JUIN 2022

Après un très riche festival de Cannes, la descente est souvent rude au mois de juin, les sorties limitées et notre abreuvoir à émotions vidé. Mais fort heureusement, il fallait, comme une habitude qui devient routine, compter sur Quentin Dupieux, presque aussi prolifique que le demiurge Hong Sang-Soo, lui qui a également présenté un film à Cannes « Fumer fait tousser » qui sortira en fin d’année. Mais la consistance de Dupieux n’est pas dans la quantité, mais bien par sa capacité à transgresser la réalité par le jeu et l’anecdotique, tirer des pamphlets sociétaux souvent brutaux (« Steak »), très souvent drôle (« Mandibules »). Le mécanisme d’Incroyable mai vrai est sur un registre similaire, utiliser l’absurde et le gag pour appuyer avec allégresse sur les sempiternelles obsessions humaines. Et dans le genre, Benoît Magimel est extraordinaire en lourdingue ringard, sorte de Don Juan de pacotille obnubilé par son sexe qu’il érige en trophée moderne. La photographie est elle volontairement floutée pour obscurcir les traits immondes d’une société qui ne cesse de rabâcher ses mêmes erreurs, l’ère moderne n’a rien changer aux monomanies humaines, cette quête de la jeunesse éternelle, ou de la masculinité indéfectible. Et là aussi, baigné de métaphorisme grecque, la fin est souvent dramatiquement comique, par la mise à feu ou le pourrissement intérieure, la folie et la mort. Cette lecture du monde est aussi vieille qu’elle, mais le chemin parcouru par Dupieux est extraordinairement pertinent, délibérément joueur, et semble, film après film, aiguiser la finesse d’une hache qui tranche à vif.

Par principe d’opposition, il me fallait aborder le très beau Top Gun : Maverick. Il faut clairement dépasser l’indigence des romances dégoulinantes, l’américanisation outrancière, s’attacher à une certaine ringardise visuelle, et surtout, se détacher de la stupidité du scénario. Une fois le deuil réalisé, on ne peut qu’apprécier à la fois la réussite indéniable d’un blockbuster qui surnage par la virtuosité des scènes aériennes, mais surtout le regard introspectif sur Tom Cruise, désormais à distance, et qui semble regarder sa propre carrière d’un œil apaisé et bien conscient de la fin d’une ère. Et il y a alors une réelle beauté à admirer le dernier des mohicans du cinéma hollywoodien, lui qui se fait désormais éjecter du bar par la fenêtre, qui doit regarder une bande de gamin par la porte rejouer « Great balls of fire », saluer avec grâce dans une scène bouleversante de retenue la maladie de Val Kilmer, et accepter que rien ne sera plus comme avant.

Les autres films du mois

Les passagers de la nuit de M. Hers – 4/5

Tout comme Ozon (Été 85) et Bruni-Tedeschi (Les Amandiers), Hers filme l’innocence des années 80 dans un Paris rhomérien, aux fringues trop larges qui sentent la clope, flottant en mob sans casque, jusqu’à ce que la naïveté d’une période d’espérance s’entache d’une descente difficile et cauchemardesque. Avec l’apesanteur de la voix de Charlotte Gainsbourg, et les images d’archives d’un temps qui nous semble si éloigné, « Les passagers de la nuit » nous offre une vision non pas réac et nostalgique mais bien délicate et intelligente d’un monde qui n’existe plus. Noée Abita (déjà formidable dans Slalom) illumine cette jeunesse tout autant paumée, mais pour qui l’espoir était encore possible. Il y a donc en sortant de salle, cette étrange impression d’un rêve éveillé, d’une époque imaginaire, et qui a pourtant bel et bien existée, marquant pour toujours le futur plus sombres de la génération 90 et l’arrivée du VIH.

I’m your man de M. Schrader – 2/5

Schrader rejoue l’idée éculée du robot impassible qui bouleverse la vie cartésienne d’une émotive humaine venant ainsi ré-interroger des questions existentielles sur sa capacité à être heureuse. D’apparence simpliste, I’m your man laisse entrevoir une lecture plus fine, notamment dans son final, sur la résilience humaine face aux échecs, aux manques, à la peur trivial de mourir seul, aux désirs de l’inaccessible, inhérente à toute forme d’humanité. Le reste n’est malheureusement qu’un long déjà-vu sans grande saveur.

Men de A. Garland – 3.5/5

Même si Garland filme la nature comme un fond d’écran Windows XP et se perd dans une tirade anti-patriacarle laborieuse et sur-titrée, on retrouve ce qui a fait la réussite de sa série Devs, cette capacité à distordre la réalité, créer d’une terrible culpabilité (ici le questionnement au suicide) une tirade horrifique – jusqu’au gore en fin de film, pour démanteler avec précision nos préjugées et réponses toutes trouvées, et tenter de nous interroger plus profondément sur le sens même de la toxicité masculine et son étreinte invasive et asphyxiante. C’est aussi lourdeau que ces quelques lignes, mais le geste reste salutaire de cette tentative d’exorcisme d’une culpabilité celle-ci bien masculine.

Nitram de J. Kurzel – 2.5/5

Nitram nourrit le terrible dilemme entre l’apitoiement pour le sort d’un rejeté, banni à la marge par une société normative, et la distance et le dégoût face à son inhumanité et sa violence effroyable. Ce qui rend l’affaire encore plus complexe, c’est la poésie picturale qu’y rajoute Justin Kurzel, et qui n’arrive donc jamais à trouver le bon regard, entre une tendresse glaçante et un message politique débarquant cheveu sur la soupe en grande dénonciation socio-politique (la loi sur le port d’armes en Australie). Alors on applaudit vigoureusement la performance immense de Caleb Landry Jones (meilleur acteur au festival de Cannes en 2021), mais l’on reste dubitatif sur une forme qui trompe un propos trop grave pour le rendre maladroit.

En roue libre de D. Barcelo – 1/5

Rien ne va, la direction d’acteurs est si mauvaise rendant Marina Foïs fausse comme jamais, et Benjamin Voisin en Pio Marmaï du pauvre qui se débat comme il peut dans un rôle si mal écrit, toujours gênant. En roue libre est exsangue d’une quelconque douceur naïve, ou d’un attachement particulier au sort maladroit de ce couple si improbable qu’il en devient illisible. L’on connaît l’importance primordiale des personnages secondaires dans un road movie, ils sont là tout aussi absents avec en apogée le malaise de la séquence sur des gens du voyage que Barcelo érige en héros moderne, une vision engagée contre nos préjugés, la blague. Grosse foirade.