ai joué un mec qui veut que ça se passe bien, avec un désir de transmission à son enfant.

Le monde de la nuit a une part importante dans ce film, l’insomnie, le sommeil impossible, quelle est ta relation avec lui ?

J’ai une immense affection pour tout ce qui se passe la nuit. J’ai l’impression qu’il y a une égalisation des classes sociale, et ça me touche. On peut ré-inventer son identité, et tout peut se jouer. Il y a encore, je crois, une possibilité de transgression. On peut encore être là où ne pourrait être de jour. Et cette idée d’égalisation est bouleversante. Moi-même je suis un insomniaque complet. Pour le combattre, je me mets parfois dans une hygiène de vie drastique, au lit à heure régulière, disons 22h. Ou alors, c’est tout l’inverse, je passe mes nuits dehors, à rencontrer, éprouver. 

Et d’ailleurs, comment te comportes-tu la nuit, comment observes-tu ce milieu à part ?

J’ai beaucoup regardé la nuit. J’observe, ivre, dans un coin. Il n’y a rien de plus triste qu’une boite de nuit de jour. Ca sent mauvais, c’est sale. Une fois que ça s’habite, ça se chauffe, les enjeux commencent, des destinées brisées ou à l’inverse, qui s’envolent, des stars qui naissent. Et c’est transgressif. Mais il y a aussi une immense tristesse la nuit, une tristesse qui me touche beaucoup. La nuit me donne envi de pleurer. L’alcool, la danse, la perdition, tout est autorisé. C’est un royaume ou tout se joue, les gens se mettent en scène, jouent des rôles et ça m’interesse. C’est le lieu des gens cachés. 

Mais n’était-elle pas non plus le synonyme le plus violent d’une vie superficielle, un brin dans le pathétisme ?

La nuit est vue comme superficielle et légèr, moi je veux y mettre de la grandeur. J’adore la musique de variété, j’aime danser dessus, mais j’aime aussi les gens qui pleurent la nuit. L’alcool mauvais, l’agressivité, la tristesse. J’aime voir et vivre tout ça. Pendant très longtemps, je restais très tard, jusqu’au bout. Tu sais comme c’est méprisé de rester le dernier dans une fête. Moi je trouve ça génial. 

Parle moi de ce nouveau rapport à la nature, cette nature transcendantale et immuable, piégeuse, et surtout innocente. On la découvre durant ce film, et on sent bien que toi aussi. Car on imagine bien que le Jérémie Elkaïm en pantalon à pinces était un peu paumé ?

Gilles définissait mot pour mot la nature ainsi. On se baladait en Suède et il nous disait bien qu’elle n’avait pas besoin de nous, et j’ai trouvé ça magnifique. Mais bien sûr qu’au départ, ça fait marrer de voir Elkaïm et sa veste APC paumé au milieu d’une forêt. Moi je suis un urbain, je n’avais jamais mis les pieds dans une nature aussi sauvage, j’étais angoissé, inquiet, mais je me suis laissé envahir par et ça m’a dépassé. Je ne ressors pas indemne de cette expérience.

Tu portes en tout cas très bien les Queschua.

Rire final.